La croissance démographique, l’urbanisation et la pression accrue sur les terres pourraient rendre ces expulsions encore plus fréquentes en Afrique à l’avenir, d’où la nécessité, évoquée par les militants, de mettre en place des lois et de les appliquer de manière rigoureuse.
Dans un rapport publié le 7 octobre, Amnesty International évalue à près d’un quart la proportion des 12 000 habitants de Deep Sea, un quartier informel de la capitale kényane, Nairobi, qui risquent d’être expulsés sans compensation en raison de la construction d’une liaison routière.
« Nos familles vivent à Deep Sea depuis des années, mais, récemment, des arpenteurs-géomètres du gouvernement sont venus et nous ont dit qu’une route passerait là où se trouvent nos maisons. Nous vivons dans la peur parce que nous n’avons pas été consultés et que nous ne savons pas quand ils viendront procéder aux expulsions », a dit à IRIN Diana Angaya, qui vit dans le quartier depuis 25 ans.
« Nous ne sommes pas contre [la construction de] la route, mais nous voulons qu’on donne à ceux qui seront affectés un autre endroit pour s’installer. »
L’Autorité des routes urbaines du Kenya (Kenya Urban Roads Authority, KURA) est actuellement à la recherche d’une entreprise pour assurer la construction de la route, un axe de 17 km qui coûtera 27 millions d’euros. [Le gouvernement] espère que l’Union européenne (UE) financera le projet à hauteur de 65 pour cent.
Lors d’un incident distinct survenu en mai à Nairobi, environ 400 familles ont été évincées du quartier informel de Carton City, situé près de l’aéroport Wilson, après qu’un établissement d’enseignement privé a revendiqué la propriété de la terre sur laquelle ils vivaient. L’expulsion a été réalisée sous la supervision de la police par des jeunes embauchés pour l’occasion.
« Les organisations d’aide au développement comme l’UE – qui finance la construction d’une route dont le tracé proposé traverse le quartier de Deep Sea, à Nairobi, et expose des personnes démunies à des expulsions – doivent exercer des pressions sur les gouvernements pour qu’ils respectent les droits de l’homme et se conforment aux normes internationales en matière d’expulsions », a dit à IRIN Iain Byrne, responsable de l’équipe Droits économiques, sociaux et culturels d’Amnesty International.
« Elles ont le poids nécessaire pour s’assurer que les gouvernements qu’elles financent, y compris celui du Kenya, respectent les droits de l’homme, même lorsqu’ils procèdent à des expulsions pour permettre la mise en oeuvre de projets de développement »
« Amnesty International est préoccupée par le fait que l’UE n’est pas suffisamment impliquée dans le processus engagé pour atténuer les conséquences négatives potentielles des projets de construction de routes et vérifier que les projets sont mis en oeuvre de façon à respecter et à protéger les droits de l’homme », indique le rapport d’Amnesty International.
« L’absence de lignes directrices explicites pour garantir que des projets tels que Missing Link 15B n’entraînent pas de violations des droits de l’homme est un problème sérieux qui vient ajouter aux préoccupations de l’organisation. L’UE et ses États membres ont la responsabilité de vérifier que les projets auxquels ils apportent leur soutien ne sont pas à l’origine ou ne contribuent pas à des violations des droits de l’homme », poursuit le rapport.
Dans une déclaration, l’UE a indiqué : « Les autorités kényanes mettront en oeuvre un plan d’action exhaustif et transparent pour le relogement des personnes vivant ou exploitant actuellement des entreprises dans la zone touchée par le projet. Le plan prévoit entre autres le versement d’une ‘compensation juste et conforme aux lois’. »
Le document, qui spécifie les modalités de relogement des personnes affectées, indique seulement qu’elles bénéficieront d’un transport gratuit pour quitter la zone où elles vivent actuellement. Il semble par ailleurs que les habitants de Deep Sea n’aient pas été consultés.
En Éthiopie, le Panel d’inspection de la Banque mondiale a appelé à la tenue d’enquêtes sur un projet de villagisation financé par la Banque mondiale à la suite d’informations faisant état de violations des politiques de l’organisation en matière de respect des droits de l’homme. Le projet impliquait la relocalisation forcée d’environ 1,5 million d’Éthiopiens, incluant des populations autochtones et d’autres groupes marginalisés, et a été marqué par la violence.
Corruption et faiblesse des lois
Des experts comme Aggrey Nyange, professeur d’urbanisation à l’université de Nairobi, ont dit à IRIN que les bailleurs de fonds et/ou les gouvernements avaient la responsabilité de protéger les pauvres contre les expulsions forcées, mais qu’il était aussi nécessaire, dans des pays comme le Kenya et l’Éthiopie, de promulguer des lois pour protéger les personnes expulsées.
« Les organisations de développement internationales pourraient se montrer réticentes à appeler au respect des droits lors des expulsions, car on pourrait ensuite s’attendre qu’elles fassent des pieds et des mains pour verser les compensations financières », a dit M. Nyange. Il a ajouté qu’il arrivait que des gouvernements africains ne se montrent pas honnêtes, même dans les cas où l’organisation qui finance le projet et le gouvernement bénéficiaire se sont entendus sur la nécessité de suivre la procédure établie.
« De temps en temps, un organisme donateur exigera d’un gouvernement qu’il consulte la communauté affectée, mais celui-ci se contentera alors d’envoyer des responsables dans la région pour raser [les maisons] des pauvres tout en affirmant avoir mené toutes les consultations nécessaires. Le seul moyen sûr, c’est de promulguer des lois pour interdire les expulsions forcées », a-t-il dit.
Justus Nyangaya, directeur d’Amnesty International Kenya, reconnaît que certaines expulsions sont légalement justifiées, mais il croit cependant que le déroulement des expulsions forcées doit s’inscrire dans un cadre juridique.
« Certaines expulsions se produisent à la suite d’une décision de justice. De telles décisions doivent être appliquées, mais la police doit le faire en respectant la loi. Il faut donc qu’une telle loi soit en place pour les guider et qu’elle tienne compte des normes internationalement acceptées pour procéder aux expulsions », a dit M. Nyangaya.
Lors des expulsions qui se sont produites par le passé au Kenya, seules les personnes qui détenaient un titre de propriété pour la terre sur laquelle ils vivaient ont reçu une compensation du gouvernement.
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