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Comment 150 000 personnes ont été secourues en Méditerranée

A pregnant Somali woman is helped onto the MSF boat, Dignity 1, after being rescued at the sea on August 23, 2015 Alessio Romenzi/IRIN
Une Somalienne enceinte est secourue en mer en août 2015. Elle reçoit de l’aide pour monter à bord d’un bateau de MSF
« S’il-vous-plaît, Monsieur, s’il-vous-plaît ! La situation est très grave. Mon moteur est tombé en panne et il y a des enfants et des femmes enceintes avec moi ». Cet appel désespéré a été lancé depuis un canot pneumatique parti des côtes libyennes ; 112 personnes étaient montées à son bord dans l’espoir de gagner l’Europe.

L’appel est arrivé à Rome, à plusieurs centaines de kilomètres de là, dans une pièce en sous-sol remplie de cartes, de diagrammes et de téléphones. C’est dans ce bâtiment gouvernemental, niché entre des immeubles de bureaux modernes et des édifices de l’époque fasciste, que la garde-côtière italienne dirige le Centre de coordination de sauvetage maritime. Le Centre, qui opère 365 jours par an, a coordonné plus de 930 sauvetages en mer en 2015 et a permis de sauver plus de 150 000 vies. Il n’y a pas de vacances. Le jour de Noël, 751 personnes embarquées sur six bateaux ont été secourues.

Si la majorité des opérations sont une réussite, les bateaux de sauvetage n’arrivent pas toujours à temps. L’année dernière, 3 771 personnes sont mortes ou ont disparu en tentant de traverser la Méditerranée ; 77 pour cent des décès ont eu lieu en Méditerranée centrale, entre les côtes libyennes et italiennes : la route migratoire la plus meurtrière. L’instabilité persistante qui règne en Libye entrave la coordination des missions de recherche et de sauvetage et ne laisse d’autres choix aux autorités italiennes que d’intervenir.

L’appel de détresse

La tâche des responsables de la coordination des opérations de secours à Rome est immense. En général, les migrants appellent directement le centre des opérations avec un téléphone satellite donné par les passeurs avec quelques instructions sur son fonctionnement. Les personnes qui effectuent les appels sont paniquées et n’ont généralement pas les connaissances ou les mots nécessaires pour transmettre des informations vitales.

« Ils ne parlent pas toujours anglais. Certains parlent arabe, mais nous ne comprenons pas l’arabe », explique Sergio Liardo, responsable du Centre. L’italien, l’anglais et le français sont les langues parlées par ses collaborateurs. Enseigner l’arabe au personnel est jugé trop difficile, car il existe de nombreux dialectes, et bon nombre des personnes qui espèrent être secourues ont une autre langue maternelle.

Les opérateurs qui répondent à un appel essayent d’obtenir trois informations importantes : la position de l’embarcation, fournie par le téléphone satellite ; la présence à bord de personnes qui auraient un besoin urgent d’aide, comme des personnes gravement malades ou des femmes à un stade avancé de leur grossesse ; le type et l’état de l’embarcation à bord de laquelle les personnes ont pris place. Plusieurs appels sont parfois nécessaires pour déterminer la position du bateau. Une fois qu’elle est connue, un « X » rouge est tracé sur une carte en temps réel et la mission de secours commence.

Un travail d’équipe

Si l’opération est coordonnée par la garde-côtière italienne, bon nombre d’autres agences y participent et leurs navires sont également visibles sur la carte maritime. Parmi ces agences figurent les équipes de Frontex, l’agence européenne de sécurité aux frontières, ainsi que les navires marchands qui traversent la Méditerranée. Les organisations humanitaires, comme l’organisation caritative médicale Médecins Sans Frontières et l’association Migrant Offshore Aid Station (Point d’aide offshore aux migrants, MOAS), basée à Malte, peuvent également faire intervenir leurs navires de sauvetage. Mais après huit mois en mer, MSF a mis un terme à ses opérations en Méditerranée.

Le lancement de l’opération de MSF en Méditerranée l’année dernière a conduit l’organisation sur un terrain inconnu, explique Sebastian Stein, coordinateur d’urgence pour MSF.

« C’est quelque chose de vraiment nouveau pour nous de travailler en aussi étroite collaboration avec un acteur institutionnel », a-t-il dit à IRIN. « Notre collaboration avec le Centre de coordination de sauvetage en mer s’est très bien passée ».

L’association MOAS s’est entretenue avec le centre de Rome avant de déployer son navire de sauvetage pour la première fois en 2014. « Ils nous ont dit où nous serions les plus utiles » a dit le directeur de MOAS, Martin Xuereb.

« Nous sommes à la disposition du centre de coordination de Rome ; ils savent exactement où nous nous trouvons à tout moment ».

Lorsque cela est possible, la garde-côtière italienne envoie ses propres navires, mais il lui arrive de faire appel à d’autres bateaux qui sont à la fois plus proches et qui ont les capacités nécessaires pour intervenir.

« L’objectif est d’arriver le plus rapidement possible [et] d’intervenir efficacement pour sauver les migrants », a expliqué M. Liardo.

L’association MOAS utilise un drone pour détecter les bateaux de migrants en détresse, mais elle ne dispose pas d’informations complètes sur les navires présents dans la zone qui sont les mieux placés pour intervenir. « L’entité qui dispose de cette image [globale], c’est le centre de coordination de Rome », a expliqué M. Xuereb.

Qui sauver en premier ?

Lorsque des centaines – si ce n’est des milliers – de personnes ont besoin d’être secourues en même temps, le centre de Rome doit décider quelles personnes il faut sauver en premier. « En général, la priorité est donnée aux canots pneumatiques, car ces embarcations sont moins stables qu’un navire [plus grand]. Mais si un migrant ou autre nous appelle et nous dit qu’ils coulent, alors il est évident que priorité est donnée à ce sauvetage », a dit M. Liardo.

Au cours de l’année 2015, les passeurs ont eu un recours accru aux canots pneumatiques plutôt qu’aux bateaux de pêche en bois qui sont généralement plus solides et transportent un plus grand nombre de passagers, mais qui se faisaient rares en Libye.

Le moment où un navire de sauvetage atteint un navire de migrants peut être l’étape la plus dangereuse d’une opération, si toutes les précautions ne sont pas prises. Les passagers qui passent rapidement d’un bord à l’autre d’un bateau surchargé peuvent provoquer un chavirage et ils risquent de se noyer avant de pouvoir être sortis de l’eau. Dans la grande majorité des cas, les passagers sont transférés dans un navire de sauvetage de manière sécurisée. On les fait parfois ensuite monter dans un navire plus grand, capable de transporter plusieurs centaines de personnes sauvées au cours de plusieurs opérations de secours, avant de les débarquer dans un port italien, généralement en Sicile.

Le centre de Rome répond à tous les appels qu’il reçoit – jusqu’à 27 par jour – et planifie le niveau des effectifs en fonction des bulletins météorologiques qui permettent de déterminer combien de bateaux tenteront la traversée un jour donné.

Si le nombre d’embarcations qui quittent la Libye est en général moins important en hiver, plus de 4 600 personnes ont été secourues en seulement trois jours au mois de décembre. Les difficultés associées aux sauvetages en hiver les rendent deux fois plus périlleux que les opérations menées en été, même avec le navire spécialisé, utilisé par les garde-côtes par temps de tempête, a expliqué M. Liardo.

« L’hiver, il faut intervenir le plus vite possible pour différentes raisons, comme les températures extérieures », a-t-il dit.

Encore des efforts à faire

L’attention de la communauté internationale s’est déplacée de l’Italie à la Grèce en 2015, car la route maritime qui part de la Turquie est devenue plus populaire, mais chaque jour, des dizaines de migrants empruntent la route plus dangereuse qui part de la Libye et l’équipe de M. Liardo devrait continuer à jouer un rôle crucial en 2016.

L’Italie a beaucoup plus d’expérience que la Grèce en matière de sauvetage des migrants, car elle a déjà coordonné le sauvetage de 170 000 personnes en 2014 dans le cadre de son opération de secours « Mare Nostrum » : celle-ci a nécessité l’intervention de navires et d’avions lors de patrouilles effectuées en Méditerranée et permettait de secourir plusieurs centaines de migrants à la fois. La mission a été abandonnée à la fin de l’année 2014, en raison de son coût de neuf millions d’euros par mois et du refus du gouvernement italien de l’assumer seul.

M. Stein de MSF a noté qu’il fallait poursuivre les opérations de recherche et de sauvetage, avec le soutien des Etats membres de l’UE. Frontex mène des opérations en mer, mais sa principale priorité est de contrôler les frontières plutôt que de sauver des vies.

Le centre de coordination de Rome continue d’être financé par l’Etat italien et, d’après M. Liardo, il reçoit des appels depuis la mer Egée. « Le principal défi est d’être prêt – nous sommes prêts, nous continuons à nous préparer et nous essayons encore de nous améliorer, car c’est l’objectif fondamental ».

rs/ks/ag-mg/amz
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