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Des épidémies maîtrisées, mais pour combien de temps ?

Les acteurs humanitaires en Côte d’Ivoire tentent de contenir les épidémies de VIH et de tuberculose dans l’ouest du pays, mais les structures publiques tardent à prendre la relève malgré la bonne volonté affichée de l’Etat.

A l’hôpital de Man, la principale ville de la région des Montagnes, à quelques kilomètres du Liberia et de la Guinée, près de 400 personnes soignent et conseillent sans relâche sous la houlette de l’organisation internationale Médecins Sans Frontières (MSF) : l’établissement est débordé, les patients viennent de partout.

“Grâce aux acteurs humanitaires, la santé et les conditions de vie des populations se sont beaucoup améliorées, même si cela reste fragile”, explique le docteur Louis Kakudji, le coordinateur médical du projet de MSF-Belgique à Man.

“Si on n’avait pas été là, aucun médecin n’aurait accepté de venir”, ajoute-t-il.

Quand MSF est arrivé à Man, en février 2003, pour réaliser de la médecine d’urgence, l’hôpital, un assemblage de nombreux bâtiments qui surplombe la ville, était abandonné, les salles étaient vides et délabrées, le grand jardin déserté.

Plus de trois ans après, entre 7 000 et 8 000 patients viennent chaque mois consulter les médecins, soit 60 à 80 malades par jour et par praticien.

Les 128 lits sont occupés parfois à 200 pour cent, les programmes anti-tuberculose, VIH et le centre nutritionnel pédiatrique tournent à plein régime et les chirurgiens se relaient pour ne jamais s’arrêter, un rythme jugé “infernal” par le docteur Kakudji.

Selon MSF, des discussions seraient actuellement en cours avec le ministère de la Santé et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) afin de relancer les centres de santé périphériques et y redéployer les infirmiers et les sages-femmes. Ainsi, l’hôpital serait déchargé d’un maximum de patients, celui-ci n’employait qu’une centaine de médecins avant la guerre.

Les cas de sida, qui n’étaient pas pris en charge avant l’arrivée de MSF, représentent désormais la plus grande cause de mortalité parmi les adultes hospitalisés dans les services de médecine interne -- un tiers des lits est occupé par des patients séropositifs.

“Le VIH est la première cause d’hospitalisation des adultes, tandis que les infections sexuellement transmissibles [IST] viennent au deuxième rang des consultations. La population locale est également très touchée par la tuberculose”, la première infection opportuniste des personnes vivant avec le VIH/SIDA, explique le docteur Kakudji.

Tuberculose et VIH prolifèrent en situation de conflit

Tuberculose, IST et VIH, le cocktail est explosif : si le personnel médical se garde bien d’avancer des chiffres précis, faute d’études sérieuses, il évalue le niveau d’infection au VIH entre plus de 10 pour cent (des adultes volontaires au dépistage) et 20 pour cent (des adultes volontaires pour un don de sang).

Et entre 45 et 50 pour cent des malades référés à l’hôpital sont séropositifs.

“C’est beaucoup trop”, selon le docteur Kakudji, qui a participé à la reprise en main du programme national de prise en charge des personnes séropositives, abandonné sans jamais avoir vu le jour en septembre 2002 quand une rébellion armée a pris le contrôle de la moitié nord du pays.

“Nous [MSF] avons permis de lancer le programme national à Man et c’est une réussite. Est-ce qu’il fallait attendre la fin de la ‘crise’ pour aider les populations à prolonger leur espérance de vie ? Le VIH touche la population active, celle qui peut faire quelque chose pour la famille, pour la communauté. Aujourd’hui, ces gens sont actifs”, constate le médecin.

Située à plus de 500 km au nord-ouest de la capitale économique Abidjan, Man, la grande ville du café, est l’un des bastions des rebelles des Forces nouvelles, qui contrôlent depuis bientôt quatre ans les secteurs clés de l’économie.

Map of Cote d'lvoire
Man est occupée par les Forces nouvelles depuis plus de trois ans
Jusqu’en mai 2003 et une sanglante opération de nettoyage, initiée par les rebelles eux-mêmes, des groupes indisciplinés de combattants libériens ont terrorisé les populations de la région, déjà malmenées par les belligérants. Puis la force française de maintien de la paix s’est installée en ville, avant les troupes des Nations unies, des militaires venus du Bangladesh.

“La situation est encore très instable”, estime un médecin ivoirien de l’hôpital, qui souhaite garder l’anonymat. “Avec la situation de guerre, il y a eu beaucoup de comportements à risque et, nous supposons, de cas de violences sexuelles… mais on n’en parle pas, les gens ont peur des représailles, y compris le personnel médical : toutes les prérogatives de l’Etat ont disparu, la force est du côté des armes.”

