Des dizaines de milliers de Mauritaniens noirs ont fui les massacres à caractère ethnique perpétrés par les forces de sécurité au début des années 1990. Certains ont fui vers le Mali, mais la plupart ont trouvé refuge au Sénégal.
Aliou Moussa So est à la tête d’une communauté de rapatriés composée de 73 familles installées dans le village de PK6, à 6 km de Rosso, au sud de la Mauritanie, non loin de la frontière sénégalaise. Comme la plupart des rapatriés, il a fui en 1989 et est revenu en 2008, date à laquelle le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a lancé l’opération de rapatriement des réfugiés.
La plupart des rapatriés étaient originaires du village de PK6 qui, à l’époque, s’appelait « Wellingara » ou « un joli endroit à visiter » dans la langue locale, le Peulhar.
Moussa So s’est énervé lorsque les journalistes d’IRIN lui ont posé des questions sur ses problèmes. « Je ne vais pas vous parler de tous les problèmes que j’ai eus, on y passerait la nuit. J’en ai assez de répondre à vos questions, vous, les gens qui arrivez en 4x4 – c’est tout ce que les gens font quand ils arrivent ici, ils viennent, ils nous posent des questions et ils ne font rien ».
PK6 est un village composé de quelques abris à moitié construits, faits de briques, disséminés autour d’un petit magasin proposant une demi-douzaine de sacs de céréales, et de quelques abris en fer qui ont été couverts de tapis pour les protéger du soleil.
Le HCR a donné des matériaux aux rapatriés pour construire 150 abris en briques ; lorsque les financements ont commencé à manquer, l’organisation leur a fourni des plaques de tôle ondulée et des piliers en bois.
L’opération de rapatriement organisée par l’agence a pris fin en mars 2012 : au total, 24 536 réfugiés ont été rapatriés et 14 000 personnes ont été réinstallées au Sénégal.
Accès aux terres
Le problème des rapatriés du PK6 est qu’ils n’ont pas accès aux terres qu’ils cultivaient autrefois – environ 14 hectares ont été vendus à une tierce personne (dont ils ne connaissent pas l’identité) - et bon nombre d’entre eux n’ont pas les papiers d’identité nécessaires pour faire valoir leurs revendications.
Moussa So s’est « plaint à tout le monde », y compris l’Agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés (ANAIR), le maire de Nouakchott, le ministre de l’Intérieur, « même le président de la République ». Des responsables du ministère de l’Intérieur ont rendu visite au villageois l’année dernière, mais depuis rien n’a changé, a-t-il dit.
« Je commence à perdre espoir », a dit M. So. « Nous sommes épuisés. Nous sommes des agriculteurs. Sans champs, comment allons-nous survivre ? ».
Un grand nombre de rapatriés sont confrontés au même problème, a dit Oumar Diop, responsable de la Clinique Juridique de Rosso, un organisme en partie subventionné par l'Union Européene et Oxfam comme partenaire associé, qui aide les rapatriés à récupérer leurs terres.
« Nous suivons de nombreuses personnes qui se battent pour récupérer leurs terres. Nous défendons leur action au niveau du district ("ouaddi"), et nous nous adresserons au ministre de [l’Intérieur] s’il le faut », a expliqué M. Diop.
Actuellement, la Clinique traite seize dossiers, mais M. Diop est exaspéré. « Dans la majorité des dossiers, il n’y a tout simplement pas de solution », a-t-il dit. Sur 640 dossiers, seuls 115 ont été résolus, a-t-il ajouté.
Selon Ndiawar Kane, directeur de l’ANAIR, le taux de résolution est plus élevé, et 400 dossiers ont été traités.
Un des problèmes est que les terres n’ont jamais appartenu aux villageois, dit M. Kane. Dans les années 1980, la majorité des terres étaient propriété de l’État. Après la fuite des villageois, les terres ont été partagées entre les habitants, y compris des chefs de village.
Propriété privée du sol
Depuis cette époque, le droit de la propriété privée du sol s’est développé en Mauritanie, et les chefs d’entreprise et les hauts responsables ont commencé à acheter des terres – la plupart d’entre eux vivaient à Nouakchott ou dans d’autres villes et les géraient à distance. « Bon nombre de contrats signés à l’époque étaient assez flous », a dit M. Kane, « nous ne sommes pas habitués à la propriété individuelle du sol ici ».
Afin d’apaiser les tensions, dans certains cas, le gouvernement et l’ANAIR ont essayé de trouver un accord avec les habitants locaux pour que les rapatriés récupèrent une partie de leurs terres. Mais l’ANAIR n’a pas le droit d’intervenir dans les questions de propriété foncière – pas plus que le HCR. Ces dossiers sont du ressort du bureau des affaires civiles, qui est responsable de l’enregistrement du statut des personnes, et du ministère de l’Intérieur, indique le gouvernement.
