Le PSNP prétend jeter une passerelle entre les secours d’urgence et l’aide au développement à long terme et favoriser la résilience de la population.
À l’origine, le programme existait dans quatre régions : Tigré, Amhara, Oromia, et la Région des nations, nationalités et peuples du Sud. Il a ensuite été étendu aux régions plus reculées d’Afar (en 2006) et du Somali, selon la Banque mondiale, l’un de ses principaux bailleurs de fonds.
Le gouvernement éthiopien consacre 1,1 pour cent de son PIB au PSNP et au Programme de construction d’actifs pour les ménages (Household Asset Building Program, HABP), un dispositif complémentaire.
Ces deux programmes sont en grande partie financés par les bailleurs de fonds. La phase actuelle du PSNP (2010-2014), HABP compris, coûte plus de deux milliards de dollars. Les bailleurs de fonds sont notamment la Banque mondiale, l’Association internationale de développement (International Development Association, IDA), l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), l’Agence danoise pour le développement international (DANIDA), le ministère britannique du Développement international (DFID), la Commission européenne, l’Agence suédoise d’aide au développement international (SIDA, en anglais), les gouvernements du Canada, de l’Irlande et des Pays-Bas, le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
Selon le DFID, le PSNP distribue de la nourriture ou de l’argent à six à huit millions d’Éthiopiens en situation d’insécurité alimentaire chronique pendant six mois par ans. Au moins 85 pour cent des bénéficiaires reçoivent des transferts monétaires en échange de travail pour des projets d’utilité publique à petite échelle. Ces projets sont choisis par la communauté et contribuent à la réhabilitation environnementale et au développement économique local. Quinze pour cent des bénéficiaires obtiennent un « soutien direct » sans conditions (les handicapés, les personnes âgées et les femmes enceintes ou allaitantes).
Les bailleurs de fonds et le gouvernement se sont rendu compte au fil du temps que le PSNP n’aidait pas réellement les personnes n’ayant pas ou peu d’actifs à résister aux chocs et qu’il ne leur permettait pas de passer de l’insécurité alimentaire chronique à la sécurité alimentaire.
Le HABP a donc été introduit en 2010 pour aider la population à développer des moyens de subsistance et à créer des actifs productifs. Il comprend des crédits, des services de vulgarisation agricole, des conseils de micro-entrepreneuriat et des liens commerciaux. « Ces initiatives aident les ménages à se constituer une base d’actifs, à diversifier leurs moyens de subsistance, à atteindre la sécurité alimentaire et à s’affranchir ainsi du PSNP », explique le DFID.
Le HABP a jusqu’à présent apporté des conseils techniques sur l’amélioration des moyens de subsistance à 1 059 044 foyers, dont 812 655 ont préparé un projet d’entreprise.
Selon le gouvernement, environ 495 995 foyers se sont affranchis du PSNP entre 2008 et 2012 sur plus de sept millions de bénéficiaires (jusqu’en 2012), un chiffre que certains fonctionnaires éthiopiens considèrent comme faible. Un foyer est « affranchi » lorsqu’il peut répondre à ses propres besoins alimentaires pendant les douze mois de l’année et peut supporter des chocs modestes sans recevoir d’argent ou de nourriture du PSNP.
Dans une étude récente, l’université d’Oxford a classé l’Éthiopie au deuxième rang des pays les plus pauvres du monde, après le Niger.
Sur le terrain
Duba Oundanumo, chef du qebelé (division municipale) d’Anderkelo, une communauté pastorale de la région aride d’Afar, dans le nord-est du pays, qui dépend souvent de l’aide alimentaire, ne pense pas que le PSNP puisse aider la population à sortir de la pauvreté chronique et de l’insécurité alimentaire dans un futur proche.
« Il est très difficile pour ces familles d’atteindre la sécurité alimentaire. Elles sont trop pauvres [...] Lorsque vous n’avez rien – pas de bétail [pas d’actifs] – il est très difficile de se remettre des chocs [comme les sécheresses] », a-t-il dit.
Selon Fatuma Ahmed, 20 ans, éleveuse pastorale dans le secteur, les personnes très pauvres ont besoin de plus de soutien que celui apporté par le PSNP. « Nous avons besoin de pouvoir contracter des microcrédits auprès de coopératives pour acheter du bétail, d’aide à l’irrigation pour pouvoir cultiver. »
La communauté a créé une zone de pâturage protégée en échange de nourriture du PAM, l’un des partenaires d’exécution du PSNP.
Le PSNP est mis en oeuvre dans des localités aussi reculées que Sebana-Demale, un village à 60 km de la dépression de Danakil, dans la région Afar, l’un des endroits les plus chauds de la planète, où le thermomètre affiche 40 degrés Celsius ou plus tout au long de l’année. Le village n’est accessible qu’à la saison sèche.
Selon des sources au sein du gouvernement, la priorité actuelle est de donner accès au PSNP dans l’ensemble des régions Afar et Somali. Le HABP viendra ensuite.
L’aide n’a pas protégé les moyens de subsistance
Depuis des décennies, à cause de la sécheresse et de l’incapacité à produire suffisamment de nourriture, des millions d’Éthiopiens ont sombré dans la faim. Selon la Banque mondiale, l’agriculture représente 45 pour cent du PIB éthiopien et est une source de revenus pour 80 à 85 pour cent de la population du pays. « Toute variation dans les précipitations ou dans les cours mondiaux (du café), aussi faible soit-elle, a un effet sur les revenus de 30 à 40 millions de personnes et peut être synonyme de faim pour 10 à 15 millions de personnes », estime la Banque.
« C’est par l’aide d’urgence que l’on a répondu à la majorité des besoins prévisibles (chroniques) comme imprévisibles (aigus ou transitoires) [en Éthiopie] », a dit la Banque mondiale. Si l’aide a sauvé des millions de vies au fil des décennies, elle n’a pas protégé les moyens de subsistance ni les actifs de la population. « L’impossibilité de savoir quand et en quelles quantités les ressources d’aide arrivent par le biais des secours d’urgence fait qu’il est difficile de répondre à autre chose qu’aux besoins humanitaires », a précisé la Banque.
Pendant ce temps, le débat continue dans le milieu de l’aide sur la manière de déterminer si un foyer est réellement en situation « d’insécurité alimentaire », car certains ménages considérés comme « affranchis » de l’aide sont retombés dans la pauvreté après quelques chocs. IRIN n’a trouvé personne n’ayant plus besoin de programme d’aide dans les villages visités dans la région Afar.
Évaluation
« La mise en oeuvre du PSNP dans les régions Afar et Somali, en Éthiopie, est [un projet] ambitieux », a dit John Hoddinott, agrégé supérieur de recherches à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), qui a dirigé l’évaluation la plus récente des impacts du PSNP et du HABP pour la Banque mondiale en 2012.
« Si les taux élevés d’insécurité alimentaire chronique indiquent qu’il existe un réel besoin de filets de sécurités, le mauvais état des infrastructures et la population fortement dispersée rendent leur mise en oeuvre difficile. Le programme a permis de réduire l’insécurité alimentaire, mais des efforts supplémentaires devront sûrement être menés pour renforcer [son] efficacité en 2014 et au-delà », a-t-il ajouté.
« Le PSNP a amélioré de manière significative la sécurité alimentaire dans toutes les régions entre 2010 et 2012 », estime l’évaluation – issue de la collaboration entre l’IFPRI, l’Institut d’études sur le développement et Dadimos Consulting en Éthiopie. « Des différences persistent selon les régions en matière de sécurité alimentaire, mais elles s’estompent. La sécurité alimentaire s’est améliorée pour les foyers dirigés par un homme comme pour ceux dirigés par une femme ». Le programme a également restauré l’environnement et les ressources naturelles et amélioré l’accès à l’éducation et aux soins de santé.
Selon l’évaluation, en 2010, le PSNP et le HABP ont à eux deux amélioré la sécurité alimentaire 2,5 fois plus que le PSNP tout seul.
« Dans les montagnes, le PSNP est bien ciblé. Les bénéficiaires sont plus pauvres et souffrent davantage d’insécurité alimentaire que les non-bénéficiaires », a révélé l’évaluation. Mais le PSNP est « mal ciblé dans l’Afar et le Somali », est-il précisé. Dans certains secteurs, « les bénéficiaires sont choisis par des chefs de qebelé ou de clan, sans participation de l’ensemble de la communauté ». En outre, l’identification des candidats éligibles a été entachée d’allégations sporadiques d’influences politiques dans la constitution des listes des bénéficiaires potentiels du PSNP, même si les évaluations précédentes ont montré que ce n’était pas systématique.
Nourriture ou argent ?
La population n’est par ailleurs pas satisfaite des 15 kg de céréales distribués par le PAM comme paiement mensuel des travaux d’utilité publique réalisés dans le cadre du PSNP. « Nous avons besoin d’autres produits – de l’huile, des haricots peut-être », a dit Amina Aliyou, une habitante de Sebana-Demale.
Pourtant, selon Hakan Tongul, directeur de programmes du PAM, la quantité distribuée est réfléchie : « ce n’est pas censé couvrir les besoins alimentaires de la famille » et cela devrait plutôt être strictement considéré comme un « paiement pour des travaux d’utilité publique ».
M. Tongul a remarqué que la PAM souffrait également de « pénuries de ressources et de demandes concurrentes pour répondre aux besoins de développement des communautés ou des agricultrices. Les interdépendances n’en sont donc que plus importantes. Nous, au PAM, avons cherché à acheter du maïs d’Asaita [une ville d’Afar] et c’est probablement ce que nous ferons avec la prochaine récolte et c’est ce genre de liens commerciaux qui contribuent fortement au développement. »
Une autre façon de supprimer la dépendance à l’aide alimentaire étrangère est d’acheter de la nourriture des zones excédentaires du pays, chose qui se fait déjà en Éthiopie, a-t-il ajouté.
Le DFID envisage de passer graduellement des paiements en nourriture aux transferts monétaires, qui laissent davantage de revenus disponibles entre les mains des habitants, leur permettant ainsi de développer leurs actifs. La nourriture représente actuellement plus de 40 pour cent des ressources totales du PSNP. Selon le DFID, d’autres changements devraient être apportés au programme dans sa phase 2015-2020.
« Au bout du compte, les succès du PSNP jusqu’à présent sont un exemple pour d’autres pays en développement de ce que la volonté politique peut parvenir à faire. Le gouvernement éthiopien est profondément résolu à faire en sorte que ce programme fonctionne et il fera tout ce qu’il peut pour permettre à sa population de ne plus être dépendante de l’aide alimentaire pour de bon », a dit un travailleur humanitaire sous couvert d’anonymat.
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