De tous les conflits oubliés qui ont lieu de par le monde (et il y en a beaucoup), celui qui se déroule au Sahara occidental, avec ses réfugiés retirés dans une zone désertique isolée, est l’un des plus négligés.
Mais le mois dernier, la question a été portée – momentanément - à l’attention de la communauté internationale par Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies et premier diplomate du monde. Après une visite du territoire disputé, qui est revendiqué par le Maroc et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, il a utilisé des termes peu diplomatiques, qualifiant la présence marocaine d’« occupation ».
La situation qui s’est ensuivie est dépeinte comme un chaos dans le monde de la diplomatie : furieux, le Maroc a expulsé le personnel civil de la force de maintien de la paix des Nations Unies ; les réunions du Conseil de sécurité des Nations Unies ont produit peu de résultats concrets et le Secrétaire général n’a reçu aucun soutien ; et, pour finir, un porte-parole a tenté de revenir sur les propos de M. Ban, évoquant un « malentendu » et une « réaction spontanée et personnelle » au sort des réfugiés sahraouis.
« Sans le vouloir, M. Ban a abordé un sujet qui fâche », a dit Marina Ottaway, chercheuse principale du groupe de réflexion du Centre Woodrow Wilson, en évoquant les propos tenus par le Secrétaire général.
Peut-on pour autant entrevoir une avancée dans la résolution d’un des conflits les plus inextricables au monde, qui sévit depuis plus de quarante ans et qui passe largement inaperçu ?
Voici une analyse du conflit du Sahara occidental, longtemps occulté, et de la situation des réfugiés sahraouis pris entre deux feux.
Qu’est-ce que le Sahara occidental ?
Le Sahara occidental, territoire de 266 000 kilomètres carrés, a été une colonie espagnole de la fin du 19ème siècle au milieu des années 1970. Aujourd’hui, le Maroc revendique ce territoire, mais aucun pays ne reconnaît officiellement sa souveraineté, et il fait face à l’opposition du Front Polisario, qui a établi son gouvernement en exil en Algérie et jouit du soutien d’une bonne partie des populations indigènes sahraouies.
Suite au départ des Espagnols en 1975, une guerre a éclaté entre le Maroc et le Front Polisario. Dans les années 1980, le Maroc a fait ériger un mur de 1 500 kilomètres de long qui a divisé le territoire en deux, 82 pour cent de la zone étant sous son contrôle. De nombreuses familles ont été séparées.
Au moment de la signature du cessez-le-feu négocié par les Nations Unies en 1991 et du déploiement de la MINURSO, la force de maintien de la paix des Nations Unies, des dizaines de milliers de Sahraouis étaient déplacés par les combats. La majorité d’entre eux vivent dans les cinq camps gérés par le Front Polisario à Tindouf, en Algérie, à la frontière des 18 pour cent de territoire que le Front Polisario considère comme « libéré », et que la communauté internationale qualifie en général de no-man’s land.
On ne connaît pas le nombre exact de réfugiés sahraouis installés dans les camps – le Front Polisario et l’Algérie estiment qu’ils sont 165 000, mais d’après les évaluations des besoins réalisées par les Nations Unies, ils seraient 90 000 réfugiés.
Certains vivent dans des tentes, d’autres dans des maisons en brique crue. Ils sont extrêmement vulnérables au climat peu clément – en octobre 2015, plus de 17 000 maisons ont été détruites ou sévèrement endommagées par les inondations qui ont affecté les deux territoires.
Il y a peu de perspectives d’emploi pour les Sahraouis à Tindouf, et la quasi-majorité des réfugiés survivent grâce à l’aide, même si l’on estime que les conditions de vie sont sensiblement meilleures côté marocain grâce aux investissements réalisés par le royaume en matière de développement.
Les groupes de défense des droits de l’homme présentent régulièrement des rapports sur le traitement autoritaire des dissidents sahraouis par le Maroc, et il est à craindre que le Front Polisario ne se montre pas plus tolérant à leur égard.
Quelles sont les deux demandes des deux parties en conflit ?
Le cessez-le-feu de 1991 devait être suivi d’un référendum sur l’indépendance, et la MINURSO a commencer à établir une liste électorale dans les années 1990. Savoir qui pouvait décider du sort du territoire est devenu une tâche digne de Sisyphe, car le Maroc a installé de nombreux résidents dans la zone au cours des années 1990 et les deux parties ont rejeté divers décomptes.
Au moment de l’établissement de la liste par la MINURSO – information qui aurait été gardée en sécurité à Genève – l’organisation d’un référendum semblait peu probable. Un nouveau plan de James Baker, ancien Envoyé spécial du Secrétaire général, qui prévoyait un vote sur l’indépendance après une période d’autonomie, a été rejeté par le Maroc, et M. Baker a démissionné en 2004, déçu notamment par le refus du Conseil de sécurité de mettre en œuvre un plan qu’il avait approuvé.
