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La crise ivoirienne menace la stabilité régionale

La Côte d'Ivoire a failli basculer dans une guerre civile totale en 2004 et on a pu craindre qu'une reprise des hostilités dans le pays mine la sécurité et l'expansion économique des pays voisins.

L'espoir de remettre sur les rails un processus de paix moribond avant les élections prévues pour octobre 2005 s'est amenuisé en fin d'année, alors que le pays qui fut longtemps la locomotive économique de la région enchaînait les incidents violents.

Au mois de mars, au moins 120 personnes ont été tuées lorsque le gouvernement ivoirien a réprimé les tentatives de l'opposition d'organiser une manifestation dans la capitale économique Abidjan.

Au mois de juin, 99 corps ont été découverts dans des charniers après des affrontements entre factions rebelles rivales dans la ville de Korhogo, au nord du pays.

Ce même mois, le président Laurent Gbagbo a envoyé des helicoptères de combat mitrailler une colonne de véhicules rebelles près de la frontière, tuant 20 personnes.

Mais c'est au début du mois de novembre que le coup le plus dur a été assené au processus de paix, lorsque l'armée de l'air ivoirienne a rompu le cessez-le-feu en vigueur depuis 18 mois en bombardant, deux jours durant, les fiefs des forces rebelles dans le nord de la Côte d'Ivoire en vue de préparer une offensive terrestre d'envergure.

Les forces françaises de maintien de la paix ont alors stoppé cette offensive en détruisant au sol la quasi-totalité des avions et hélicoptères de l'armée de l'air ivoirienne après la mort de neuf des leurs dans le raid aérien sur la capitale rebelle Bouaké.

Suite à ce revers, les colonnes des troupes gouvernementales qui s'apprêtaient à forcer la zone de confiance gardée par les forces de maintien de la paix onusiennes ont rebroussé chemin.

Mbeki joue les médiateurs

Le président Thabo Mbeki d'Afrique du Sud est le dernier médiateur en date ayant oeuvré à la résolution du conflit.

Mandaté par l'Union africaine, il a essayé, cinq jours durant en Côte d'Ivoire, d'amener le président Gbagbo et le mouvement rebelle des Forces nouvelles à accepter un nouveau calendrier de réformes politiques et de désarmement en prélude à des élections présidentielles qui verraient la participation des principaux chefs politiques.

En fin d'année, cependant, Mbeki n'avait pas fait d'avancée majeure et le divorce semblait consommé entre Gbagbo et les rebelles, qui exigent le départ du Président avant toute reprise sérieuse des pourparlers de paix.

Pendant ce temps la communauté expatriée, qui dirige une grande partie de l'économie de Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de cacao, anticipait les troubles à venir.

Près de 9,000 ressortissants français et européens ont quitté la Côte d'Ivoire en novembre après un saccage orchestré dans les rues d'Abidjan par des partisans de Gbagbo, furieux que la France ait stoppé l'offensive gouvernementale.

Les manifestants, menés par le mouvement extrémiste des Jeunes patriotes, ont mis le feu aux écoles françaises, pillé les maisons et les commerces des expatriés et se sont opposés aux troupes françaises qui avaient pris le contrôle de l'aéroport et de plusieurs autres endroits.

Quelque 57 personnes ont trouvé la mort et plus de 2 000 ont été blessées dans ces affrontements, a affirmé le gouvernement ivoirien.

Dans le même temps, la reprise des hostilités en Côte d'Ivoire pouvait déstabiliser les processus de paix en cours au Liberia et en Sierra Leone voisins, qui, avec l'appui des Nations Unies, se remettent lentement de plus d'une décennie de guerres civiles.

Les factions libériennes désarment

A la fin novembre, 100 000 personnes affirmant avoir combattu au cours des 14 années de guerre civile qui ont ravagé le Liberia avaient été désarmées par les Nations Unies.

Mais seul le quart des anciens combattants venus rechercher l'indemnité de 300 dollars promise lors de la signature de l'accord de paix d'août 2003 avaient effectivement remis un fusil aux casques bleus.

Le désarmement des trois factions libériennes et le déploiement de 15 000 casques bleus à travers le pays ont cependant encouragé plus de 600 000 refugiés et personnes déplacées à revenir dans leurs villages abandonnés.

L'économie exsangue du Liberia est toujours sous le coup de sanctions des Nations Unies sur le bois d'oeuvre et les diamants, des sanctions reconduites jusqu'en 2005. En l'absence de sources de revenus domestiques, le gouvernement de transition dépend entièrement de l'aide extérieure.

Musulmans et chrétiens se sont affrontés fin octobre dans la capitale Monrovia, provoquant la mort de 29 personnes et l'instauration de plusieurs jours de couvre-feu. Cela a rappelé à quel point la paix est encore fragile dans le pays.

En décembre, le parlement libérien intérimaire a tout de même approuvé une loi longtemps retardée qui a ouvert la voie aux élections présidentielles et législatives du mois d'octobre 2005.

En Sierra Leone, qui a émergé, fin 2001, de 10 ans de guerre civile, le calme a régné tout au long de l'année. Les agences humanitaires ont célébré le succès des opérations de retour des personnes déplacées pendant le conflit.

Les procès de la Cour spéciale de Freetown, créée avec le soutien des Nations Unies pour juger les crimes de guerre, ont débuté au mois de juin, mais en l'absence des principaux protagonistes de la guerre civile.

L'ancien chef rebelle Foday Sankoh est mort en captivité alors qu'il attendait son procès et son commandant militaire, Sam Bockarie, a été tué au Liberia. L'ancien président libérien Charles Taylor, accusé d'avoir soutenu le mouvement du Revolutionary United Front (Front de Libération Uni - RUF), bénéficie toujours de l'asile politique au Nigeria. Johnny-Paul Koroma, le chef de la junte militaire qui a fait cause commune avec les rebelles, est toujours en fuite.

Seul Sam Hinga Norman, l'ancien ministre de la défense du président élu Ahmad Tejan Kabbah, pouvait donc comparaître en qualité de chef de guerre haut gradé, au grand dam du gouvernement.

Par ailleurs, les diplomates et travailleurs humanitaires se déclarent inquiets du haut niveau de corruption sous le gouvernement de Tejan Kabbah et doutent de la capacité de l'armée sierra léonaise, formée par les Britanniques, à assurer la sécurité et soutenir le processus démocratique dans le pays.

Par mesure de précaution, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé de proroger le mandat de la force de maintien de la paix réduite à 3 500 hommes jusqu'en juin.

Pour les diplomates, plus encore que le Liberia ou la Sierra Leone, c'est la Guinée qui pourrait sombrer dans le chaos dans un futur proche.

Stabilité fragile en Guinée

La Guinée est pour le moment demeurée calme, en raison des mesures de sécurité draconiennes imposées par le président Lansana Conté.

Mais l'économie du pays, fondée sur les exportations de bauxite, est en ruine. Les services publics tels l'électricité, l'eau, l'éducation, les services de santé fonctionnent à peine. Et le niveau de vie des huit millions de Guinéens a encore chuté du fait de l'augmentation des prix.

Entre temps, les tensions ethniques refont surface.

Conté, un ancien colonel qui dirige ce pays d'une main de fer depuis 20 ans, est affaibli par un diabète qui ne lui permet plus de marcher sans assistance. Il n'a pas de successeur désigné.

Les diplomates craignent qu'une vague de mécontentement populaire, à l'image des émeutes qu'a connu Conakry en juin, ne fasse basculer le pays dans le chaos.

A la mi-décembre, des manifestations estudiantines ont provoqué la fermeture du campus de Conakry, la principale université du pays.

Les diplomates craignent également que le conflit ivoirien ne s'étende à la région de la Guinée forestière, à l'est de la Guinée.

Près de 100 000 Guinéens ayant émigré en Côte d'Ivoire sont retournés en Région forestière après le déclenchement de la guerre civile ivoirienne en septembre 2002.

Des anciens combattants désoeuvrés appartenant à l'ethnie mandingue du Libéria errent dans la région, se mêlant aux réfugiés libériens et prenant le parti de leurs parents guinéens chaque fois qu'éclate un conflit à caractère ethnique.

Et les derniers éléments d'une milice pro-Conté créée il y a quatre ans pour repousser les incursions de combattants du Liberia portent encore les armes.

Impatience devant l'impasse ivoirienne

Mais c'est la Côte d'Ivoire qui demeure le principal motif d'inquiétude pour les diplomates.

Vers la fin de l'année 2004, la communauté internationale a montré des signes d'impatience devant l'impasse dans laquelle se trouve le processus de paix et s'est apprêtée à durcir le ton vis-à-vis des parties en conflit.

Après la reprise des hostilités dans le pays début novembre, le secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan a appelé le Conseil de sécurité à envoyer plus de 1 200 troupes supplémentaires et un contingent d'hélicoptères de combat en Côte d'Ivoire pour appuyer les 6 000 casques bleus déjà présents dans le pays.

Sa requête est restée lettre morte. En revanche, le Conseil de sécurité a imposé un embargo sur la vente d'armes en Côte d'Ivoire et brandi le spectre de sanctions supplémentaires, dont l'interdiction de voyager et le gel des avoirs des individus responsables du blocage du processus de paix.

Le 24 décembre, le quotidien français Libération s'est procuré la copie d'un rapport des Nations Unies sur les violations des droits de l'homme commises pendant les deux années de guerre civile en Côte d'Ivoire, un document qui n'a toujours pas été rendu public.

D'après Libération, le document qualifie les abus les plus sérieux commis par le gouvernement et les rebelles de crimes contre l'humanité.

Une annexe au rapport énumère également les noms de 200 individus susceptibles d'être visés par des poursuites devant une cour de justice internationale ou des sanctions des Nations Unies. Cette information a été confirmée par l'agence de presse Reuters.

Les informations relatives à ce rapport et à de précedentes enquêtes menées par les Nations Unies pourraient avoir été sciemment divulguées à la presse pour pousser le gouvernement et les chefs des rebelles à accepter la feuille de route proposée par Mbeki.

Le conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine se réunira à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 10 janvier, pour débattre de l'évolution de la situation en Côte d'Ivoire.

Le conseil de sécurité des Nations Unies devra également examiner la question de l'imposition de nouvelles sanctions sur la Côte d'Ivoire.

Le plan de paix proposé par Mbeki se fonde toujours sur l'accord de paix de Marcoussis parrainé par la France et accepté par les parties en conflit en janvier 2003. Seules les échéances fixées pour la mise en oeuvre des points principaux ont été modifiées.

Gbagbo a accepté l'accord de paix de Marcoussis avec beaucoup de réticences, se plaignant que ce dernier faisait trop de concessions aux rebelles. C'est d'ailleurs son parti, le Front populaire ivoirien, qui a jusque là retardé par des manoeuvres incessantes la mise en application des réformes politiques qu'il prévoyait.

A la fin du mois de décembre, toutes les réformes de Marcoussis avaient été approuvées par le parlement mais se posait la question de savoir si un amendement constitutionnel approuvé par les législateurs doit être soumis à référendum ou non.

Pour Ggagbo, le changement conditionnel relatif aux conditions d'éligibilité à la présidence de la république doit être décidé par référendum.

S'il était approuvé, ce changement permettrait à Alassane Ouattara, ancien Premier ministre qui jouit d'une grande popularité dans le nord du pays, de se présenter aux élections présidentielles de 2005.

Ouattara, qui vit en exil à Paris, a été exclu de la course à la magistrature suprême en 2000 au motif que son père est né au Burkina Faso. Aucun candidat sérieux, notamment l'ancien président Henri Konan Bédié, n'avait pu se présenter à cette élection, finalement remportée par Gbagbo.

Les rebelles ont longtemps refusé de remettre leurs armes tant que les réformes politiques promises dans l'accord de Marcoussis n'étaient pas à entérinées. L'offensive gouvernementale sur Bouaké pourrait à nouveau les amener à réclamer des garanties supplémentaires de la communauté internationale avant tout désarmement.

Se pose aussi la question du futur des 5 000 troupes françaises de maintien de la paix en Côte d'Ivoire. Tout en travaillant aux côtés de la force onusienne, elles sont sous commandement propre, avec pour mandat spécifique d'intervenir rapidement en cas de troubles.

Depuis qu'elles ont détruit la force aérienne de Gbagbo le 6 novembre, le Président ne les considère plus comme une force neutre dans le conflit et ses partisans sont maintes fois descendus dans les rues pour réclamer leur départ.

Ce sont pourtant ces mêmes troupes qui ont empêché les rebelles de marcher sur Abidjan en septembre 2003, au début de la guerre civile, et Gbagbo lui-même n'a pas encore osé demander leur départ.

La pauvreté augmente dans une atmosphère délétère

Le climat politique en Côte d'Ivoire est demeuré délétère en fin d'année, n'offrant guère de perspectives de retour aux 500 000 travailleurs immigrés et à leurs familles de retour au Burkina Faso, au Mali ou en Guinée pour échapper à la persécution des partisans de Gbagbo qui les considèrent comme des sympathisants des rebelles.

Les immigrés des autres pays d'Afrique de l'Ouest sont pour la plupart restés en Côte d'Ivoire mais sont devenus, au même titre que les Ivoiriens du nord, la cible favorite des policiers et soldats gouvernementaux qui leur extorquent de l'argent à chaque barrage routier.

Les journaux pro-Gbagbo incitent toujours à la méfiance et la haine envers les étrangers. Des tensions ethniques, liées à des disputes foncières, provoquent parfois des incidents sanglants.

Ainsi, peu avant Noël, 18 personnes ont été tuées près de la ville de Gagnoa au sud, lorsque des paysans burkinabè chassés de leur ferme par des membres de l'ethnie bété de Gbagbo ont attaqué un village proche de la maison du Président.

D'après l'armée, 11 personnes sont mortes dans ce raid punitif. Le représentant du Burkina Faso à Gagnoa a également rapporté que sept Burkinabè avaient été tués en représailles.

Les conditions ne sont pas meilleures au nord du pays aux mains des rebelles : la majorité des écoles et hôpitaux sont fermés depuis deux ans et ceux qui ne sont pas d'accord sont réduits au silence. Les agriculteurs qui s'étaient lancés dans les cultures vivrières ont dû revenir à l'agriculture de subsistance.

Les récoltes de cette année au nord ont été mauvaises et des rebelles à court d'argent se sont transformés en bandits de grand chemin, extorquant de l'argent aux habitants.

En Côte d'Ivoire, jadis l'un des pays les plus prospères d'Afrique de l'Ouest, chômage et pauvreté augmentent des deux côtés de la ligne de front et les fonds envoyés par les immigrants à leurs proches restés de l'autre côté de la frontière se sont considérablement réduits.

En décembre, les Nations Unies ont estimé que 44 pour cent des 16 millions d'Ivoiriens vivent désormais en-dessous du seuil de pauvreté, contre 38 pour cent en 2002. Le besoin d'assistance humanitaire s'accroîtrait encore en 2005.




This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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