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Justice extrajudiciaire

A courthouse in north-eastern Liberia. Community Legal Advisers with the Catholic church-backed Justice and Peace Commission works with locals to settle disputes out of court Chris Simpson/IRIN
« Nous ne dormons plus beaucoup, car on nous appelle jour et nuit », a remarqué Jesco Davis, représentant de la Commission catholique pour la justice et la paix (Catholic Justice and Peace Commission, JPC), une organisation non gouvernementale (ONG) locale partenaire du Centre Carter, basé aux États-Unis, qui tente de soulager un système judiciaire débordé en résolvant des affaires en dehors des tribunaux et en faisant connaître aux citoyens leurs droits fondamentaux.

La JPC dispose d’un réseau de conseillers juridiques de proximité qui offrent un système alternatif de règlement des litiges. Dans une journée type, M. Davis, qui représente la commission à Ganta, une ville à environ 270 km au nord-est de la capitale, Monrovia, va intervenir en faveur d’un homme qui, selon lui, est injustement détenu pour intrusion illégale, faire une visite au poste de police et au tribunal de première instance et faire le point sur un différend foncier complexe devant un auditoire captivé dans un salon de thé local.

Les conflits fonciers sont particulièrement courants à Ganta et dans l’ensemble du comté de Nimba, où les autorités locales peinent à faire face aux revendications foncières et immobilières concurrentes, faute de moyens. Nombre de ces litiges sont liés à la guerre. Des personnes déplacées par le conflit essayent de reprendre possession de leur propriété laissée derrière elles. L’absence d’informations écrites et les contradictions entre les témoignages oraux entravent souvent le règlement de ces litiges. « Il ne faut pas traiter ces questions foncières à la légère », a averti M. Davis.

Le Liberia est sorti d’une longue guerre civile en 2003, mais la plupart des habitants n’ont pas fini d’en subir les retombées.

M. Davis et ses collègues de la JPC apportent une aide concrète aux citoyens ordinaires en leur proposant un règlement extrajudiciaire des conflits. Ils réunissent les parties au conflit pour apaiser les tensions et suggèrent des solutions pratiques aux problèmes qu’ils estiment pouvoir résoudre sans recourir aux tribunaux.

« Nous avons besoin de conseillers de proximité qui ne soient pas provocateurs », a dit Lemuel Reeves, un juriste associé du Centre Carter qui possède des années d’expérience dans l’application de la loi et les enquêtes criminelles.

M. Reeves a insisté sur le fait que le bon sens, la compassion, de solides connaissances juridiques et de bonnes aptitudes sociales étaient essentiels pour traiter des affaires de manière extrajudiciaire. « Les conseillers doivent éviter tout vocabulaire technique et donner [aux gens] des exemples concrets qu’ils puissent comprendre », a-t-il dit à IRIN.

Dans un village proche de Ganta, Kou, propriétaire d’un magasin, a dit que son mari avait cessé de la tromper et de la maltraiter après l’intervention d’Eleane Keamue, une conseillère qui possède une grande expérience dans l’action sociale. Esther, une autre villageoise, a dit que les conseils de Mme Keamue l’avaient aidée à résoudre un différend au sujet d’un bien de propriété qu’elle se disputait avec un homme avec lequel elle avait vécu pendant 13 ans.

Les conseillers et leurs mentors du Centre Carter reconnaissent que les violences sexistes et le viol sont des sujets délicats pour le système judiciaire, qui est mal préparé pour ce genre d’affaires. Ces questions ne sont pas simples non plus pour les conseillers de proximité, qui veulent défendre les droits des femmes, mais savent que les procédures judiciaires, souvent longues, risquent d’être traumatisantes et démoralisantes.

Les conseillers juridiques de proximité insistent sur leur statut d’amateur. Ils cherchent à collaborer de manière constructive avec d’autres acteurs du secteur de la justice, mais ils rencontrent quand même une certaine hostilité de la part des juges et autres fonctionnaires de justice. Cela s’explique en partie par le fait que les conseillers cherchent à obtenir la restitution des cautions versées aux magistrats par les personnes mises en examen et qui sont souvent retenues après le jugement.

« Les juges [et les magistrats] craignent que nous soyons là pour leur nuire, pour interférer avec le système judiciaire, mais ce n’est pas le cas », a dit Mme Keamue.

M. Reeves, qui enseigne aux conseillers juridiques de proximité les éléments clés du droit, reconnaît qu’il existe encore d’importantes défaillances dans la façon dont la police et les tribunaux opèrent au Libéria. Les agents de police violent régulièrement la loi lors des arrestations, malgré les formations approfondies qu’ils reçoivent en matière de droits et de procédures juridiques. Des améliorations ont cependant été constatées. « L’écart entre ce qui devrait se passer et ce qui se passe en réalité est plus réduit qu’il y a six ans », a-t-il remarqué.

A Community Legal Adviser speaks to a client. Residents say the advisers have helped resolve cases successfully without resorting to the courts
Photo: Chris Simpson/IRIN
Une conseillère juridique de proximité parlant avec une cliente. Les habitants disent que les conseillers ont aidé à résoudre des affaires sans passer par les tribunaux
En 2006, International Crisis Group, un groupe de réflexion basé à Bruxelles, avait averti dans un rapport que « dix années de guerre [avaient] anéanti un système qui était déjà dysfonctionnel ». Le groupe avait également relevé un certain nombre d’observations et d’indicateurs négatifs.

Parmi ces lacunes, le rapport notait la faiblesse et le manque de moyens du système juridique, le manque de formation juridique des magistrats, la corruption au sein du pouvoir judiciaire, considéré comme un appendice de l’exécutif, qui opère toujours en toute impunité et se montre hostile au changement, et la cruelle pénurie de textes juridiques reconnus. Des centaines de prisonniers sont toujours incarcérés sans qu’aucun chef d’accusation réel n’ait été retenu contre eux et sans perspective d’être jugés dans un avenir proche.

Ceci étant dit, les juristes libériens et étrangers signalent que d’importants progrès ont été réalisés ces dernières années. La mission des Nations Unies au Libéria (MINUL), outre son travail davantage médiatisé sur la réforme du secteur de la sécurité et ses efforts pour mettre sur pied une armée et une force de police crédibles, a mis en place une Division d’appui aux systèmes juridique et judiciaire.

Le pays a également bénéficié d’importantes contributions de spécialistes extérieurs, notamment de la part de partenaires comme le Centre Carter et l’American Bar Association. La faculté de droit Arthur Grimes de l’Université du Libéria a joui d’un certain soutien et l’Institut de la magistrature James A. A. Pierre a été créé pour offrir une meilleure formation aux magistrats.

Les organisations comme l’association des avocates du Libéria et la JPC, qui ont mené une lutte difficile pour remédier aux insuffisances du système judiciaire sous la présidence de Charles Taylor, évoluent désormais dans un environnement plus favorable. Le ministère de la Justice et d’autres institutions comme l’Ordre national des avocats libériens ont peu à peu fait preuve de plus de souplesse en acceptant le besoin de changement, notamment dans des domaines comme le droit des femmes à la propriété.

Des bureaux juridiques régionaux ont été ouverts, rassemblant à la fois des dispositifs judiciaires et des services de police élargis dans les centres urbains régionaux comme Gbarnga, la capitale du comté de Bong, à 160 km au nord-est de Monrovia. L’objectif de ces nouveaux centres d’activité est d’offrir aux citoyens un meilleur accès aux tribunaux et aux services de police. Le manque de moyens de ces derniers reste cependant préoccupant et le carburant ou les véhicules font souvent défaut aux agents pour mener des enquêtes.

La mise sur pied d’un service de probation pilote permet d’espérer une réduction de la population carcérale. C’est un sujet sensible pour le gouvernement, qui a répondu avec animosité au rapport de septembre 2011 sur l’état des prisons du pays, publié par le groupe de défense des droits humains Amnesty International.

La population est méfiante à l’égard du système judiciaire officiel et le considère comme inefficace, onéreux et intimidant. De nombreuses personnes cherchant à obtenir justice cessent donc de recourir aux tribunaux et se tournent plutôt vers le système de justice traditionnel, présidé par toute une hiérarchie de chefs qui relèvent du ministère de l’Intérieur. La Constitution du Libéria reconnaît le droit coutumier, qui est « compatible avec la politique des pouvoirs publics et le progrès du pays » et est « adopté et développé comme une partie intégrante des besoins croissants de la société libérienne ».

Selon M. Reeves, il faut admettre l’importance du droit coutumier, qui accorde une place privilégiée au respect pour les anciens et à la solidarité au sein des communautés. Cependant, certaines pratiques soulèvent des inquiétudes. C’est le cas des ordalies, dans le cadre desquelles les suspects sont jugés coupables s’ils souffrent visiblement lorsqu’ils sont soumis à un test physique comme boire du poison ou placer la main sur un objet métallique brûlant.

La JPC a mené une campagne à travers tout le pays pour faire connaître son travail. Des conseillers se sont rendus dans des zones reculées pour rencontrer les citoyens, leur expliquer leurs droits et proposer des manières alternatives de résoudre les différends.

« Pour faire passer le message, je distribue des prospectus, je me promène avec un porte-voix, je vais parler aux chauffeurs de [moto-taxi] », a expliqué Theodosia Borbor, un conseiller juridique de proximité de West Point, un quartier animé et surpeuplé de Monrovia, où les logements sont insalubres et le taux de criminalité élevé.

« Les gens veulent savoir tout ça — notre système judiciaire est correct, mais seulement sur le papier pour l’instant », a dit M. Borbor à IRIN, soulignant qu’il y avait encore beaucoup d’efforts à faire pour que la loi soit appliquée et pour rassurer les citoyens, souvent déconcertés par les procédures juridiques.

Selon Ansuama Fayia, un conseiller juridique dans la région de Lofa, au nord du pays, le travail de la JPC ne se limite pas à des affaires mineures. Les conseillers doivent parfois intervenir pour désamorcer des situations qui pourraient conduire à des violences publiques. Selon M. Fayia, il est plus simple de régler des différends lorsque les personnes concernées connaissent leurs droits.

« Ne pas connaître la loi, c’est comme ne pas reconnaître sa droite de sa gauche. »

cb/ob/he


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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