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Les Rohingyas désespérés pris dans les tensions à la frontière entre le Bangladesh et le Myanmar

Rohingya fishermen in Bangladesh rely on informal -- often exploitative -- work Kyle Knight/ IRIN
Les tensions s’intensifient dans l’Etat de Rakhine - où la majorité de la population est bouddhiste - alors que des membres de la minorité musulmane des Rohingyas, qui ont vu leur situation humanitaire se détériorer et qui n’ont qu’un accès limité aux moyens de subsistance, sont accusés de faire entrer de la drogue au Bangladesh voisin.

« Nous avons pris beaucoup de Rohingyas avec du ‘yaba’ en leur possession, ce qui veut dire qu’ils sont utilisés pour transporter du yaba », a dit à IRIN le Major-Général Aziz Ahmed, directeur général des Border Guard Bangladesh (BGB). « Nous venons d’ouvrir six nouveaux camps le long de la frontière pour lutter contre l’entrée illégale des Rohingyas et l’introduction de drogues ».

Le ‘Yaba’ est une drogue composée de morphine et d’amphétamines qui cause de forts effets hallucinogènes. Elle permet à ses usagers de rester éveillés pendant des jours. Le Département du contrôle des stupéfiants du gouvernement bangladais a fait état d’une augmentation des saisies de yaba au cours de ces dernières années – d’environ 4 000 comprimés en 2009 à plus de 150 000 en 2013. Selon le rapport mondial sur les drogues 2014 présenté par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le yaba saisi au Bangladesh provient du Myanmar.

Les quelque 800 000 Rohingyas installés au Myanmar sont victimes de persécution et de discrimination depuis de longues années – ils sont reconnus comme apatrides par le droit birman. Le gouvernement du Myanmar les considère comme des immigrants clandestins originaires du Bangladesh et les qualifie de ‘Bengalis’. Pour sa part, le gouvernement bangladais souhaiterait que les réfugiés Rohingyas installés sur son territoire soient rapatriés.

Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Bangladesh compte entre 200 000 et 500 000 Rohingyas. Seulement 30 000 d’entre eux sont munis de papiers et hébergés dans les deux camps gérés par le gouvernement avec l’aide de l’agence, à 2 km du Myanmar. La majorité des Rohingyas se sont installés dans des campements informels ou vivent dans des villes ou des communes dans des « conditions déplorables », selon Médecins Sans Frontières (MSF).

Les violences communautaires dans l’Etat de Rakhine ont entraîné le déplacement [  ] de plus de 140 000 Rohingyas et contraint beaucoup d’autres à franchir la frontière avec le Bangladesh. Les conditions sont loin d’être remplies pour leur retour.

Au mois de mars, les travailleurs humanitaires internationaux ont été contraints de fuir l’ouest du pays, après avoir été pris pour cible par des groupes de bouddhistes qui ont jeté des pierres sur les logements et les bureaux des travailleurs humanitaires accusés de favoriser les Rohingyas à Sittwe. Depuis, les organisations cherchent une solution pour revenir dans l’ouest du pays.

Kyung-wha Kang, Sous-secrétaire général des Nations Unies chargée des affaires humanitaires et Coordinatrice adjoint des secours d’urgence, a visité les camps de PDIP [personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays] de l’Etat de Rakhine le 13 juin. Elle a qualifié la situation d’« épouvantable, avec un accès très insuffisant aux services de base, notamment la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement ». Les camps de PDIP hébergent plus de 140 000 Rohingyas.

Les autorités et les experts indiquent que les Rohingyas sont de plus en plus exposés à l’exploitation et aux risques, en raison du manque d’accès humanitaire, des mesures de sécurité draconiennes des deux côtés de la frontière, de la misère omniprésente dans l’Etat de Rakhine et de la réticence du Bangladesh face à l’aide humanitaire.

Dans une évaluation de la sécurité réalisée en 2013 dans la région, 60 pour cent des personnes interrogées ont dit que le trafic de stupéfiants impliquant les « populations les plus démunies sur le plan économique et les plus marginalisées pour transporter la drogue » constituait une activité transfrontalière importante.

« Bien que nous n’ayons aucune preuve que des Rohingyas aient transporté de la drogue entre le Myanmar et le Bangladesh, le fait d’exploiter des populations extrêmement vulnérables et de leur confier des tâches non qualifiées et dangereuses … est courant à travers le monde », a dit Jeremy Douglas, représentant de l’Office régional de l’ONUDC pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Bangkok, en Thaïlande.

« Il ne s’agit pas de blâmer les Rohingyas pour leur implication, mais de comprendre que cela arrive en raison de leur vulnérabilité et de leur manque de possibilités de revenus ».

Les Rohingyas sont rejetés

« [Les Rohingyas] créent une pression énorme sur une situation socio-économique, environnementale et sécuritaire déjà précaire à Cox’s Bazar et dans les villes voisines », a dit Khaleda Begum, chargée de communication au ministère bangladais des Affaires étrangères.

