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Game of Drones

Game of Drones Paul Currion/IRIN
The use of drones for civilian and humanitarian purposes is increasing
Dans ce nouvel article, l’ancien travailleur humanitaire Paul Currion, aujourd’hui consultant, se demande si le débat sur l’utilisation des drones ne passe pas à côté d’une question fondamentale : la nature même des drones va-t-elle à l’encontre des principes humanitaires ?

Ah, les drones ! Ils sont partout. Il y en a probablement un au-dessus de chez vous en ce moment même, en particulier si :

a. vous planifiez un acte terroriste ;
b. vous discutez avec votre mère sur Skype au sujet d’un acte terroriste dont les médias ont parlé ;
c. vous vous demandez si les frappes de drones sont elles-mêmes des actes terroristes qui sont sanctionnés par les États.

Évidemment, il est extrêmement injuste d’utiliser le même pinceau pour brosser un tableau de l’ensemble des drones. C’est aussi impossible, car il faudrait pour cela un très gros pinceau. Les drones sont actuellement testés par les organisations humanitaires pour une variété d’activités allant de l’évaluation des besoins à la fourniture d’aide en passant par la distribution de matériel médical aux cultivateurs bhoutanais. Des entreprises commerciales comme Matternet (qui a de bonnes intentions, mais un modèle d’affaires douteux) et des organisations innovatrices sans but lucratif comme Drone Adventures (dont les intentions sont encore meilleures, mais qui n’a pas de modèle d’affaires) sont aux premiers rangs de ce mouvement. Mais même des vieux de la vieille comme Médecins Sans Frontières (MSF) commencent à prendre part à l’action.


Le fascinant concours Drones for Good, qui a eu lieu plus tôt ce mois-ci aux Émirats arabes unis (EAU) et dont le grand prix s’élevait à 1 million de dollars, présentait certaines de ces activités (bien qu’on puisse supposer qu’aucun des participants n’a proposé d’utiliser des drones pour retracer les prisonniers politiques qui, selon Amnesty International, auraient été enlevés et torturés aux EAU). Les drones sont si répandus que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) a publié, l’an dernier, un document d’orientation, ce qu’il ne fait que lorsqu’il doit prétendre que quelqu’un a la situation bien en main.

Les « bons » usages des drones semblent jusqu’ici avoir la cote. Or, selon le Teal Group, le civil représentait 11 pour cent seulement du marché en 2014, contre 89 pour cent pour le militaire, et cela ne changera pas beaucoup au cours de la décennie à venir. Les drones utilisés dans les deux secteurs ne sont pas les mêmes, bien sûr, mais la distinction n’a pas vraiment d’importance vu la terreur bien documentée que ressentent de nombreuses personnes (et notamment les membres de l’Union des associations européennes de football) lorsqu’elles doivent vivre dans le bourdonnement constant des drones.

Il est particulièrement révélateur que le document d’orientation d’OCHA utilise le terme « véhicules aériens sans pilotes » (Unmanned Aerial Vehicles, UAV) plutôt que « drones ». UAV est le terme privilégié par l’armée, parce qu’il sonne moins comme « engin de mort invisible », et par les fabricants, bien sûr, parce qu’« engin de mort invisible » n’est pas très vendeur. « Vendeur » est le maître mot ici : l’usage de drones est en effet motivé par des intérêts commerciaux et promu par un journalisme de technologie peu critique. Résultat : une tonne de vidéos sympas de drones survolant Haïti et zéro transparence quant à leur impact réel – par exemple, une analyse coût-avantage qui aurait pu nous dire si l’achat d’un drone peut permettre de sauver davantage de vies que l’amélioration de la promotion de l’hygiène (Indice : la réponse est non, mais gardons à l’esprit que la promotion de l’hygiène est une question complexe et ne génère aucun profit).

