Le scrutin présidentiel sera l'un des principaux défis de cette année de transition cruciale dans un pays marqué par près de 35 ans de guerre. Le vote aura probablement lieu en deux tours et la passation du pouvoir est prévue en juillet/août. Les talibans (qui appellent au boycottage des élections) et d'autres groupes anti-gouvernement semblent gagner en confiance en voyant les forces internationales dirigées par l'OTAN se préparer à un retrait complet ou presque complet d'ici la fin de l'année.
Pour les humanitaires et les organisations d'aide, cette année de transition comporte une grande part d'inconnu.
« Nous savons que 2014 sera une année importante pour l'Afghanistan et que les Afghans auront besoin d'un soutien continu de la part de la communauté internationale », a dit Elizabeth Cameron, conseillère politique pour l'Afghanistan chez Oxfam. « Mais nous devons aussi tirer des leçons du passé et investir les fonds humanitaires de manière plus judicieuse pendant cette année de transition. »
Outre les changements potentiels en matière de financement, les humanitaires devront faire face, cette année, à une évolution du conflit, à une pression accrue sur les services de santé essentiels et à des déplacements de populations importants.
Conflit
Le coordonnateur humanitaire des Nations Unies en Afghanistan, Mark Bowden, a dit que les conditions sécuritaires changeantes représentaient sa principale préoccupation en 2014. Il est en effet prévu que les forces de sécurité nationales afghanes (Afghan National Security Forces, ANSF) assument davantage de responsabilités au cours des mois à venir.
« Nous assistons à un changement dans la nature du conflit, dans la façon dont le conflit se déroule. Cela s'explique en partie par le fait qu'il y a plus d'opérations sur le terrain, mais [cette situation] pourrait aussi entraîner plus de déplacements soudains », a-t-il dit à IRIN depuis son bureau de Kaboul.
Selon le Récapitulatif des besoins humanitaires (Humanitarian Needs Overview, HNO) de cette année, « la nature du conflit a changé en 2013 : les parties s'engagent de plus en plus souvent dans des embuscades et des affrontements au sol dans des provinces comme celles de Ghazni, de Khost, de Kunar et de Nangarhar, ce qui entraîne une forte hausse du nombre de victimes civiles ».
Une infographie publiée récemment par l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) montrait une augmentation du nombre de victimes appartenant au camp gouvernemental au cours des cinq dernières années, ainsi que l'expansion géographique des incidents.
Le retrait des forces internationales nuira à l'économie en faisant disparaître des contrats et des emplois locaux. Aidan O'Leary, le chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) en Afghanistan, estime qu'il s'agit cependant d'une étape essentielle par laquelle le pays doit passer.
« Je pense que nous devons reconnaître que la paix, la stabilité et la prospérité à long terme en Afghanistan ne sont pas compatibles avec la présence de 130 000 soldats internationaux et des quelque 100 000 sous-traitants militaires qui les supportent, et que ce n'est donc pas viable », a-t-il dit.
« En matière sécuritaire, nous avons assisté, en 2013, à une escalade constante des incidents et à une augmentation du nombre de régions disputées. Cela provoque évidemment de nombreux problèmes en matière d'accès aux soins de santé, de déplacements de populations et d'insécurité alimentaire aiguë. »
Certains analystes croient que l'élection d'un nouveau gouvernement et le retrait des forces étrangères permettront aux Afghans de se bâtir un avenir plus durable, mais aussi de créer un contexte plus favorable à l'organisation de négociations et à la réconciliation. Les deux camps semblent attendre que l'ordre post-électoral soit rétabli pour envisager la poursuite des pourparlers de paix. Selon les analystes, il est plus probable, vu l'impasse actuelle, qu'une solution à long terme émerge de négociations plutôt que d'affrontements sur le terrain.
Soins de santé
Or, pendant ce temps, le conflit a des répercussions de plus en plus importantes sur la vie des civils et la pression exercée sur les services de santé d'urgence continue de s'accroître.
Le rapport annuel sur la protection des civils de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), publié le mois dernier, fait état de 8 615 victimes civiles en 2013 (incluant 2 959 décès), une augmentation de 14 pour cent par rapport à l'année précédente. Les pertes civiles pour 2013 sont à peine moins élevées que celles enregistrées en 2011 (3 133), l'année considérée comme la plus mortelle du conflit post-2001.
Les auteurs de l'appel humanitaire estiment que 5,4 millions d'Afghans auront besoin de services de santé cette année, contre 3,3 millions l'an dernier. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est de 97 décès par 1 000 naissances et le pays dispose en moyenne d'un travailleur de la santé pour 10 000 Afghans.
Selon un rapport publié le mois dernier par Médecins Sans Frontières (MSF), « les services de santé de base et d'urgence demeurent gravement limités et sont totalement inadaptés pour répondre aux besoins croissants créés par le conflit en cours en Afghanistan ».
Ces besoins sont particulièrement élevés dans les régions que les travailleurs humanitaires ont de la difficulté à atteindre, soit les provinces de Helmand, de Kandahar et du Nuristan.
Déplacement
Les déplacements internes constituent une autre conséquence humanitaire directe de l'accroissement de l'instabilité (et des catastrophes naturelles). Quelque 113 000 nouveaux déplacés par le conflit ont été enregistrés en 2013 en Afghanistan.
Ce chiffre vient s'ajouter aux déplacés internes des années précédentes, aux près de six millions de réfugiés rapatriés et aux plus de 2,5 millions de réfugiés afghans qui vivent toujours à l'extérieur du pays, principalement en Iran et au Pakistan.
« L'Afghanistan continuera d'être confronté à des défis humanitaires assez importants en lien avec les déplacements de populations. Je ne pense pas que nous ayons déployé suffisamment d'efforts pour renforcer la capacité du pays à faire face à ce problème », a dit M. Bowden. « Nous avons apporté notre soutien au gouvernement dans l'élaboration de la nouvelle politique en matière de PDIP, mais il faut maintenant la mettre en ouvre. Les déplacements sont encore un problème majeur qui demeure pourtant négligé en ce qui concerne le type de soutien qu'il obtient. »
La recherche de solutions durables aux vagues de déplacement a été entravée par les tensions en matière de droits à la terre et à la propriété.
« En ce qui concerne les solutions à long terme, je pense que la stabilité et la sécurité d'emploi sont la clé pour faciliter le retour des PDIP [personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays] », a dit Nigel Jenkins, jusqu'à peu directeur pays auprès du Comité international de secours (International Rescue Committee, IRC). Selon la Banque mondiale, entre 400 000 et 500 000 Afghans entreront chaque année sur le marché du travail au cours des 5 à 10 prochaines années. Or, peu d'emplois sont créés, en particulier dans les régions rurales.
« Il y a un gros exode rural, et toutes les villes frôlent la surpopulation. Il y a encore beaucoup d'argent issu de l'aide dans le pays pour le moment, mais je pense qu'il y aura moins d'emplois dans les milieux urbains quand ces fonds se tariront. Il est donc nécessaire de mettre en place une stratégie cohérente pour encourager les gens à retourner [dans les régions rurales] », a ajouté M. Jenkins.
Aide extérieure
Le mois dernier, la communauté humanitaire a lancé le Plan d'action humanitaire commun 2014 (Common Humanitarian Action Plan, CHAP), un appel de fonds de 406 millions de dollars. Cet appel de fonds s'élevait à 474 millions de dollars l'an dernier.
L'appel pour 2013 avait obtenu un certain succès (il avait été financé à hauteur de près de 81 pour cent), mais plusieurs travailleurs humanitaires ont malgré tout dit craindre que d'autres crises ne retiennent l'attention des bailleurs de fonds et que les fonds diminuent dans les années à venir.
« Pour faire face aux défis qui l'attendent, l'Afghanistan a besoin d'un niveau élevé d'aide extérieure. On peut débattre du volume que cela représente, mais il est important de s'assurer qu'il n'y a pas de diminution soudaine de l'assistance humanitaire. Cela aurait en effet des conséquences plutôt désastreuses sur les services sociaux », a dit M. Bowden.
Les équipes provinciales de reconstruction (ÉPR) qui ont mené des projets de développement, souvent dans le cadre d'une stratégie contre-insurrectionnelle, ont maintenant presque complètement disparu. Les opinions des travailleurs humanitaires quant aux résultats des efforts déployés par ces équipes étaient cependant souvent partagées.
En janvier, des travailleurs humanitaires ouvrant au sein d'une ONG à Jalalabad ont dit à IRIN qu'ils avaient constaté une diminution du financement, une réduction des effectifs des Nations Unies et un nombre insuffisant de visites de supervision des bailleurs de fonds en dépit des besoins humanitaires accrus.
« Le financement a diminué, ce qui s'explique par un certain nombre de facteurs », a dit M. Jenkins. « On parle beaucoup du cloisonnement du financement, mais ce qu'ils ne disent pas, c'est qu'ils n'ont plus la capacité de gérer ces fonds et que le financement bilatéral traditionnel, qu'il soit destiné à des organisations individuelles ou à des consortiums, est en quelque sorte en train de se tarir. »
L'aide extérieure représente actuellement environ 70 à 75 pour cent du PIB du pays. Même si la majeure partie de cet argent n'atteint jamais le pays, l'Afghanistan continuera de dépendre de l'aide et restera vulnérable aux diminutions des fonds qui lui seront accordés, en particulier pour le versement des salaires des fonctionnaires.
De nombreux membres de la communauté humanitaire croient qu'une grande partie des fonds destinés à l'aide ou au développement ont été gaspillés au cours de la dernière décennie, et que le retrait des forces internationales pourrait permettre aux organisations de se concentrer sur les besoins plutôt que sur les objectifs des bailleurs de fonds en matière de sécurité.
« Les gens ordinaires n'ont pas bénéficié de cet argent. Seuls ceux qui avaient l'expertise nécessaire pour accéder aux fonds en ont réellement profité », a dit un travailleur humanitaire afghan qui ouvre au sein d'une organisation humanitaire internationale.
L'appel de fonds 2014 met l'accent sur les besoins humanitaires aigus, et non sur le sous-développement chronique. Mme Cameron, d'Oxfam, estime que des fonds devraient aussi être consacrés au renforcement de la résilience : « L'établissement d'un lien entre le travail humanitaire et le développement à long terme permettrait de s'assurer que les Afghans bénéficient d'un soutien pendant un certain temps encore et qu'ils ont les outils pour résister aux chocs qui affectent leurs vies et leurs moyens de subsistance. »
Pour certains travailleurs humanitaires, 2014 sera l'année où la « bulle d'aide artificielle » commencera à se dégonfler, et où la situation, plus viable, évoluera à une échelle plus réaliste.
« L'Afghanistan ne s'est pas encore remis du fait que l'aide fournie, même l'aide humanitaire, était d'abord et avant tout liée à la sécurité. Et je pense que les Afghans sont d'accord avec moi sur ce point », a dit M. Bowden. « Il ne sera pas facile de s'écarter [de ce mode de fonctionnement] pour s'orienter vers un processus humanitaire et de développement plus normal. Il faut qu'il y ait un soutien international continu et relativement important si nous souhaitons éviter un choc majeur pour l'économie et la population. »
Perspectives générales
Selon l'OCHA, « le scénario le plus probable pour 2014, c'est qu'une détérioration constante de la situation actuelle mène à un accroissement continu des besoins humanitaires ainsi qu'à un rétrécissement de l'espace humanitaire ».
Certains travailleurs humanitaires ont dit à IRIN, en privé, qu'ils étaient inquiets face aux perturbations causées par la période électorale, aux niveaux élevés de corruption et à la recrudescence de la criminalité et du chômage.
« Les élections et le retrait [des forces étrangères] provoquent une certaine panique, en particulier chez le personnel afghan », a dit un travailleur humanitaire international qui a demandé à garder l'anonymat. « Les travailleurs expatriés sont plus prudents, mais ils sont aussi nombreux à partir. Les fonds se tarissent, le pays est négligé. Même les médias ne s'intéressent plus qu'à la politique. Il n'y a pas de véritable engagement de la part de la communauté internationale. »
« 2014 est considéré comme une année désastreuse », a dit un travailleur humanitaire afghan ouvrant au sein d'une ONG. Pour les travailleurs humanitaires, l'Afghanistan restera probablement l'un des pays les plus dangereux au monde.
Aidan O'Leary, de l'OCHA, dit qu'ils continueront malgré tout de faire leur travail.
« Je pense que les principaux acteurs du système humanitaire se sont engagés à rester en 2014 et après. Le défi pour nous tous, collectivement, est de trouver la façon la plus efficace et la plus efficiente de faire face à cette situation. »
jj/cb-gd/amz
This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions