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La corruption, gangrène du système judiciaire ivoirien

Cela fait une semaine que Mariam Koné sillonne les couloirs du ministère de la Justice d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne, pour se faire délivrer un casier judiciaire en vue de se présenter au concours d’aide-soignante.

Et alors que la date de clôture des dépôts de candidature approche, elle espère encore que ce document lui sera délivré à temps.

Comme bien d’autres requérants attendant des documents ou une décision de justice, Mme Koné sait qu’il lui faudra débourser de l’argent pour voir sa demande aboutir.

« Ici, il n’y a pas d’état d’âme », explique un des nombreux démarcheurs – communément appelés « margouillats ». Ces intermédiaires, généralement sans emploi, se chargent de remettre aux agents de justice les pots-de-vin versés par les justiciables pour obtenir une décision qui leur soit favorable.

« Tous ceux qui attendent depuis des jours perdent leur temps. Ils savent qu’il faut donner un pot-de-vin pour que leurs dossiers soient vite traités ».

« Nous n’avons aucune notion de la justice, mais chacun de nous ici est protégé par un magistrat », a avoué à IRIN Ali Toure, un autre démarcheur. « Par rapport au problème du citoyen qui se présente, nous l’emmenons vers notre couverture », a-t-il révélé.

Dans son rapport publié en juin, l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) a fait observer que le phénomène de la corruption est si répandu dans le système judiciaire ivoirien que « les gens en arrivent à penser, même si ce n’est pas toujours le cas, heureusement d’ailleurs, qu’il est impossible d’obtenir une décision de justice favorable sans verser des pots-de-vin ».

Toujours selon le rapport, la corruption peut également prendre la forme de faveurs sexuelles.

Pour l’ONUCI, qu’il s’agisse du magistrat ou de l’avocat, les personnes gravissant les échelons de la hiérarchie judiciaire sont concernées dès le départ par le problème de la corruption.

« De deux choses l’une, soit on participe au système de corruption – à des degrés divers selon sa moralité, même si c’est à contrecœur – soit on quitte la profession, si on ne veut pas être compromis ».

En collaboration avec le ministère de la Justice et des Droits de l’homme, la division ‘Etat de Droit’ de l’ONUCI a interrogé des juges, des magistrats, des greffiers et autres professionnels de la justice, ainsi que des représentants d’organisations non gouvernementales et d’associations professionnelles.
 
« Toutes les personnes interrogées ont reconnu l’ampleur du phénomène de la corruption dans le système judiciaire », a noté le rapport.

Un système bien enraciné

Pour un avocat ivoirien, qui a requis l’anonymat de peur de perdre son emploi et par crainte pour sa vie, « le système est rodé de telle sorte qu’aucun dossier n’est traité au tribunal sans qu’il y ait des pots de vin versés ».

« Tout l’appareil judiciaire y est mêlé en raison des maigres moyens financiers, humains et matériels dont nous disposons », a dit l’avocat.

Françoise Simard, responsable de la division ‘Etat de Droit’, a déclaré le mois dernier à la presse que le phénomène de la corruption dans l’appareil judiciaire se vivait sous plusieurs formes : il y a les sommes d’argent que les justiciables versent aux magistrats, et l’influence des liens familiaux, ethniques et sociaux sur les décisions que peuvent prendre les juges.

« Il y a aussi l’aspect des pressions sur les magistrats de la part des hiérarchies supérieures, et on a aussi des cas où des faveurs sexuelles sont proposées ou sollicitées en échange des décisions ».

Selon le démarcheur Touré, le problème de la corruption dans le système judiciaire est devenu plus lucratif pendant le conflit civil, avec la multiplication des postes de contrôle non officiels dans le pays.

Les originaires du nord qui, depuis longtemps ont eu du mal à se procurer des pièces d’identité, ont souvent recours à la corruption pour s’en sortir, a expliqué M. Touré.

« Ils n’hésitent pas à débourser de fortes sommes d’argent pour se procurer des documents falsifiés que les juges leur accordent ».

Recommandations de l’ONUCI

L’ONUCI a fait un certain nombre de recommandations visant notamment à mettre sur pied une commission chargée de lutter contre la corruption au sein de l’appareil judiciaire, et à créer un système plus rigoureux et plus formel de gestion des dossiers. En outre, le rapport appelle à l’organisation de campagnes de sensibilisation afin d’informer les citoyens des différentes formes de corruption existant dans l’appareil judiciaire.

Toutefois, selon un conseiller du ministère ivoirien de la Justice, qui a également requis l’anonymat, n’ayant pas reçu l’autorisation de sa hiérarchie, la lutte contre la corruption nécessite un réel engagement.

« Nous devons passer par la moralisation de la société ivoirienne », a-t-il dit. « S’il y a des corrompus, c’est qu’il y a des corrupteurs. Et si nous voulons freiner ce mal, il faut un engagement total de chacun de nous ».

Mais pour l’avocat qui abordait le phénomène de la corruption en parlant sous le couvert de l’anonymat, par crainte pour sa vie, il s’agit de relever les bas salaires plutôt que de s’attaquer à la moralité des citoyens.

« Imaginez-vous que certains parmi nous perçoivent mensuellement 250 000 francs CFA (525 dollars américains) », a-t-il fait remarquer. « Avec ses nombreuses charges comment peut-il faire ? », s’est-il interrogé. « C’est tout à fait normal que lorsque quelqu’un lui propose cinq millions de francs CFA (10 000 dollars) pour tordre le cou à la justice, il n’hésite pas », a ajouté l’avocat.

Dans son rapport, l’ONUCI a également noté que la Côte d’Ivoire n’allouait que deux pour cent de son budget national au fonctionnement du système judiciaire ce qui, selon les conclusions du rapport, est insuffisant pour couvrir les besoins fondamentaux et fournir aux justiciables un service de qualité et une justice indépendante ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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