Il ne fait aucun doute que l’usage civil des drones continuera d’augmenter et que cette augmentation s’accompagnera d’un renforcement de la réglementation. En janvier, les participants à un sommet sur les drones organisé par le Département de la sécurité du territoire ont eu le plaisir d’observer, en toute sécurité, le vol d’un Phantom II de DJI – le drone récréatif le plus vendu – sur lequel on avait attaché 1,4 kg d’explosifs. Moins de deux semaines plus tard, un Phantom II, piloté par un employé du gouvernement américain en état d’ébriété, s’est écrasé dans les jardins de la Maison-Blanche, causant une bonne frousse aux services de sécurité.

L’incident survenu à la Maison-Blanche a notamment eu pour résultat de pousser l’administration fédérale américaine de l’aviation (Federal Aviation Authority, FAA) à publier, alors qu’elle tardait à le faire, un cadre réglementaire pour l’usage des UAV (ce qui, malheureusement, n’a semblé faire l’affaire de personne). À la suite de l’incident, le fabricant de drones DJI a aussi mis à jour le logiciel qui les contrôle afin de les empêcher de s’approcher de la Maison-Blanche. Ce n’est pas une nouveauté pour DJI, qui a déjà défini 31 zones d’interdiction de survol en Chine : 30 d’entre elles sont situées autour d’aéroports et la dernière, au-dessus de la place Tiananmen.

Si DJI et les autres fabricants de drones ont tout à fait raison de se conformer aux règlements gouvernementaux, cela soulève cependant un autre problème potentiel pour les organisations humanitaires. Il est en effet beaucoup plus difficile de négocier avec une mise à jour logicielle qu’avec un garde à un poste de contrôle. Appliquez à vos véhicules la même logique que DJI à ses drones : je crois que personne ne serait content si Toyota empêchait automatiquement les Land Cruiser de circuler trop près de zones considérées comme « sensibles » par le gouvernement – le Darfour au grand complet, par exemple.

Or ce genre de problèmes pratiques sont mineurs lorsqu’on les compare à l’éventail de questions juridiques et éthiques plus larges qui ont fait l’objet de plusieurs débats constructifs. Le document publié par OCHA établit une comparaison intéressante entre les drones et les équipements militaires à double usage, comme les véhicules blindés, que certaines organisations humanitaires utilisent dans certaines situations, mais le débat n’est pas réglé pour autant. Comme l’a dit un représentant d’une ONG en République démocratique du Congo (RDC), utiliser des drones reviendrait à « distribuer de l’aide alimentaire depuis un char d’assaut ».

Le « double usage » est un concept vague. Les armes à feu ont un double usage : elles peuvent être utilisées pour la chasse, le sport, la lutte contre les animaux ravageurs, et ainsi de suite. Pourtant, la plupart des organisations humanitaires ont des politiques claires : leurs employés ne portent pas d’armes, leurs véhicules n’en transportent pas et aucune arme n’est autorisée dans les bureaux. Le port d’armes serait contraire au principe humanitaire de neutralité, car l’organisation deviendrait partie au conflit. Le concept de « double usage » est peut-être pertinent lorsqu’on parle de véhicules militaires, mais il ne l’est pas lorsqu’on parle d’armes. Le port d’une arme a une signification très spécifique, quel que soit l’usage qui en est fait.

MSF résume simplement l’idée : « Il est essentiel qu’il n’y ait aucune personne armée dans ou à proximité des hôpitaux, car la présence d’une personne armée signifie que l’établissement devient une cible de guerre. » Évidemment, MSF, l’une des organisations qui défendent le plus vigoureusement les principes humanitaires, participe activement à un projet pilote utilisant des drones. Il est normal qu’il y ait une certaine confusion dans les premiers jours du débat sur les drones, mais, ce qui est inquiétant, c’est que les conditions du débat sont technocratiques plutôt que fondées sur des principes, même dans le cas de MSF. La principale question que l’on se pose, c’est : « Les drones fonctionnent-ils ? »

Le drone est une technologie transformatrice ayant un vaste éventail d’usages potentiels. Les drones peuvent avoir un impact réel et positif lorsqu’ils sont utilisés à des fins spécifiques dans un environnement approprié. L’approche technocratique de leur utilisation ne permet cependant pas de répondre à une question plus fondamentale : la nature même des drones va-t-elle à l’encontre des principes humanitaires ?

pc/rh/ha-gd/amz
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