Le Front Polisario demande encore un vote sur l’indépendance, mais la plupart des experts pensent qu’il est peu probable qu’un scrutin soit organisé.
« On ne pourra jamais décider qui peut participer au référendum », a expliqué Mme Ottaway.
Le Maroc n’y est pas défavorable, car il propose que le Sahara occidental bénéficie d’une forme de gouvernance locale, comme les autres régions, dans le cadre d’un plan de décentralisation plus large. Cela ne donnerait au territoire aucun statut spécial.
Quelle est la prochaine étape ?
Les deux camps se sont montré intransigeants lors des négociations, et les Nations Unies n’ont pas été en mesure de faire avancer le processus.
Cela est notamment lié au fait que les principales puissances ignorent le problème facilement. « Vu de Washington, le conflit entre le Maroc et l’Algérie pour le Sahara occidental fait penser à deux chauves qui se battent pour un peigne », a expliqué Mme Ottaway.
Il est vrai que le conflit est généralement de faible intensité. Mais il s’envenime parfois : au moins cinq personnes ont été tuées en 2010 lorsque les forces de sécurité marocaines ont mis fin à une manifestation dans un camp sahraoui.
D’un autre côté, le Sahara occidental est laissé sur la touche, non pas parce qu’il s’agit d’un petit territoire isolé, mais parce qu’il est devenu un pion dans le jeu politique international.
Comme l’a souligné Jacob Mundy, chargé d’enseignement à l’université Colgate et expert du conflit, le Maroc s’est positionné comme un allié clé de l’Arabie saoudite et de l’Occident en Afrique du Nord ; il échange des renseignements avec les Etats-Unis et accueille même au moins un des « sites noirs » controversés de la CIA. Cela rapproche les Etats-Unis de la France, qui s’est résolument rangée du côté du Maroc dans le conflit.
« Chaque fois que le Maroc est sous pression sur la question du Sahara occidental, il trouve le moyen de rendre utile auprès des Etats-Unis », a expliqué M. Mundy.
Du côté de l’Algérie, trois membres actuels du Conseil de sécurité ont officiellement reconnu la République arabe sahraouie démocratique, le gouvernement en exil du Front Polisario : l’Angola, l’Uruguay et le Venezuela.
« La vraie question est de savoir si un pays membre du Conseil de sécurité va remettre la pression politique sur le Sahara occidental », a dit M. Baker peu de temps après sa démission en 2004. « C’est pour cette raison que la situation est si difficile ; car la question est si peu médiatisée et qu’ils seront soucieux de ne pas se mettre à dos le Maroc ou l’Algérie, en prenant une position ferme. Et ils ne veulent pas demander à l’une ou à l’autre des parties de faire quelque chose qu’elles ne veulent pas faire ».
Anna Theofilopoulou, analyste politique indépendante et ancien membre de l’équipe de M. Baker, pense qu’il faut bousculer les diplomates sur la question du Sahara occidental, mais que la méthode de M. Ban n’était pas la bonne.
Le chef des Nations Unies, qui se serait vu refuser le droit d’atterrir au Maroc, n’a rencontré que les réfugiés sahraouis, le Front Polisario et les représentants de l’Algérie. Puis il a utilisé le mot « occupation ».
« A moins que l’on soit sûr d’obtenir de bons résultats, on ne sort pas la grosse artillerie », a dit à IRIN Mme Theofilopoulou. « C’est l’une des règles de base de la diplomatie ».
Il ne faut pas se faire d’illusion sur le fait que les mots de M. Ban fasse évoluer un conflit qui sévit depuis plusieurs décennies, mais il reste une chance infime qu’ils créent une ouverture.
Comme chaque année, le mandat MINURSO doit être renouvelé à la fin du mois d’avril, et même si cela devrait se faire de manière automatique, cela peut être une bonne occasion pour M. Ban de montrer que le refus ou l’incapacité du Conseil de sécurité à mettre en œuvre des mesures significatives a eu de graves conséquences, et notamment la création d’une génération de réfugiés qui sont nés et ont grandi dans des tentes.
« Je pense que le temps est peut-être venu pour le Secrétariat de se montrer ferme », a dit Mme Theofilopoulou, laissant entendre que M. Ban devrait faire pression sur le Conseil de sécurité.
M. Mundy partage cette opinion. « Il serait intéressant que le Secrétariat donne le dossier au Conseil et dise ‘vous refusez d’adopter une position ferme et vous attendez que les médiateurs travaillent. Qu’espérez-vous ? ».
Mais étant donné que la France et les Etats-Unis sont des membres permanents du Conseil de sécurité, il est peu probable que la situation évolue dans un avenir proche. Et il n’y aucune garantie que le renforcement de l’implication de la communauté internationale favorise la paix ou mène à une solution durable.
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