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L’histoire de deux soldats – d’anciens leaders maliens appelés à rendre des comptes

Amadou Toumani Touré, President of Mali Eskinder Debebe/UN Photo
Alors que le Mali amorce une période difficile de réconciliation nationale et de reconstruction d’un État divisé, deux figures clés de l’histoire récente – l’ancien président Amadou Toumani Touré et le général Amadou Haya Sanogo, auteur d’un coup d’État en 2012 – sont appelées à rendre des comptes.

Retour à la case départ

Amadou Toumani Touré, 65 ans, est connu de tous par ses initiales, ATT. Souvent décrit comme « le bon soldat », il était chef de la garde présidentielle et des bérets rouges, un régiment de parachutistes d’élite. ATT prit le pouvoir le 26 mars 1991, destituant le président Moussa Traoré après une période de manifestations de masse férocement réprimées par les forces de sécurité.

Vingt-deux ans plus tard, en 2012, ATT fut chassé du palais présidentiel par un coup d’État improvisé par des officiers subalternes appartenant aux bérets verts de l’armée malienne. Les officiers étaient affligés par ce qu’ils considéraient comme une débâcle de l’armée nationale et une série de défaites humiliantes face aux insurgés du Nord.

Malgré les élections et le rétablissement d’un gouvernement civil, ATT se trouve toujours en exil au Sénégal et est accusé de « haute trahison » pour n’avoir pas réussi à défendre le Mali contre les séparatistes touaregs et les djihadistes.

Dans les années 1990, ATT était souvent qualifié de modèle pour les dirigeants africains. Il présida le pays pendant les 14 mois décisifs de transition au cours desquels se tint au Mali la première conférence nationale visant à planifier l’avenir du pays, les autorités et les Touaregs signèrent un pacte national pour résoudre les problèmes du Nord et le pays organisa les élections de 1992, gagnées par Alpha Oumar Konaré, ATT ayant ostensiblement refusé de se présenter.

À l’extérieur du Mali, la réputation d’ATT fut rehaussée par ses efforts de médiation dans la région des Grands Lacs et en République centrafricaine. On l’associe également à des campagnes d’éradication du ver de Guinée et de promotion des droits des enfants qui eurent un grand retentissement.

ATT devint président en 2002, après quelques sérieuses difficultés. Mais les élections de 2007 furent bien plus mouvementées. Selon les observateurs politiques au Mali, lors du coup d’État de mars 2012, l’assise électorale d’ATT était sensiblement fragilisée.

Réputation contre réalité

Selon Kadidia Sangaré Coulibaly, président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), la réputation d’ATT à l’étranger était exagérée.

« J’assistais à des conférences et je repartais embarrassé », a dit M. Sangaré à IRIN. « On me disait tout le temps que notre pays était un modèle de démocratie, très fort dans le domaine des droits de l’homme. Mais ATT ne voulait même pas rencontrer notre organisation. Il voulait que les gens ne lui apportent que de bonnes nouvelles. »

M. Sangaré considère avec mépris la politique « consensuelle » associée à la présidence d’ATT. « Cela signifiait qu’il n’y avait aucune opposition, aucune critique, aucun débat et cela ne peut pas être bon dans une démocratie ».

« Le pouvoir n’est pas quelque chose que l’on peut couper comme un gâteau et distribuer aux personnes que l’on aime bien. [ATT] a oublié que c’est la compétence qui compte au moment de choisir quelqu’un. Nous nous sommes retrouvés avec un clan qui dirigeait les choses. »

Pour M. Sangaré, le coup d’État n’était pas une surprise. « J’avais envie de dire à ceux qui admiraient le Mali : “Ha ! Voyez donc votre modèle de démocratie.” Je dois dire que le coup d’État était une mauvaise chose en soi, mais nécessaire pour le bien de tous. »

Selon Mamadou Samaké, universitaire rattaché au ministère de l’Environnement, le népotisme et la corruption de masse ne représentaient cependant qu’une partie de la réalité.

« Il est légitime de parler de “haute trahison” », a-t-il affirmé. « En 53 ans de souveraineté, le Mali n’était jamais tombé aussi bas. »

Selon M. Samaké l’incapacité d’ATT à protéger le Nord en raison de sa négligence pourrait être qualifiée de complicité avec l’ennemi. « Il est certain qu’à un certain niveau des accords ont été conclus avec les islamistes au sujet de la libération d’otages, de la répartition des rançons et de la cocaïne. Il faut enquêter sur tous ces points. »

« Ingratitude et hypocrisie »

Pour Bouba Fané, qui dirige une entreprise promouvant des évènements culturels et sportifs à Bamako, la capitale, la campagne contre ATT est toutefois injuste et motivée par des intérêts politiques. M. Fané est maintenant impliqué dans le groupe de la société civile « Mouvement Lumière », qui a fermement mis en garde contre l’extradition et la poursuite en justice d’ATT.

« ATT a été la première victime de notre crise politique et il faudrait l’entendre en tant que tel », a affirmé M. Fané. « Le coup d’État à son encontre n’était pas justifié et c’est un évènement qui a entaché l’image de notre pays. Il y a beaucoup d’ingratitude et d’hypocrisie. »

M. Fané estime que les réalisations d’ATT devraient être prises en considération face à la stagnation et la répression dont ont été victimes les Maliens pendant les 23 ans durant lesquels Moussa Traoré était au pouvoir. « C’est à ce moment-là que la corruption est devenue monnaie courante au Mali. C’est à ce moment-là que les entreprises ont fermé, qu’il fallait trois jours pour aller de Bamako à Dakar par la route. Avec ATT, on pense aux routes qui ont été construites, aux logements à des prix abordables, aux campagnes contre le paludisme et la polio. »

Selon M. Fané, le rôle de protecteur de la démocratie malienne tenu par ATT a clairement été démontré en mars 1991 et justifié par son refus en avril 2012 d’être impliqué dans un contre-coup d’État. « Tous les journalistes qui écrivent du mal de lui devraient se souvenir qu’il a aidé à créer les libertés dont ils jouissent maintenant. »

M. Fané rejette les accusations de négligences militaires. Selon lui, « ATT n’aurait jamais laissé un ennemi armé entrer au Mali ».

M. Fané estime que les rivaux politiques d’ATT on conspiré avec les insurgés sur le calendrier de la rébellion et accuse Nicolas Sarkozy, alors président de la France, d’avoir donné son feu vert au Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le mouvement rebelle touareg, et fourni des armes dans le nord du Mali à ses membres venus de Libye. Plusieurs analystes ont étayé ces arguments. M. Fané croit également qu’ATT a payé le prix du soutien qu’il a apporté par le passé à l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.

Selon M. Fané, la volonté de l’Assemblée nationale à faire comparaître ATT en justice n’est pas justifié. « Les députés jouent aux juges », leur a-t-il reproché.

Selon des observateurs juridiques, le Mali ne dispose pas de mécanismes adaptés pour organiser un tel procès et toute action en justice de ce genre ne pourrait avoir lieu qu’après la mise en place d’une commission d’enquête.

M. Fané estime qu’une action en justice ne serait pas utile et que la meilleure façon de progresser est de mettre sur pied un dialogue ouvert et exhaustif auquel participeraient les présidents encore vivants. Il faudrait également selon lui réaliser un examen complet des évènements qui se sont produits depuis l’ère de Modibo Keita, président dans les années 1960.

Le capitaine venu de nulle part

Le général Amadou Haya Sanogo était un parfait inconnu avant de devenir le visage public du coup d’État de mars 2012. Il occupa brièvement, en tant que dirigeant de la junte, la fonction de chef de l’État, mais fut rapidement obligé par la pression internationale à partager le pouvoir avec le président par intérim Dioncounda Traoré.

