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Les difficultés qui empêchent les femmes d’accéder au système judiciaire afghan

Mahboba Sharieffy, a Community Based Educator (CBE) addresses a health Shura attended by pregnant and lactating mothers in District 8 in Kabul, Afghanistan on the 10th October, 2010. Care International has trained Community Based Educators (CBE's) in each Kate Holt/IRIN
Une meilleure représentation des femmes dans l’appareil judiciaire en Afghanistan aiderait les femmes à porter plainte contre les hommes qui les maltraitent. C’est le raisonnement soutenu par l’Organisation internationale de droit du développement (OIDD) qui a récemment publié un rapport sur le sujet. Le rapport explique les avantages à laisser les femmes occuper des postes clés au sein du système judiciaire afghan, ainsi que les difficultés considérables qui subsistent pour y arriver.

Le rapport de l’OIDD est intitulé Women’s Professional Participation in Afghanistan’s Justice Sector: Challenges and Opportunities (la participation professionnelle des femmes dans le système judiciaire en Afghanistan). Il s’agit du premier volet d’une étude générale visant à « analyser les obstacles juridiques qui empêchent les femmes d’accéder au système judiciaire ». En 2012, l’organisation s’était engagée à mener cette étude, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies qui s’était tenue sur le rôle des femmes au sein du système judiciaire.

Avec la tenue de nouvelles élections prévue en avril et le retrait des troupes internationales, l’Afghanistan entre dans une nouvelle phase de son histoire mouvementée. C’est un moment important pour de nombreuses organisations de la société civile qui espèrent par la même occasion rallier des supports et renforcer les droits de la femme. Leur objectif est de consolider les avancées considérables acquises depuis le départ des talibans en 2001 et de profiter de l’avènement d’un ordre nouveau pour tenter de faire progresser ces droits. C’est également une période risquée ; si les talibans reviennent au pouvoir, ces acquis durement gagnés pourraient être réduits à néant et les femmes seraient une fois de plus obligées de retourner dans l’ombre.

« Le régime des talibans a vraiment été catastrophique pour les femmes en Afghanistan », a déclaré Judit Arenas, directrice des relations extérieures de l’OIDD. « C’est comme si elles avaient été effacées de la société. Elles étaient obligées de se cacher ; elles ont dû se retirer de la vie politique et universitaire, et ne bénéficiaient plus d’aucune protection. Mais, depuis 2002, les femmes tentent en quelque sorte de renaître de leurs cendres, dans un pays où elles ont pratiquement été éliminées des sphères d’influence et de la politique. »

Bien sûr, la situation des femmes a beaucoup progressé au cours des dix dernières années. Des millions de filles ont pu reprendre leur scolarité et il y a une amélioration du taux de mortalité maternelle. D’après le rapport de l’Afghan Women’s Network (AWN) intitulé Women Visioning 2024 (Perspectives d’avenir des femmes en 2024), près d’un tiers des parlementaires sont aujourd’hui des femmes. Elles sont nombreuses à diriger leur propre entreprise et, dans les villes du moins, certaines occupent des postes importants au sein de la communauté. Selon le rapport de l’OIDD, le nombre de femmes inscrites dans les écoles de droit a grimpé de façon spectaculaire.

Les femmes redoutent encore le système judiciaire

Cependant, malgré ces progrès, les pratiques ancrées dans la culture afghane qui portent préjudice aux femmes, ainsi que les violences dont elles sont victimes sont en augmentation. D’après un rapport des Nations Unies, les agressions contre les femmes ont augmenté de 28 pour cent l’année dernière. Si cette hausse spectaculaire peut s’expliquer par une augmentation des dénonciations des violences par les femmes, le nombre des condamnations n’a que très faiblement augmenté en comparaison. « Les femmes sont toujours exposées à des poursuites pour crimes dits moraux, y compris les victimes de viol », a rappelé l’OIDD dans un communiqué de presse.

Dans une société où les pratiques culturelles cautionnent le viol, le mariage forcé et les mutilations génitales des femmes, l’introduction de sanctions juridiques doit se faire sans « froisser les mentalités », a déclaré Mme Arenas. Les femmes qui ont été violées ou agressées sexuellement ont déjà du mal, dans toutes les sociétés, à révéler ces crimes à des hommes, mais dans des communautés où elles ne parlent même pas aux hommes, c’est d’autant plus difficile, a-t-elle ajouté.

« À cause de ce code social de séparation stricte entre les sexes, la faible présence de femmes dans les professions juridiques (avocat, procureur et juge) fait que beaucoup de femmes afghanes continuent de redouter et d’être intimidées par l’appareil judiciaire officiel, ce qui les dissuade ensuite de dénoncer les violences dont elles sont victimes », a affirmé l’OIDD.

Si plus de femmes occupent des fonctions dans l’appareil judiciaire, cela peut contribuer à changer la situation. En 2013, l’étude a révélé que seuls 8 pour cent des juges, 6 pour cent des procureurs et moins de 20 pour cent des avocats étaient des femmes. La plupart des femmes juges travaillent à Kaboul ; c’est dans les provinces, où la discrimination et les violences sont souvent plus présentes, que la représentation féminine au sein du système juridique est la plus faible, d’après le rapport.

« Les stéréotypes de genre sont l’un des obstacles majeurs au changement en Afghanistan… Plus les femmes occuperont des postes à responsabilité, plus ces stéréotypes sexistes tomberont »
La loi sur l’élimination de la violence contre les femmes (Elimination of Violence Against Women, EVAW) de 2009 pénalise 22 types de violence à l’encontre des femmes, notamment le viol, le mariage des enfants et l’interdiction faite aux femmes d’étudier et de travailler. Mais sur le terrain, l’application de la loi se fait lentement. Bien qu’elle découle d’un décret présidentiel, la loi n’a jamais été ratifiée par le parlement, car elle est considérée par beaucoup de parlementaires comme étant contraire aux préceptes islamiques. Les défenseurs des droits ont peur qu’elle soit annulée.

Les défenseurs des droits constatent un « conservatisme important et croissant dans le pays ». Ils estiment nécessaire de faire une distinction nette entre la religion et la tradition, cette dernière servant à cautionner les violences à l’encontre des femmes, car la tradition est perçue comme ayant un fondement religieux.

« Méfiance » à l’égard des droits de la femme

Des progrès ont été réalisés grâce aux liens établis avec les chefs religieux. Ces derniers « peuvent jouer un rôle important dans l’amélioration des droits de la femme simplement en rappelant les principes fondamentaux de l’islam, qui supposent des « droits » et la « justice » pour tous ». Mais d’après le rapport Women Vision 2024, il reste d’énormes obstacles à surmonter, dus à la méfiance suscitée par le mouvement des droits de la femme. En Afghanistan, ce sont les élites politiques qui ont toujours dirigé ce mouvement qui est associé aux politiques de modernisation du gouvernement, ce qui ne fait qu’accroître les tensions entre réformistes et conservateurs depuis des décennies. Les femmes en Afghanistan sont les principales victimes de cette méfiance engendrée par les tentatives passées de modernisation et de laïcité. Les droits de la femme sont souvent perçus comme une conception occidentale et suscitent une certaine méfiance.

« Les stéréotypes de genre sont l’un des obstacles majeurs au changement en Afghanistan. Les femmes sont censées rester à la maison et peuvent à la rigueur devenir institutrices », a déclaré Mme Arenas. « Mais plus les femmes occuperont des postes à responsabilité, plus ces stéréotypes sexistes tomberont », a-t-elle affirmé. Dans un pays où la lutte pour le droit d’aller à l’école constitue déjà une difficulté majeure en soi, c’est une « avancée énorme » que les femmes puissent suivre des carrières juridiques, a-t-elle ajouté. Elle a rappelé que dans beaucoup d’autres pays, où les droits de la femme sont pourtant mieux protégés, ces professions restaient encore difficiles d’accès.

Même s’il y a beaucoup plus d’étudiantes en droit qu’il y a dix ans, il y a un écart énorme entre celles qui sortent diplômées des facultés de droit et de droit islamique et celles qui sont employées dans ce secteur, d’après l’étude de l’OIDD. Malgré les très bons résultats des femmes aux examens en 2012, elles continueront d’avoir un cursus d’études inférieur à celui des hommes.

Bien que certaines des « contraintes soient d’ordre culturel, y compris la pression sociale et les stéréotypes négatifs sur le rôle des femmes dans la société, d’autres sont d’ordre pratique, notamment le manque de transport sécuritaire et de logements adaptés aux femmes qui leur permettraient d’étudier dans les facultés de droit et de droit islamique », est-il précisé dans le rapport. Il serait utile à cet égard de prévoir des transports en commun réservés aux femmes, afin qu’elles puissent se rendre dans les facultés de droit et de droit islamique.

Il est évidemment que la menace sécuritaire qui touche le système judiciaire est un grand obstacle dans l’accès à l’appareil judiciaire. Les agressions sur des fonctionnaires de justice ont augmenté depuis que des membres des talibans « sont jugés et comparaissent devant les tribunaux», a expliqué Mme Arenas. En mars, un juge et son garde du corps ont été abattus dans la province d’Hérat.

pg/cb-fc/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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