A Abidjan, l’autorité publique a fait le même constat, renonçant à imposer aux fonctionnaires du ministère de la Santé, qui continuent de recevoir leur salaire, de travailler dans les zones sous contrôle rebelle. Résultat, 90 pour cent du personnel de santé du secteur public ont été redéployés vers le sud, sous contrôle gouvernemental, et les structures sanitaires des villes et villages ont été abandonnées.

“La volonté politique existe toujours mais on ne met pas les moyens”, estime Jean Kouamé Konan, du programme VIH du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) à Abidjan.

Les humanitaires réconfortent plus que les politiques

Pourtant, avec l’arrivée de MSF et de ses outils de communication, en février 2003, beaucoup se sont sentis rassurés et l’organisation médicale n’a eu aucun mal à recruter du personnel qualifié “de très bon niveau”, moyennant des primes, selon les responsables du projet qui insistent sur le respect des ‘standards MSF’ : qualité et gratuité des soins.

Si, depuis plus de trois ans, les consultations et les soins sont gratuits (alors qu’ils sont payants dans une structure publique classique), le lancement du programme national de prise en charge du VIH/SIDA, en mai 2005, est venu alourdir le coût du projet : un an après, 142 adultes et huit enfants bénéficiaient d’ARV, des traitements fournis par l’Etat d’une valeur de 1 000 francs CFA (1,9 dollars) par mois et par patient.

Mais compte tenu de la paupérisation croissante de la population, sans emplois ni revenus, cet accès gratuit à la santé est précieux et le Centre de dépistage volontaire (CDV) de l’hôpital ne désemplit pas. En moyenne, 220 personnes s’y rendent chaque mois, un succès qui fait des émules parmi les acteurs humanitaires de Man, une ville qui compte aujourd’hui trois CDV.

“Il y a un grand besoin de dépistage ici, les centres de santé sont fermés en brousse alors que les gens meurent dans les cases”, explique Albert Seu, directeur d’IDE Afrique, une ONG ivoirienne née en 1999 qui soutient et accompagne 750 personnes, surtout des enfants et des veuves, à Man et Danané, 80 km plus à l’ouest.

Depuis la reprise de ses activités, après une interruption de quelques mois due au conflit, IDE Afrique se rend régulièrement dans les villages pour proposer des dépistages volontaires. Les taux de prévalence au VIH y sont souvent bien plus élevés que la moyenne nationale, estimée à 7,1 pour cent par les Nations unies.

“On a vu l’évolution de la situation sanitaire, tout était fermé sauf l’hôpital. Tout ce qu’il y avait comme violences sexuelles, comme prostitution de subsistance, tout nous a décidé à démarrer la prise en charge communautaire”, précise Albert Seu.

En collaboration avec MSF, le Programme alimentaire mondial, Care International ou encore l’Unicef, IDE Afrique sensibilise les patients de l’hôpital au VIH, accompagne les personnes sous traitement et leur entourage, leur rend visite et leur offre gratuitement les premiers soins et les traitements contre les IST et les infections opportunistes.

La peur du lendemain

Mais M. Seu craint, comme beaucoup d’acteurs locaux, que la période de transition politique qui s’annonce, inaugurée par le lancement en juin du programme de désarmement des forces combattantes, soit particulièrement difficile pour les communautés et les patients.

“On a une grande crainte que les gens abandonnent leur traitement, surtout s’ils doivent payer”, explique Frédéric Lion, responsable de l’antenne de Man.

Pour lui, “même si les centres de santé réouvrent, cela ne va pas résoudre les problèmes : le tissu économique est à zéro, les productions agricoles restent sur les bras des femmes. Il n’y a plus de taxis, les malades nous arrivent transportés dans des brouettes.”

Déjà, les responsables de MSF, en partenariat avec l’Unicef et les autorités de tutelle, représentées à Man, réfléchissent au désengagement des équipes médicales d’urgence, et la mise en place du système de recouvrement des coûts qui prévalait avant la guerre.

“La présence des humanitaires sur le terrain a permis de sédentariser le personnel de santé, ils ont apporté la sécurité là où elle manquait cruellement. Mais tout le monde doit maintenant rejoindre son poste”, constate le docteur Valentin Akpa Etekou, l’un des rares directeurs régionaux de la santé à être resté sur son lieu d’affectation, en zone rebelle.

Cette vision est partagée et préparée par MSF, qui envisage d’introduire, dès que cela sera possible, un prix forfaitaire de consultation à l’hôpital régional de Man.

“Il faut relancer les centres de santé et se désengager progressivement des consultations externes pour les adultes à l’hôpital”, affirment en choeur les responsables MSF dans l’ouest. “Il est temps que les choses reprennent leur cours.”

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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