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Au sein du mouvement anti-soulèvement en Syrie

A demonstration in support of Bashar al-Assad in autostrad Mezzeh, Damascus on 15 June 2011 Germano Assad/IRIN
A Alep, la capitale commerciale syrienne, des affiches disséminées dans toute la ville parlent d’une communauté qui jusqu’à récemment, ne s’est guère fait entendre durant les violents événements de cette dernière année.

Ces affichent affirment que l’opposition à l’Intifada, c’est-à-dire la rébellion, ne signifie pas nécessairement un soutien au régime.

Cette objection ressemble à cet épisode de juillet dernier à Damas, la capitale, où les chrétiens, qui n’avaient pas jusqu’alors rejoint en masse le mouvement de protestation, ont couvert les murs du quartier de Bab Tuma avec des affiches dénonçant les « cérémonies du vendredi » menées par des fidèles au régime ; ces célébrations avaient lieu tandis que des agents de sécurité et des civils se faisaient tuer.

Depuis mars 2011, ce qui avait commencé par des manifestations pacifiques contre le président Bachar al-Assad s’est transformé de plus en plus en une rébellion armée.

De nombreux Syriens, dont des dissidents, sont opposés au soulèvement qui dure depuis presque un an, non pas parce qu’ils soutiennent M. al-Assad qui a été accusé par le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme d’avoir, en réprimant les manifestants, commis des crimes contre l’humanité, mais parce qu’ils craignent pour l’avenir de leur pays si le président n’était plus là. 

Ces personnes, désignées comme loyalistes, décrivent le soulèvement comme une crise, “azmah” en arabe, une phase difficile dont le gouvernement finira par venir à bout.

Alors que la communauté internationale se tourne de plus en plus contre M. al-Assad, les analystes remarquent qu’une proportion relativement constante de Syriens ont gardé une position détachée, voire hostile, vis-à-vis de l’“opposition”. Leurs raisons vont d’un désir de stabilité, même s’il faut avoir recours à l’autoritarisme nécessaire pour la sauvegarder, à l’idée que les membres de l’opposition sont intrinsèquement violents et radicaux. Les minorités ethniques voient le soulèvement à travers le prisme de gens qui tiennent à leur survie, et ce prisme est déformé par ce que raconte le régime et par des histoires personnelles. Cette réalité a encore contribué à polariser les versions des événements et réduit les chances de réconciliation. IRIN a prêté une oreille attentive à ces segments de la population dont la voix a souvent été couverte par les manifestations et les coups de feu.

Un nouvel Irak ?


Dans la violence de sa réponse au soulèvement, le gouvernement syrien a défini la situation pour les Syriens qui se sont abstenus de manifester comme un choix entre la stabilité (`istiqrar’) et le chaos (`fawda’), « l’inconnu » étant le résultat de la chute [du régime], notent les analystes.

« Même si la révolution était pacifique, les Alaouites n’accepteraient pas de renverser le régime, car cela entraînerait des conséquences néfastes pour tous les Syriens, » a fait remarquer Aref*, un artiste de 26 ans  d’un village situé aux abords de la cité portuaire de Latakia, à l’ouest du pays. Aref appartient à la secte minoritaire de M. al-Assad, celle des Alaouites.

De nombreux chrétiens de Syrie rappellent, comme exemple, l’histoire du million de réfugiés irakiens, dont beaucoup de chrétiens, qui se sont enfuis en Syrie pour échapper à la violence sectaire dans leur pays.

« Sans dialogue, la Syrie va devenir un nouvel Irak, » a déclaré en février l’évêque chaldéen d’Alep.

De récents rapports indiquant qu’Al-Qaida et divers groupes sunnites de jihadistes arrivaient d’Irak pour rejoindre la lutte armée contre M. al-Assad, ont encore davantage inquiété les minorités syriennes, dont certaines ont déjà commencé à s’enfuir, poussées par la peur.

Un sondage de The Doha Debates datant de la mi-décembre a indiqué que 55 pour cent des Syriens voulaient que M. al-Assad reste au pouvoir, en grande partie parce qu’ils craignent pour l’avenir du pays. (1 000 personnes ont répondu à ce sondage ; 46 pour cent d’entre eux étaient du Moyen-Orient).

Les minorités

Près de 11 pour cent de la population syrienne, dont la famille au pouvoir, est adepte de l’alaouisme, une forme dérivée de l’islam chiite. La minorité alaouite règne sur un pays majoritairement sunnite depuis 1970, date à laquelle Hafez al-Assad , le père de Bachar, a pris le pouvoir par un coup d’Etat.
Inquiète de ce que pourrait être l’avenir dans une Syrie post-Assad, la majorité de cette secte a ignoré les manifestations ou s’y est opposée.

« Les Alaouites en général ont de bons souvenirs de l’époque d’Hafez al-Assad. Pour eux, c’était quelqu’un qui a réussi a donner de la stabilité à un pays chaotique, » fait remarquer Fadwa*, une jeune femme alaouite de 27 ans, diplômée de maths, qui vit à Salhab, ville proche du point central de la résistance, Hama. Ses paroles reflètent une volonté de donner précédence à la stabilité sur les droits humains. Les Syriens jouissaient d’une plus grande liberté dans les années 1950, période « instable », avant de rejoindre l’Egypte dans la République arabe unie (RAU) en 1958.