M. Sanogo a été promu au rang de général de corps d’armée en août 2013, mais à peine 100 jours plus tard, il a été placé en détention, accusé d’avoir participé à l’enlèvement de bérets rouges, qui avaient été détenus et qui auraient, dans certains cas, été torturés et tués après avoir tenté de mener un contre-coup d’État en avril 2012.

La presse a souvent attiré l’attention sur la prétendue richesse de M. Sanogo et sur ses tentatives d’obtenir des pots-de-vin généreux pour des services rendus à la nation ou en échange de son silence. Selon certaines rumeurs, il aurait même proposé de s’exiler volontairement à Cuba.

M. Sanogo et ses associés sont maintenant accusés d’avoir alimenté de brutales disputes au sein de l’armée.

Le président actuel, Ibrahima Boubacar Keita, connu par ses initiales IBK, et son ministre de la défense, Soumeylou Boubèye Maïga, ont souligné que pour mettre fin au climat d’impunité au Mali, il fallait mener des enquêtes et prendre en compte les éléments de preuves mises au jour, quelle que soit l’influence des personnes mises en cause.

Le juge d’instruction Yaya Karambé, chargé d’enquêter sur les assassinats de bérets rouges, a engagé des poursuites contre, entre autres, le général Yamoussa Camara, ancien ministre de la Défense, et le général Sidi Alhassane Touré, ancien directeur général de la Sécurité d’État.

Des fosses communes et autres lieux d’inhumation ont été signalés à M. Karambé et aux autorités locales. Dans ces tombes reposeraient non seulement les corps de bérets rouges, mais également de dissident des bérets verts qui avaient manifesté le 30 septembre 2013 pour obtenir les hausses de salaire et les promotions que leurs auraient promis M. Sanogo et son entourage.

Pour la défense du général


Étienne Sissoko, commissaire politique chargé des relations extérieures du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI), fait partie des défenseurs de M. Sanogo, même s’il dit ne l’avoir jamais rencontré en personne. Si certains partis se sont opposés au coup d’État et d’autres ont trouvé un modus vivendi inconfortable avec le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) de M. Sanogo, le SADI y était explicitement favorable.

« Le coup d’État était nécessaire », a souligné M. Sissoko. « Il visait le bien-être de notre population. Avaient-ils à manger ? Leur sécurité était-elle garantie ? Avaient-ils les moyens d’éduquer leurs enfants ? Non. »

M. Sissoko a dit que la condamnation internationale qui a suivi le coup d’État ne le dérange pas. « Le coup d’État nous a ouvert les yeux. »

Il a également accusé ATT d’avoir détruit l’armée et fait passer à tort le Mali pour une démocratie viable auprès de bailleurs de fonds naïfs ou cyniques. M. Sissoko critique cependant tout autant la nouvelle administration, reprochant à IBK d’avoir ramené dans son giron des politiciens discrédités et de s’être lancé dans une chasse aux sorcières politiques.

M. Sissoko est d’avis qu’il est normal que les meneurs de coups d’État commettent des erreurs, mais selon lui, le coup d’État en soi était un accident. Il estime que l’histoire des bérets verts contre les bérets rouges a été exagérée et que M. Sanogo souhaitait avant tout rétablir la cohésion au sein de l’armée nationale.

M. Sissoko a reconnu que si des atrocités avaient été commises, il fallait enquêter à leur sujet. Mais il a ajouté que la tentative de contre-coup d’État était soutenue par certains hommes politiques et que des membres des élites politiques ancienne et actuelle avaient également des comptes à rendre.

« S’ils veulent que Sanogo soit traduit en justice, qu’en est-il d’IBK, de Dioncounda et d’ATT ? » a demandé M. Sissoko. « Chacun a des choses à expliquer. »

cs/aj/rz-ld/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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