« Je me demande pourquoi nous n’avons pas encore eu de cas d’Ebola », a dit Edimar Nhaga, qui vit à Bissau, la capitale. « Ce n’est certainement pas grâce à des mesures de prévention prises par le gouvernement, car ce dernier n’a pas suffisamment agi pour éviter une épidémie. Je pense que jusqu’à présent c’est plus par chance, car, pour être franc, nous n’avons tout simplement pas les capacités suffisantes pour apporter une réponse appropriée. Personne ne doit penser que notre pays pourrait faire face à une éventuelle épidémie d’Ebola. »
À la mi-mai, selon les dernières données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la Guinée-Bissau n’avait mené à bien que 59 pour cent des mesures minimums de préparation, qui visent à pouvoir mettre en oeuvre une surveillance épidémiologique appropriée, des campagnes de sensibilisation de la population, la prise en charge des cas, la recherche de sujets contacts et des enterrements sûrs et dignes.
Le pays n’a pas encore identifié de sources de financement ni mis au point un cadre de référence en cas d’épidémie d’Ebola, a signalé l’OMS. Seulement 20 pour cent des activités de préparation essentielles liées au budget ont été complétées. Ces activités comprennent la création d’un fonds de réserve dans lequel il serait facile de puiser pour répondre sans attendre à l’apparition éventuelle d’un cas.
« La Guinée-Bissau nous préoccupe assurément », a dit le docteur Unni Krishnan, qui dirige le programme de préparation et de réponse aux catastrophes de Plan international. « Si un cas se présentait, le scénario pourrait tendre vers celui du Nigeria, qui a contenu l’épidémie en agissant rapidement et grâce aux mesures de préparation qui avaient été prises, ou, dans le sens inverse, vers celui de la Guinée et des autres pays (les plus touchés). »
De violentes manifestations à Kamsar, dans le nord de la Guinée, font également craindre que les efforts menés par les travailleurs humanitaires pour empêcher le virus de traverser la frontière soient entravés.
L’éventualité d’une épidémie d’Ebola en Guinée-Bissau est d’autant plus préoccupante que le pays fait partie des moins développés du monde, selon l’indice de développement humain établi par les Nations Unies. Plus de 15 ans après la fin de la guerre civile, qui a duré un an et déplacé des centaines de milliers de personnes, le pays est toujours en proie à une instabilité politique, à une économie fragile et à des infrastructures déficientes.
Le système de santé publique est particulièrement mal en point. Les médecins, les infirmiers, les ressources et le matériel sont insuffisants pour offrir des soins de qualité, et ce même en temps normal.
Selon l’OMS, le pays ne compte que sept médecins pour 100 000 habitants. Ce ratio est inférieur à celui de la Guinée avant le début de l’épidémie.
« Ce qui va poser problème à la Guinée-Bissau (en cas d’apparition d’Ebola) c’est que son système de santé est déjà fragile et que le nombre d’experts en médecine et de spécialistes en santé publique est limité », a dit M. Krishnan à IRIN. « S’agissant des établissements de santé de Guinée-Bissau, du point de vue de la préparation et de la réponse aux catastrophes, nous devons faire preuve d’une grande prudence et ne pas prendre les choses à la légère. »
Présence accrue des organisations
Au vu des derniers cas qui ont fait leur apparition juste de l’autre côté de la frontière, des organisations comme la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), l’OMS et Médecins Sans Frontières (MSF) se font plus présentes sur le terrain.
« Il ne s’agit plus de se préparer pour quelque chose qui se produira un jour », a dit Youcef Ait Chellouche, directeur adjoint des opérations de lutte contre Ebola dans la région au sein de la FICR. « Il s’agit maintenant d’améliorer le niveau de préparation. Nous appelons cela une “préparation accrue pour un risque imminent”. »
D’après M. Chellouche, la FICR allait déployer des effectifs supplémentaires en Guinée-Bissau cette semaine pour participer aux campagnes de mobilisation sociale dans les zones frontalières. Des bénévoles ayant travaillé au Liberia et en Guinée devraient notamment participer à ces opérations. La FICR prévoit également de former de nouvelles équipes locales sur la manière de mettre et d’enlever en toute sécurité les équipements de protection individuelle (EPI) et de sensibiliser les autorités et les populations locales à des méthodes d’inhumation sûres et dignes.
Elle prévoit également d’organiser des exercices de simulation d’intervention face à une épidémie afin de contrôler le niveau de préparation actuel en la matière. Aucune date n’a cependant été fixée.
MSF a formé une équipe médicale de six membres destinés à travailler en première ligne. Ce seront les premiers à intervenir lors de l’apparition d’un cas suspect. L’organisme a également prépositionné des trousses de sécurité et mis sur pied une unité d’isolement de six lits à l’hôpital national Simao Mendes, à Bissau, avec la possibilité d’étendre sa capacité à 24 lits le cas échéant.
« Ce qui nous inquiète le plus, c’est d’avoir ne serait-ce qu’un seul cas », a dit Stéphane Doyon, coordinateur de l’unité d’urgence de MSF en Afrique de l’Ouest. Il a expliqué que même dans les pays disposant d’un bon système de santé, il pouvait être difficile de contenir Ebola. « Si un cas est identifié à temps et isolé à temps, alors les chances de limiter les contaminations sont assez élevées. Mais s’il est trop tard et que d’autres personnes ont déjà été contaminées, ce sera plus ardu. »
Le gouvernement portugais a par ailleurs aidé à mettre sur pied un laboratoire pour qu’il ne soit plus nécessaire d’envoyer ailleurs les échantillons de sang des cas suspects.
Des difficultés qui restent à surmonter
Malgré ces récents efforts, empêcher une épidémie ne sera pas chose aisée.
Les intervenants dans la lutte contre Ebola s’inquiètent d’éventuelles résistances au sein de la population locale.
« Je pense que ce qui nous inquiète, ou plutôt la difficulté à laquelle nous nous attendons, mais que nous souhaiterions éviter, c’est les problèmes que nous avons eus dans d’autres pays, où les rumeurs et le manque d’information au sujet d’Ebola ont conduit à davantage de rumeurs et à une résistance de la population envers les prestataires de services humanitaires », a dit M. Chellouche.
De nombreux habitants ont dit à IRIN qu’ils ne savaient toujours pas exactement ce qu’était Ebola, ni comment se transmettait la maladie.
« Honnêtement, je ne sais pas quels sont les symptômes d’Ebola », a dit Samba Balde, un habitant de Bissau. « Mais j’ai peur, parce qu’on est à côté de la Guinée-Conakry, un pays touché par l’épidémie. »
Les financements des bailleurs de fonds sont par ailleurs insuffisants.
« Le monde fonctionne actuellement d’une manière qui n’est pas adaptée à la préparation aux catastrophes », a dit M. Krishnan. « Le monde s’intéresse quand le bilan commence à s’alourdir. Mais, malheureusement, les bailleurs de fonds ne sont pas aussi réactifs quand il s’agit d’améliorer la préparation et la résilience. »
Selon l’OMS, moins de six pour cent du produit intérieur brut de la Guinée-Bissau sont actuellement consacrés à la santé.
Or, même avec plus d’aide étrangère, de nombreux habitants de Guinée-Bissau disent avoir peu d’espoir que cela soit suffisant.
« Les autorités n’ont pas rempli ne serait-ce que les conditions minimales pour nous défendre contre Ebola, même avec l’assistance offerte par les partenaires étrangers », a dit Ernest Higinio Correia, un habitant de Bissau. « Ils ont encore beaucoup à faire. »
jl-lc/ag-ld/amz