La stabilité est également cruciale pour les bénéficiaires interconfessionnels (`mustafidin’) liés au régime, comme le montre la loyauté de la bourgeoisie sunnite-chrétienne à Alep et Damas. S’assurer le soutien des commerçants des villes a été une constante chez les dirigeants baasistes, même sous Hafez al-Assad, qui a réussi à empêcher les classes commerçantes de Damas de se joindre au soulèvement islamiste des années 1980, en co-optant le directeur de la Chambre de Commerce de Damas, Badr al-Din al-Shallah.

Mais le soutien des classes moyennes supérieures montre des signes d’usure : les premières manifestations ont eu lieu dans le quartier aisé de Mezzeh à Damas le 18 février. Au fur et à mesure que les pénuries de pain et de carburant s’étendent, et avec la réduction des actifs des banques privées, la diminution du tourisme et le doublement du taux d’inflation, les commerçants sunnites et chrétiens dans les villes se trouvent de plus en plus affectés par la situation.

La perception de la violence

Mais l’idée, très répandue, d’une opposition violente et radicale inquiète encore beaucoup de gens.

 L’opposition est composée de plusieurs groupes divergents qui ont le même but, mais des approches différentes. Ce qu’on appelle les Comités de coordination locaux de Syrie sont des regroupements d’activistes vaguement  affiliés qui organisent les manifestations sur le terrain. Le Conseil national syrien (SNC) est le principal groupe politique d’opposition à l’étranger. Quant à l’Armée syrienne libre (FSA),  elle rassemble des déserteurs et des civils qui ont pris les armes. Cela peut donner une impression de cohésion et de hiérarchie, mais pour les analystes, ce n’est pas le cas pour la plus grande partie de l’opposition. Et ils ne rejettent pas la possibilité que des terroristes extérieurs au pays essaient de tirer profit de l’agitation, comme le prétend le gouvernement.

Aref, par exemple, pense que la FSA dissimule d’autres groupes armés, une inquiétude soulignée par l’International Crisis Group (ICG) dans son dernier rapport sur la Syrie.

« Même s’ils partagent les demandes légitimes de la révolution, les Alaouites ont eu peur et ont été perturbés par les événements sanglants, » a indiqué Anisa*, une Alaouite de 26 ans originaire d’un village voisin de Hama, et qui détient un master d’économie.

« Il est difficile [pour les loyalistes] de changer leur position… parce que c’est une guerre existentielle. »
Selon Fadwa, la diplômée de maths, certains de ses amis ont commencé comme dissidents, mais ils ont changé de camp par peur d’un soulèvement islamiste.
 
Certes le régime s’efforce de diaboliser ses opposants pacifiques depuis le début des manifestations, mais il est vrai que les efforts initiaux du mouvement d’opposition pour se présenter comme entièrement pacifique - malgré le recours évident à la violence par certains éléments  – ont également entaché sa crédibilité.

Même les Alaouites les plus ouverts se disent de plus en plus inquiets de l’escalade des attaques contre les forces gouvernementales et craignent que le pays ne tombe dans un conflit sectaire.

« La FSA devrait limiter ses opérations à la protection des manifestants et s’abstenir d’attaquer l’armée, car cela risque de diviser l’armée selon des critères sectaires, » a déclaré Fadwa.

Divisés par le sectarisme

La majorité des conscrits de l’armée syrienne sont des sunnites qui n’ont pas nécessairement une grande confiance dans l’élite au pouvoir qui constitue l’essentiel de l’appareil sécuritaire.
Ibrahim al-Hajj ‘Ali, membre des Frères Musulmans d’Alep, et officier ayant déserté pour coordonner les insurgents armés, reconnaît qu’il a plus de chances de convaincre les soldats sunnites qui lui sont proches de déserter que des « membres de la secte syrienne au pouvoir. »

L’ICG dit que la FSA a capturé des officiers de sécurité syriens et les a forcés à confesser qu’ils ont fait usage de la violence contre les manifestants ou qu’ils ont reçu l’ordre de tirer sur tout ce qui bouge.

«La publication par la FSA des confessions forcées d’officiers de sécurité capturés, qui dans un cas au moins, montraient des signes évidents de torture, sert de première mise en garde, » a dit l’IGC.
 
La FSA affirme que les soldats qui refusent de tirer sur des manifestants non armés désertent d’eux-mêmes.

Mais Bushra*, 28 ans et employée de banque de Mahrusah, un village voisin de Hama, a indiqué connaître un cas où des insurgés ont tué un agent de sécurité après l’avoir forcé à annoncer sa désertion à la radio. Son histoire est difficile à vérifier mais elle en reflète beaucoup d’autres qui sont répétées au sein des cercles loyalistes.

Une menace existentielle

Toutes les histoires de ce genre ont contribué à forger une perception de l’opposition comme étant profondément sectaire.