« Nous pouvons essayer de trouver une solution aux petits problèmes », a dit M. Kane. En 2008, l’ANAIR, le HCR et d’autres organismes ont présenté un rapport dressant une liste des principales doléances des rapatriés, ainsi que des priorités des chefs du district et de la région, et du ministère de l’Intérieur. Quatre ans plus tard, les principaux problèmes n’ont pas été résolus.
De la difficulté d’obtenir une carte d’identité
Obtenir des papiers d’identité est un processus compliqué, a reconnu M. Kane, mais bon nombre de Mauritaniens sont confrontés à ces difficultés, dit-il – c’est un problème national.
Les rapatriés qui avaient été enregistrés en tant que réfugiés par le HCR ont été enregistrés par l’État civil (autorités civiles) mauritanien, qui leur a donné un Formulaire de rapatriement volontaire (FRV) leur permettant de se déplacer librement. Un accord a été trouvé avec l’administration civile, stipulant que les deux formulaires leur permettraient d’obtenir une carte d’identité.
L’accord de rapatriement tripartite signé par le Sénégal, la Mauritanie et le HCR en novembre 2007 prévoyait que les rapatriés mauritaniens obtiendraient leurs documents de citoyenneté dans un délai de trois mois après leur arrivée.
Selon M. Kane, le problème se situe au niveau de l’administration civile, qui ne dispose pas des ressources adéquates pour établir des documents d’identité pour les rapatriés, et qui n’a pas été restructurée, comme cela avait été conseillé. Des centaines de dossiers sont bloqués dans son système, indique M. Diop.
Une minorité de rapatriés – ceux qui ont fait partie du premier convoi – sont revenus en Mauritanie sans les actes de naissance de leurs enfants nés au Sénégal. Une solution a été trouvée lors de négociations entre l’ANAIR, le HCR et les autorités sénégalaises. M. Diop ne connait pas l’issue de chaque dossier.
Des rapatriés indiquent que les autorités civiles ont choisi de ne pas résoudre leurs problèmes.
Selon un défenseur des réfugiés, les rapatriés ont une part de responsabilité : il faut payer 1 000 ouguiyas (3,40 dollars) pour récupérer une carte d’identité, une somme que certains rapatriés refusent de payer.
Aide de l’ANAIR
Les habitants du village de PK6 n’ont pas été abandonnés, a dit M. Kane. Grâce à l’ANAIR, le village dispose d’une source d’eau ; l’association des rapatriés a reçu des matériaux pour bâtir un magasin communautaire qui vend des céréales à un prix réduit et du gaz de cuisine destiné à la vente. L’association des femmes a obtenu une meuleuse pour que les femmes n’aient pas à parcourir de longues distances pour acheter de la farine ; l’ANAIR leur a également permis d’ouvrir une teinturerie et leur a fourni des clôtures pour protéger leurs jardins maraîchers des animaux et des organismes nuisibles.
L’ANAIR a distribué 91 meuleuses dans les villages de rapatriés dans le cadre des efforts générateurs de revenus entrepris dans bon nombre des 124 villages où les anciens réfugiés se sont réinstallés.
Les villageois de PK6 ont accès à 18 hectares de terres, a-t-il dit, dont six ont été transformés en jardins maraîchers.
Moussa So reconnait que l’ANAIR a fourni de l’aide. « Cela nous a aidé. Mais lorsque nous nous sommes plaints pour nos papiers, nous avons reçu du gaz de cuisine », a-t-il dit, en montrant plusieurs bonbonnes de gaz de cuisine empilées dans son abri.
Les rapatriés disposent de petits jardins maraîchers, mais ils n’ont pas accès aux terres pour cultiver du riz, a dit Moussa So. Les rapatriés arrivent à joindre les deux bouts grâce au petit commerce ou aux activités de teinturerie.
Selon Elise Villechalane, porte-parole du HCR à Nouakchott, le fait que 80 pour cent des rapatriés soient restés dans les régions où ils sont revenus est une preuve de succès. Le HCR était chargé de l’enregistrement et du rapatriement de plus de 24 000 personnes dans 124 villages. « L’opération n’a pas été facile », a-t-elle dit.
Les rapatriés interrogés par les journalistes d’IRIN ne veulent pas repartir – ils sont enfin chez eux – mais ils veulent retrouver leur ancienne vie. « Autrefois, nous étions agriculteurs. Nous nous en sortions. Aujourd’hui, nous dépendons de l’aide extérieure », a dit M. So, utilisant l’expression Peulhar « boofni », que l’on pourrait traduire par « Comment un sac vide peut-il se tenir debout ? ».
aj/cb-mg/amz
This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions