Ces 10 dernières années, Nguyen Thi Lan s’est levée à trois heures du matin chaque jour pour faire bouillir une casserole de riz gluant. Avant le lever du soleil, elle la met dans un panier en bambou, qu’elle attache solidement à sa bicyclette avant d’entamer le long trajet qui la conduira jusqu’à Hanoi.
En ville, elle sert des louchées de riz agrémenté de porc séché, de cacahuètes et de graines de sésame et, les bons jours, elle retourne chez elle avec 3,50 dollars en poche.
Nguyen Thi Lan n’a pas le choix : elle doit faire ce travail depuis que la plupart des rizières de sa famille ont été « récupérées » par les autorités locales, a-t-elle expliqué, et vendues à des promoteurs.
Loin de rouspéter devant ses longues heures de travail et le maigre salaire qu’elle empoche, Nguyen Thi Lan explique que cet argent lui permet d’envoyer ses enfants à l’école et d’assurer qu’ils ne souffrent pas de la faim.
Mais à compter du 1er juillet, Nguyen Thi Lan ne pourra plus vendre ses paquets de riz gluant en ville parce que les vendeurs ambulants n’auront plus le droit de circuler dans les rues commerçantes.
Selon Nguyen Thi Lan, cela signifie que sa famille va mourir de faim. « Nous serons plongés dans la famine », dit-elle. « Nous sommes pauvres. Nous n’avons pas de terres. Nous dépendons de la rue ».
Les vendeurs ambulants font partie intégrante du monde de la rue, à Hanoi, depuis plusieurs siècles. Les femmes coiffées de chapeaux de paille coniques, balançant des paniers jumeaux, suspendus aux extrémités de perches en bambou, sont l’une des images les plus constantes, associées à la ville.
La vente des produits contenus dans ces paniers de bambou et sur ces vélos est également une activité rémunératrice pour des villageois peu instruits, qui n’ont guère d’autres moyens de subvenir à leurs besoins.
Photo: Martha Ann Overland/IRIN |
Un vendeur à bicyclette transporte des dizaines de paniers et chapeaux pour les vendre dans les rues de Hanoi |
Ces vendeurs fournissent également un service. Dans un pays qui n’a pas encore adopté le concept des supermarchés, les vendeurs ambulants permettent aux citadins de se procurer toute sorte de produits, des fruits et légumes bon marché aux soutiens-gorge, en passant par les poissons tropicaux.
Pour le Comité du peuple d’Hanoi, ils représentent néanmoins une menace. À mesure que la capitale se modernise, les voitures, les motocyclettes, les pousse-pousse et les vendeurs des rues se côtoient en effet et luttent pour se frayer un chemin les uns à côté des autres à travers les allées étroites du Vieux Quartier.
Entre les marchandises des magasins étalées jusque sur les trottoirs, et les coiffeurs et les réparateurs de vélos minute, marcher dans les rues encombrées d’Hanoi est à déconseiller aux âmes sensibles.
La décision d’interdire la circulation aux vendeurs des rues a été prise pour rendre la ville plus habitable, selon un responsable de la Division de la gestion du commerce d’Hanoi, qui a souhaité conserver l’anonymat.
« C’est pour embellir la ville », a-t-il expliqué, en allusion à la décision 02, qui interdit aux vendeurs ambulants de circuler dans 62 rues. « Les vendeurs ambulants sont une des principales causes des problèmes de circulation. Nous pensons qu’une fois que l’interdiction sera appliquée, elle permettra d’améliorer l’assainissement urbain et l’hygiène alimentaire, et de réduire les encombrements ».
Vendeurs à la sauvette
Hanoi ne mène aucun programme destiné à aider les vendeurs des rues à trouver d’autres emplois. Aucune organisation non-gouvernementale (ONG) ne s’est penchée sur leur cas. Ces travailleurs n’appartiennent à aucun syndicat. Parce qu’ils sont littéralement toujours en train de courir, ils sont connus pour être difficiles à organiser.
« Qu’est-ce qui va nous faire vivre ? », demande Ng Thi Hoa, marquant une pause nerveuse avant de poser ses paniers.
Photo: Martha Ann Overland/IRIN |
Ces femmes ne pourront plus circuler dans certaines rues de Hanoi à partir du 1er juillet |
Ng Thi Hoa vend des lots de bâtons d’encens ; elle gagne environ sept centimes de dollars pour chaque paquet vendu.
Sur les deux ou trois dollars qu’elle empoche, elle doit verser 70 centimes pour pouvoir se loger –elle loue un matelas disposé à même le sol dans une chambre, qu’elle partage avec d’autres vendeuses des marchés. Elle consacre la moitié de ses revenus à son alimentation et à son hébergement, et le reste revient à ses enfants, restés au village.
« La famille entière dépend de la vente de ces offrandes ancestrales », affirme Ng Thi Hoa.
Mais tout le monde ne voit pas l’interdiction de circuler comme la fin des vendeurs ambulants.
Le statut des vendeurs ambulants d’Hanoi est très flou, selon Paule Moustier, chercheuse en marketing alimentaire au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’institut français qui mène des recherches sur le secteur agricole asiatique.
À l’heure actuelle, selon une loi, la vente ambulante est illégale, et selon une autre, elle est passible d’un Ticket vert. « La nouvelle interdiction reconnaît essentiellement qu’ils peuvent mener des activités, mais dans des zones délimitées », a résumé Mme Moustier.
En déterminant que la vente ambulante est légitime, il serait plus facile d’organiser les vendeurs des rues et de réduire le harcèlement que leur font subir les autorités, affirme-t-elle.
Pour l’instant, Ng Thi Hoa prévoit pour sa part de courir pour échapper à la police lorsque l’interdiction entrera en vigueur, ce qui rendra ses conditions de travail d’autant plus désespérées.
Mais Ngi Thi Hoa a deux enfants à nourrir à la maison, et toutes les terres de sa famille ont été confisquées : pour elle, explique-t-elle, vendre à la sauvette vaut toujours mieux que mourir de faim.
mao/bj/mw/nh/ail
This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions