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Des poches de caoutchouc contre une maladie aux origines inconnues

Le sida est généralement un sujet sérieux avec lequel on ne plaisante pas. Mais ce week-end Obodroupa était en fête, comme si un cirque avait débarqué dans ce petit village du centre de la Côte d’Ivoire.

Au rythme de la musique crachée par les haut-parleurs, les chefs locaux se sont assis à l’ombre d’un auvent censé les protéger d’un soleil tropical ardent. Les femmes du village ont exécuté une danse traditionnelle. Avec élégance, une femme a présenté les différents intervenants au microphone.

Parmi eux, le Réseau des professionnels des médias et des arts engagés dans la lutte contre le sida en Côte d’Ivoire, le Repmasci qui est venu lancer officiellement un lexique sur le sida en 16 dialectes locaux.

C’est à Obodroupa, un village bété (le groupe ethnique du président Laurent Gbagbo) que revient l’honneur d’ouvrir la campagne de promotion du lexique.

Le projet a été initié il y a quatre mois par Simone Gbagbo, la première dame du pays. Depuis, une équipe de spécialistes s’est penchée sur la traduction dans différents dialectes des termes comme «sida» et «contraceptifs», afin que les populations rurales de Côte d’Ivoire comprennent comment le virus fonctionne et quelles sont ses conséquences sur leur vie quotidienne.

En Côte d’Ivoire, où le taux de prévalence est le plus élevé d’Afrique de l’Ouest, le combat contre l’épidémie se doit d’être agressif. La dernière étude nationale estime le taux de prévalence à 9,5 pour cent, mais les professionnels de la santé craignent des taux d’infection beaucoup plus élevés après plus de deux ans de guerre civile.

Ce week-end, des centaines de villageois ont participé à la fête où se sont mêlés discours, banquet, farces et danses traditionnelles. Le ministre de la Réconciliation nationale Dano Djédjé, un ressortissant de la région, et le préfet de la municipalité voisine de Gagnoa étaient présents, invités d’honneur de la cérémonie.

Le nain au préservatif et la première épouse

Dans les villages comme Obodroupa, les mariages et les enterrements sont les seuls événements qui ponctuent la routine de la vie rurale. Toutes les occasions de se déguiser, de danser et de faire la fête sont les bienvenues, peu importe l’objet des réjouissances : une lessive, une pâte dentifrice ou le sida.

Ainsi, certains dans l’assistance ont continué d’ignorer à quoi correspondait toute cette frénésie. Aucun dépliant, pas un lexique, ne sont venus appuyer les propos des organisateurs, qui se sont contentés d’annoncer la publication prochaine de cet ouvrage de référence.

Les villageois n’ont pu cependant ignorer les messages de sensibilisation que des comédiens rendent pour le coup très clairs.

Au centre de la scène, un nain secouait un pénis en bois. «Cette maladie dont vous parlez, tue-t-elle les deuxièmes et troisièmes épouses ? », a demandé à l’assistance une actrice que l’idée visiblement excitait. «Bien évidemment ! Mais avant de vous débarrasser de vos rivales, vous devriez savoir qu’elle tuera la première épouse aussi», a répondu le nain, blagueur.

Selon le président du Repmasci et journaliste Youssouf Bamba, l’association travaille en partenariat avec l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader), dont les employés serviront de relais d’information sur le sida lors de leur visite dans les villages.

La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao et se situe au premier rang des producteurs de coton, de café et d’huile de palme. Plus des deux tiers de sa population vivent des productions agricoles.

Bamba, animateur à Radio Côte d’Ivoire, a aussi expliqué que les stations de radio locales recevront aussi une copie du lexique.

Parler aux illettrés

«Beaucoup de villageois sont analphabètes. Il est donc inutile de leur donner un dépliant», a dit Bamba. «Ce que nous célébrons aujourd’hui, c’est la création d’un moyen de communication sur le sida pour les villageois et les paysans dans leur propre langage».

Mais le chemin est encore long. La sexualité est toujours un sujet tabou pour les chefs de village et les personnes âgées, a affirmé Yebou Kouassi Ban, un linguiste qui a participé à la conception d’un vocabulaire bété sur le VIH/SIDA.

«Il faut agir délicatement, il est impossible d’aborder le sujet de front», a-t-il dit.

En dialecte bété, sida a été traduit par «ayeblenegou», qui signifie «maladie d’origine inconnue», a-t-il expliqué. Les préservatifs sont devenus en bété des «poches de caoutchouc» et une personne séropositive «quelqu’un qui a été infecté».

«C’est important d’avoir ce vocabulaire car souvent les personnes sans éducation ne comprennent pas le sens des mots français», a affirmé Kouassi Ban.

Le projet RétroCI, basé à Abidjan et financé par les Etats-Unis, a financé la recherche linguistique à hauteur de 25 000 dollars.

Pourtant, tout le monde ne s’est pas joint aux festivités.

Ignorance et tabou

Deux jeunes hommes ont semblé l’ignorer, assis dans un petit espace recouvert de tôle ondulée aux allures de bar de village. Interrogés sur le sida, l’un d’eux a eu un petit rire nerveux avant de tourner la tête.

Mais son ami a simplement répliqué : «Ça devrait se guérir, comme ça nous n’aurions plus à nous en inquiéter».

Mais le jeune homme a fini par avouer suspecter la mort de plusieurs villageois de Obodroupa des suites du sida, mais que personne n’en était certain puisqu’ils sont morts à l’hôpital d’une localité voisine.

Le propriétaire du bar d’Obodroupa a constaté quant à lui que le sida est souvent considéré comme une sorcellerie. «Il y a plusieurs personnes qui croient que le sida n’existe pas. Il n’écoutent pas ce qu’on leur dit», a-t-il dit.

Selon Serges Kuyo, un homme d’affaires d’Abidjan originaire de Obodroupa, les croyances traditionnelles et la réticence à discuter de la maladie en famille empêchent la transmission des messages de sensibilisation dans le village.

«J’ai été à l’université, j’ai voyagé à l’étranger et j’ai une entreprise florissante. Alors vous pouvez penser que je suis bien informé sur la sexualité et le sida», a-t-il dit. «Mais étant l’un des plus jeunes de ma famille, je n’ai pas le droit d’intervenir quand je reviens au village. C’est comme ça la vie ici», a conclu Kuyo.

«Quand mon frère aîné s’apprêtait à prendre une troisième épouse, je lui ai dit d’arrêter de faire des bébés et de commencer à mettre un préservatif. Il a été scandalisé et ne m’a pas écouté. C’est impossible de parler de sexualité avec un membre plus âgé de sa famille. C’est perçu comme un manque de respect».





This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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