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Humanitaire/développement : une relation compliquée

Children run through Kanteba site for internally displaced people in Katanga Province, Democratic Republic of the Congo. The more than 2,000 civilians taking shelter here fled their home villages to escape violence caused by rebel militia. With 516,800 in UNHCR / B.Sokol
Les communautés humanitaires et du développement sont depuis longtemps les « meilleurs ennemis » du monde de l'aide internationale. Mais alors que les ressources s'amenuisent, il serait peut-être temps de combler le fossé qui les sépare et de forger un partenariat plus solide et plus dynamique.

Des départements entiers, des flux de financement et des personnels sont rangés dans des catégories bien séparées. Si les programmes de développement complètent les interventions humanitaires d'urgence (et peuvent même aider à réduire la nécessité de procéder à ces interventions), il y a peu d'échanges entre les deux communautés.

Un rapport produit pour le Comité permanent interorganisations (Inter-Agency Standing Committee, IASC), l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et la Banque mondiale en décembre dernier a observé que l'aide humanitaire permettait de sauver de nombreuses vies, mais qu'elle maintenait des populations dans la dépendance.

D'un autre côté, les agences de développement n'ont pas suffisamment « mis l'accent sur...les populations les plus vulnérables des États fragiles et les crises prolongées », selon le rapport.

L'agenda de la résilience – un concept apparu au cours de ces dernières années pour combler les lacunes – a fait tomber quelques barrières entre les deux communautés.

Le rapport souligne cependant qu'il y a encore « une tendance chez les bailleurs de fonds et les agences individuels à poursuivre des objectifs qui leur sont propres plutôt qu'à mener une action collective, à s'entendre sur une analyse, une vision et un plan d'action communs ».

Où est le juste milieu ?

La question revient à l'ordre du jour, alors que des représentants gouvernementaux, des décideurs et des organisations d'aide humanitaire se réunissent cette semaine à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, pour discuter du financement des Objectifs de développement durable pour l'après-2015 qui seront ratifiés prochainement.

La troisième Conférence des Nations Unies sur le Financement du développement (FdD) visera à trouver des moyens pour obtenir des financements de nouveaux acteurs (notamment du secteur privé) et améliorer le recouvrement de l'impôt ; elle s'intéressera également aux banques de développement multilatérales dans les marchés émergents et aux nouveaux mécanismes, tels que le financement des risques.

La communauté humanitaire, elle aussi, s'interroge sur les moyens à mettre en œuvre pour obtenir des financements supplémentaires à quelques mois du Sommet humanitaire mondial (SHM) de 2016.

A LIRE : Tout est une question d'argent

Mais ces discussions se déroulent en parallèle de la conférence sur le FdD, en dépit des possibilités réelles d'élaborer des approches conjointes.

Sandra Aviles, conseillère principale dans les domaines du développement et des affaires humanitaires à la FAO, espérait que les acteurs humanitaires s'intéresseraient aux discussions qui se déroulent à Addis-Abeba cette semaine, mais elle n'avait pas de certitude.
   
« Il y a encore cette idée qu'il y a deux matelas d'argent, que les acteurs du développement vont faire ceci et que les acteurs humanitaires vont faire cela », a dit à IRIN Mme Aviles, qui participe également à l'initiative sur le Futur du financement humanitaire (Future Humanitarian Financing, FHF) qui cherche de nouvelles méthodes de financement de l'aide d'urgence.

« Malheureusement, les acteurs humanitaires n'ont pas participé collectivement à Sendai [Conférence mondiale des Nations Unies sur la réduction des risques de catastrophe en mars] ou aux Objectifs de développement durable (ODD), et ils n'ont pas participé collectivement à la conférence d'Addis-Abeba ».

Dhananjayan Sriskandarajah a un pied dans les deux camps : il est secrétaire général de CIVICUS, qui réunit des organisations de la société civile, et membre du nouveau panel de haut niveau des Nations Unies dédié au financement humanitaire.

« Il y a encore beaucoup à faire pour réunir les acteurs du développement et les acteurs humanitaires et les aider à travailler ensemble plus efficacement », a-t-il dit. « De la réflexion sur la manière dont nous pouvons utiliser des bases de données communes à la poignée de mains entre les acteurs de l'aide humanitaire et les acteurs du développement.

« Parfois, j'assiste à des discussions sur le financement humanitaire et j'ai l'impression de découvrir une communauté radicalement différente. Il y a un langage différent et une approche très différente ».

Des liens étroits

Lors d'un entretien accordé à IRIN, Bertrand Badré, directeur général et directeur financier du Groupe de la Banque mondiale – considéré comme appartenant au camp du « développement » – explique pourquoi il pense que les deux communautés sont « étroitement liées » et pourquoi elles devraient travailler ensemble, notamment pour trouver des mécanismes de financement commun.

DECOUVREZ l'intégralité de l'entretien

« Une crise humanitaire, qu'elle soit occasionnée par un conflit ou une catastrophe naturelle, c'est un vrai choc. A la Banque mondiale, nous ne participons pas directement aux interventions humanitaires, comme la gestion des camps de réfugiés, notre travail consiste à améliorer la préparation et la capacité de réaction des pays aux chocs », a-t-il expliqué.

« Personne ne peut empêcher un tremblement de terre, mais nous pouvons faire en sorte que le pays affecté soit mieux préparé pour faire face aux conséquences de la catastrophe de manière plus efficace et plus rapide, à moindre coût ».

Comme d'autres acteurs du développement, la Banque mondiale s'engage désormais sur la question du déplacement (considérée comme relevant de l'aide d'urgence auparavant) et s'intéresse tout particulièrement aux moyens de subsistance, à l'intégration économique et au renforcement de la résilience.

La Banque mondiale aide les gouvernements jordanien et libanais à faire face aux conséquences économiques de l'accueil de plusieurs millions de réfugiés syriens ; elle a également travaillé avec les autorités azerbaïdjanaises et colombiennes dans le cadre du Programme mondial sur les déplacements forcés.

« Les acteurs du développement commencent à comprendre que les déplacements prolongés ont un impact sur le développement », a expliqué Manisha Thomas, directrice du secrétariat de Solutions Alliance, un groupe créé l'année dernière à Genève pour favoriser les partenariats et trouver des solutions aux situations de déplacements prolongées.

« Les gens ont pris conscience qu'il fallait tenir en compte des déplacements pour réduire la pauvreté », a-t-elle ajouté. « Le principe directeur des OdD est « ne laisser personne de côté » et cela nécessite de prendre en compte les populations déplacées ».

Complémentarité

Rachel Scott, responsable des questions de conflit, de fragilité et de développement de la résilience à la Direction de la coopération pour le développement (DCD) de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), pense, elle aussi, qu'il est nécessaire d'adopter une « approche plus complémentaire », en particulier dans les situations de déplacement.

« Des changements sont nécessaires dans les deux camps. Nous devons envisager notre réponse de manière plus holistique. Les acteurs humanitaires ne devraient pas seulement analyser les besoins physiques de base des êtres humains », a-t-elle dit, ils devraient également prendre en compte les facteurs de bien-être, notamment les besoins économiques et la cohésion sociale.

Les acteurs du développement devraient, quant à eux, « se pencher sur les politiques nationales, comme le droit de travailler, libérer l'économie des contraintes et trouver des solutions à long terme à la question du déplacement en modifiant les politiques publiques, et enfin réduire le volume de travail ».
  
Les débats sur les paramètres des deux secteurs et sur leur incapacité – dans de nombreux cas – à travailler ensemble ne sont pas nouveaux.

« Les discussions sur l'aide humanitaire/le développement ont toujours existé », a dit Mme Thomas de Solutions Alliance.

« S'il y a une différence de cultures entre les acteurs humanitaires et les acteurs du développement au niveau du travail, je ne ressens pas de vraie résistance à l'idée de renforcer la collaboration, il s'agit plutôt de trouver le moyen de faire fonctionner la collaboration dans la pratique ».

Obstacles

L'un des principaux obstacles à la réflexion commune est que les acteurs humanitaires adhèrent à quatre principes humanitaires définis : humanité, neutralité, impartialité et indépendance.

Le financement du développement est, quant à lui, réglé par des accords, comme la Déclaration de Paris de 2005 qui stipule que l'aide devrait être allouée aux gouvernements afin de développer les capacités et de mettre en place des institutions.

Lydia Poole, consultante indépendante en matière de politiques d'aide, a dit à IRIN que cela est parfois « extrêmement difficile » pour les acteurs humanitaires qui, dans certains cas, et notamment dans les situations de conflit, « ont une relation compliquée avec l’État » et pensent qu'une approche conjointe ne fonctionnerait pas.

« Le financement humanitaire est une ressource très précieuse qui permet d'intervenir dans des environnements très difficiles tout en respectant des principes, donc je ne pense pas qu'il faille y renoncer au vu des ambitions programmatiques de plus en plus variées.

Financement

Le fait que les flux de financement soient en général séparés – pour les raisons mentionnées précédemment, ainsi que pour des questions administratives et bureaucratiques – explique également le fossé culturel qui sépare les deux camps et leurs personnels.

La nécessité est la mère de l'invention ; le financement – ou plutôt le manque de financement – pourrait aussi finir par rapprocher les communautés humanitaire et du développement.

Les conflits prolongés en Syrie, en Irak, en République centrafricaine et au Soudan du Sud, ainsi que les catastrophes naturelles telles que le tremblement de terre au Népal, ont contraint les organisations d'aide d'urgence à racler les fonds de tiroir.

« Les discussions sur le financement devrait promouvoir l'engagement plus rapide des acteurs du développement dans la réponse aux déplacements, et je pense que c'est logique », a dit Mme Thomas, en expliquant, par exemple, que des investissements peuvent être réalisés dans les systèmes d'eau des pays qui accueillent des réfugiés plutôt que dans l'entretien des latrines temporaires.

Mais, a-t-elle ajouté, « Il est important que cela ne devienne pas qu'une question d'argent et nous ne devons pas perdre de vue l'objectif final qui est une collaboration entre des acteurs humanitaires et des acteurs du développement qui rassemblent leurs forces pour offrir des solutions plus efficaces aux personnes dans le besoin ».

M. Sriskandarajah, qui se trouve à Addis-Abeba cette semaine pour organiser un événement sur le financement humanitaire, a reconnu que le financement pouvait entraîner une meilleure coopération.
« Le financement est un véhicule extraordinaire pour rapprocher les deux camps », a-t-il dit. « Les deux secteurs cherchent de nouveaux partenaires et de nouveaux types de financement, et ces nouveaux modèles ne vont pas se soucier de nos secteurs et sous-secteurs. Ils voudront simplement accomplir leur travail ».

M. Badré, de la Banque mondiale, a dit à IRIN : « Il faut cesser de nous opposer les uns aux autres, cela n'a pas de sens ».

« Nous ne sommes pas en concurrence avec les acteurs humanitaires, nous sommes là pour compléter leurs interventions et soutenir leurs actions. Tout le monde est enfermé dans son système cloisonné, mais nous devons nous unir et accepter que nous pouvons renforcer notre collaboration ».

lr/bp/ag-mg/amz 
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