« S’il y a une guerre civile, ils ne vont pas faire de différence entre les Alaouites loyalistes et les dissidents, » a fait remarquer Bushra. « La parole du régime est la seule qui soit capable de nous protéger. »

Selon Aref, l’opposition a diabolisé la communauté alaouite, la dépeignant comme une entité indivisible du régime, un gang unique de `shabiha’ (des voyous loyalistes). « Ils ont oublié notre contribution à l’histoire syrienne, tous les penseurs alaouites progressistes. »

Les Alaouites sont tout en haut de la liste des minorités religieuses qui en sont arrivées à lier leur survie à la permanence du régime, en oubliant totalement qu’ils appartenaient à l’histoire de la Syrie, des siècles avant que la famille Assad ne parvienne au pouvoir.

Dès avril 2011, des postes de contrôle s’étaient mis en place dans le quartier de Sitta wa Thamaneen à Damas, un bastion alaouite qui abrite de nombreux membres inférieurs des services de sécurité et l’été dernier, des familles alaouites de certains centres urbains, craignant pour leur sécurité,  ont commencé à retourner vers les régions rurales dont elles sont originaires.

« Certains Alaouites sont convaincus qu’ils vont finir par être assiégés par des fondamentalistes sunnites, » a dit Aref, « et ils se préparent à faire face à cette menace en s’armant. »

Et tout cela malgré le fait que le statu quo pour lequel ils sont prêts à se battre n’a accordé de privilèges qu’à un « cercle restreint », a noté Anisa, la diplômée en économie. « Ceux qui font partie des forces de sécurité et de l’armée sont tout en bas de la société, tandis que ceux qui ont profité du régime peuvent se permettre d’envoyer leurs fils travailler ou étudier à l’étranger. »

Si la révolution  réussit, les Alaouites impliqués dans la répression des Sunnites pourraient fuir en masse vers leur patrie montagneuse, a indiqué l’ICG. Ceci pourrait pousser les Sunnites à les attaquer, pour se venger. Mais, a t-il ajouté, les Sunnites pourraient aussi attaquer les communautés qui n’ont joué aucun rôle dans la répression, augmentant le risque de verser dans un conflit sectaire.

Ils ne parlent pas la même langue


Les analystes relèvent qu’en diabolisant l’adversaire,  l’opposition et les loyalistes ont commencé à parler deux langues diamétralement opposées.

C’est peut-être pour échapper à ce qu’ils considèrent comme une réalité effrayante que beaucoup d’Alaouites clament ouvertement leur certitude que le régime vaincra.

« Le gouvernement survivra ; les Alaouites n’ont aucun doute sur la question… et le gouvernement, en mettant fin à la crise, sera encore plus fort qu’avant, » a dit Bushra.

« La plupart des Alaouites pensent que les chaînes satellites Al-Jazeera et Al-Arabiyya donnent à la révolution plus d’importance qu’elle n’en a, » a ajouté Fadwa. Mais les observateurs, en particulier parmi les Alaouites, manquent d’objectivité face à l’opposition et sont trop influencés par la propagande du régime.

La polarisation de la présentation des événements a accentué les clivages dans la façon dont les communautés réécrivent l’histoire.

Aref se souvient du massacre de 1982 à Hama [le gouvernement aurait à cette occasion tué au moins 10 000 personnes d’un coup pour écraser une révolte islamiste] comme étant le résultat d’une confrontation politique avec les fondamentalistes des Frères Musulmans, qui s’était résolue en faveur du gouvernement, grâce au double soutien des Alaouites et des Sunnites. Al-Hajj, le déserteur qui fait partie des Frères Musulmans, se rappelle les événements de Hama comme le début d’une lutte incessante contre le régime, avec la seule différence qu’à cette époque, les caméras n’étaient pas là pour enregistrer les crimes du régime.

Quoi qu’il en soit, les loyalistes interrogés pour ce rapport n’ont joué aucun rôle dans la répression et ont pris des mesures pour garder leurs distances vis-à-vis du régime. Certains acceptent l’idée d’élections démocratiques dans un avenir proche comme moyen de sortir du conflit.

«Les fondamentalistes doivent être marginalisés si nous voulons des élections justes, » a indiqué Aref.

Mais tout en étant prêts à concevoir une Syrie sans M. al-Assad, les loyalistes restent inquiets à l’idée d’un renversement brutal du gouvernement et insistent sur la nécessité d’obtenir de l’opposition davantage de garanties de stabilité et plus de transparence sur ses opérations armées.

Raja’a*, une chrétienne de 26 ans de Damas qui soutient sans grand enthousiasme l’opposition, a regretté que le Conseil national syrien se concentre sur le renversement du régime, sans donner aucune garantie sur le sort futur des minorités.

« On ne sait pas trop (que penser du SNC)… Ses déclarations se limitent au départ du gouvernement, mais après… nul ne sait ce qui va se passer. »

A la question de savoir ce qu’il faudrait pour convaincre ceux qu’on nomme les loyalistes, elle a répondu : “Malheureusement, c’est difficile pour eux de changer leur position… parce que c’est une guerre existentielle. »

*Un nom d’emprunt

ag/ha/cb-og/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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