Le Comité permanent interagence (IASC, en anglais) a établi une échelle de notation évaluant les propositions de projets humanitaires selon qu’elles ignorent, prennent en compte ou privilégient l’égalité des sexes.
Introduit en 2009, cet outil (appelé Gender Marker en anglais) ne s’intéresse cependant qu’aux projets sur le papier et n’évalue pas la manière dont ils se déroulent ni leurs impacts.
Afin de combler ces lacunes et à la demande d’ONU-Femmes, des universitaires de l’Institut d’études sur le développement (Institute of Development Studies, IDS) de l’université du Sussex ont mené quatre études approfondies auprès de 2 000 foyers en situation de crise au Kenya (à Turkana et Dadaab), aux Philippines et au Népal.
Outre un examen qualitatif détaillé de la manière dont les programmes en faveur de l’égalité des sexes (GEP, en anglais) étaient accueillis par les femmes et les filles des ces communautés — touchées par un conflit de longue durée, réfugiées ou vivant en milieu rural — l’équipe a mis au point un outil novateur visant à mesurer les conséquences de ces projets : le GEP Index.
Leurs résultats, publiés ce mois-ci dans un nouveau rapport, sont un important pas en avant dans la réflexion sur l’égalité des sexes. Le Sommet mondial sur l’action humanitaire de l’année prochaine devrait faire le point sur ce débat et sur le Gender Marker de l’IASC.
« Nous manquions de données empiriques concernant l’impact [des programmes en faveur de l’égalité des sexes] sur les situations humanitaires », a expliqué David Coffey, spécialiste de programme humanitaire pour ONU-Femmes.
« La plupart des humanitaires pensaient que [ces programmes] étaient une bonne chose et auraient des impacts positifs, mais cela n’était confirmé par aucune preuve solide », a-t-il dit à IRIN.
« L’une des faiblesses du Gender Marker, c’est que l’on peut rédiger la proposition la plus extraordinaire qui soit, une fois celle-ci mise en application, il n’existe aucun mécanisme de suivi. »
Approches conventionnelles
Jean-Pierre Tranchant, chercheur à l’IDS et codirecteur du projet, a dit avoir été surpris de voir à quel point les organisations humanitaires en savaient peu sur les programmes en faveur de l’égalité des sexes, alors qu’elles en font la promotion comme stratégie fondamentale.
« Beaucoup se contentent de cocher des cases », a-t-il dit. « Aux sièges, les programmes en faveur de l’égalité des sexes sont abordés de manière très conventionnelle : des objectifs sont fixés pour l’implication des femmes, puis on coche la case quand cet objectif est atteint, sans vraiment chercher à connaître les conséquences de cette implication sur le terrain. »
Le GEP Index de l’IDS mesure la satisfaction des femmes en ce qui concerne l’aide humanitaire, leur capacité apparente à influencer les programmes, leur appréciation du niveau d’égalité entre les sexes dans ces programmes et la proportion de ces programmes qui répond selon elles à leurs besoins.
Le modèle n’est pas encore complètement au point, mais il pourrait devenir un outil essentiel pour mesurer l’impact des programmes en faveur de l’égalité des sexes en milieu humanitaire.
« Ce n’est qu’un début, car le GEP Index n’est pas encore un produit fini, mais c’est une idée pleine de promesses et de possibilités », a dit M. Coffey.
« Le Gender Marker nous donne une idée de la bonne conception d’un projet, mais le GEP Index s’intéresse à l’étape finale du cycle du projet, il nous donne des informations sur la manière dont il est réellement accueilli sur le terrain et nous permet de rendre des comptes aux bénéficiaires. »
« Les programmes sont déjà conçus sur place, avec des contextes et des nuances spécifiques en tête, mais voilà un outil supplémentaire pour guider le processus de conception afin de garantir que le projet apporte les meilleurs résultats possible. »
Interventions positives
Dans l’ensemble, le rapport a révélé que malgré l’absence actuelle d’évaluation détaillée des programmes relatifs à l’égalité entre les sexes, les interventions sont positives.
Le rapport a relevé de nombreux exemples, comme offrir des repas et des uniformes scolaires pour favoriser la scolarisation des filles, impliquer des femmes dans les comités pour améliorer l’emplacement des installations sanitaires et des points d’eau, s’assurer que les femmes sont économiquement actives pour garantir des revenus plus stables pour les foyers et accorder en premier lieu aux femmes la gestion de la nourriture afin de diversifier et de stabiliser les régimes alimentaires.
L’IDS a toutefois souligné un point : les organisations humanitaires doivent impliquer les hommes dans les programmes en faveur de l’égalité des sexes.
« Si l’on veut donner plus de pouvoirs aux femmes et aux filles, il faut impliquer les hommes et les garçons », a expliqué M. Tranchant.
« Surtout dans des endroits comme Dadaab [un ensemble de camps de réfugiés somaliens au Kenya], ou les réfugiés n’ont aucune liberté de mouvement et se sentent déjà exclus des prises de décisions, cela peut exacerber leur sentiment d’exclusion si les humanitaires semblent plus intéressés par le sort des femmes. »
Selon M. Tranchant, les organisations humanitaires ne sont pas toujours au courant de ces problèmes, car les mécanismes de retour d’informations font défaut.
Danielle Spencer, conseillère humanitaire sur les questions d’égalité des sexes et de protection pour CARE International UK, s’est réjouie de la publication du rapport d’ONU-Femmes.
« C’est une étude très importante et qui arrive à point nommé », a-t-elle dit. « Même si chez CARE nous appliquons déjà un certain nombre de ses recommandations, nous saluons tout ce qui fait avancer les discussions sur le sujet. »
« C’est gratifiant de voir les fruits de notre travail collectif », a-t-elle ajouté. « Je me rappelle à quel point il était difficile auparavant d’intégrer la question de l’égalité des sexes à l’ordre du jour des réunions. Maintenant, c’est un sujet courant. »
lr /ag-ld/amz