Les Rohingyas et les tribus montagnardes indigènes se concentrent dans le district côtier de Cox’s Bazar, au sud-est du Bangladesh. La région a des taux d’analphabétisme et de pauvreté parmi les plus élevés du pays. La déforestation a exacerbé l’impact des inondations périodiques le long des côtes.

« Le Bangladesh a fait très clairement savoir qu’il ne pouvait accueillir un nouvel afflux depuis le Myanmar, en raison de l’aggravation de la situation en matière de sécurité, d’ordre public, de société et d’économie, de démographie et d’environnement dans nos régions côtières », a dit Mme Begum.

Le ministère des Affaires étrangères a indiqué que les violences qui secouent l’Etat de Rakhine ont entraîné un blocage du processus de vérification et de rapatriement des 30 000 réfugiés rohingyas enregistrés au mois de juin 2012.

« Il est absolument nécessaire de reprendre et d’achever le rapatriement des réfugiés afin que les deux pays puissent initier les processus consulaires nécessaires au retour des millions de musulmans du Myanmar sans papiers qui sont originaires de l’Etat de Rakhine et qui vivent aujourd’hui au Bangladesh », a dit Mme Begum.

Elle a également noté que « Le déni persistant des droits de citoyens des musulmans de l’Etat de Rakhine et la restriction systématique de la plupart de leurs droits fondamentaux et de leurs libertés » représentaient un obstacle important au processus de rapatriement.

La situation humanitaire des Rohingyas du Bangladesh est, sur certains points, semblable à celle des Rohingyas du Myanmar. En août 2012, les autorités du Bangladesh ont demandé à trois organisations non gouvernementales (ONG) - MSF, Action contre la Faim et Muslim Aid UK – de suspendre la fourniture d’aide humanitaire aux réfugiés rohingyas sans papiers.

Plus tard dans l’année, les autorités bangladaises ont profité des accusations portées contre les Rohingyas pour de violentes attaques contre des temples bouddhistes et des maisons appartenant à des bouddhistes dans la région de Cox’s Bazar pour justifier des arrestations de masse.

Muktar Hossain, chef de la police de Teknaf, une ville du sud du Bangladesh proche des deux camps officiels, a dit, « Les arrestations de musulmans rohingyas qui entrent ou essayent d’entrer au Bangladesh sont courantes. Nous arrêtons entre un et cinq Rohingyas … au Bangladesh presque quotidiennement ».

Habituellement, un dossier d’immigration clandestine est présenté au tribunal, mais il a reconnu que, « Nous les remettons également aux BGB qui les refoulent ».

Faire la « mule », la seule solution


« Je ne nierais pas les accusations de trafic de drogue contre des Rohingyas utilisés comme mules pour transporter du yaba [passeurs de drogue], mais ils sont très peu nombreux », a dit Mohammad Islam, réfugié rohingya installé au Bangladesh et ancien président du camp de Noyapara pour les Rohingyas à Cox's Bazar. « Certains Rohingyas se lancent dans le trafic de drogue parce qu’ils sont pauvres, pour gagner de l’argent. Les Rohingyas sont en difficulté au Myanmar. Ils meurent là-bas, parce qu’ils manquent de nourriture et de services de base ».

Rafiqul Islam, chef de la police de Naikkhangchhari, une ville bangladaise située à la frontière, a dit à IRIN que la police de la ville avait arrêté des personnes qui franchissaient la frontière avec entre 2 000 et 20 000 comprimés de yaba en leur possession.

« Pendant les interrogatoires, ils parlent de différentes sommes d’argent – allant de 500 à 10 000 takas (entre 6,50 dollars et 130 dollars) – qu’ils reçoivent chaque fois qu’ils font passer du yaba », a-t-il dit.

Chowdhury Abrar, enseignant en relations internationales et coordonnateur de l’Unité de recherches sur les réfugiés et les mouvements migratoires (Refugee and Migratory Movements Research Unit) de l’université de Dacca, a souligné que les accusations de trafic de drogue contre les Rohingyas doivent être resituées dans le contexte politique.

« L’affirmation selon laquelle des Rohingyas sont utilisés comme mules pour transporter du yaba est partiale, elle émane du gouvernement bangladais. Mais s’il arrive que des Rohingyas soient utilisés comme mules pour transporter du yaba – si ces personnes, qui n’ont d’abri ni d’un côté de la frontière ni de l’autre, participent au trafic de drogue pour gagner de l’argent – alors ils courent un plus grand danger encore », a-t-il dit.

M. Douglas de l’ONUDOC a expliqué que « les réseaux de trafic de drogue sont bien organisés et bien financés et ils font appel à des personnes qui n’ont pas grand-chose à perdre pour travailler dans les zones frontalières dangereuses – c’est ce qu’il semble se passer entre le Bangladesh et le Myanmar ».

khk/kk/he-mg/amz



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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