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Les conséquences économiques de la crise pourraient être ressenties pendant des années

Le conflit en Côte d’Ivoire a entraîné une interruption brutale du commerce transfrontalier et provoqué l’exode de milliers de personnes vers les pays voisins. Pour certains hauts fonctionnaires des Nations Unies, ce conflit risque d’ébranler durablement les économies de ces pays pauvres.

«Il y a encore de sérieux problèmes à moyen et long termes. Nous ne sommes pas à la veille d’un règlement définitif de la crise,» a indiqué Ahmedou Ould-Adballah, le représentant spécial des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest, dans un entretien récent accordé à IRIN.

«Cette crise n’est pas bonne pour la coopération entre les pays et elle l’est encore moins pour la confiance en l’économie de la région.»

Avec ses vastes plantations de cacao et café, la Côte d’Ivoire était autrefois l’eldorado pour de nombreux ressortissants ouest-africains et pour les expatriés européens. Les gratte-ciels rutilants d’Abidjan sont là pour témoigner de la splendeur de la ville que d’aucuns considéraient comme le petit «Paris de l’Afrique».

Avant le début de la guerre civile, la Côte d’Ivoire représentait à elle seule 40 pour cent de la production économique de l’Union monétaire et économique de l’Afrique de l’Ouest (UMEOA), le groupe des huit pays d’Afrique francophones ayant pour monnaie commune le franc CFA.

Mais en septembre 2002, la tentative de renversement du président Laurent Gabgbo par les forces rebelles du Nord a déclenché un cycle infernal de violence. Début novembre, les troupes gouvernementales ont rompu le fragile cessez-le-feu en vigueur depuis 18 mois en bombardant les fiefs des rebelles, faisant ainsi resurgir le spectre d’une reprise générale des combats.

«Comment pouvons-nous espérer attirer des investissements étrangers, essentiels pour créer des emplois dont tant de millions de jeunes ouest-africains ont désespérément besoin, si certains de nos dirigeants continuent de poursuivre une logique de guerre et de vendetta année après année ?» a déclaré Ould-Abdallah.

L’offensive de l’armée ivoirienne sur le nord s’est arrêtée après que les troupes françaises de maintien de la paix basées en Côte d’Ivoire ont détruit au sol la quasi-totalité des moyens aériens de l’armée ivoirienne.

Toutefois, selon de nombreux diplomates, l’arrêt des hostilités n’est que provisoire et il s’attendre à de probables répercussions au niveau régional.

Des répercussions économiques

«On va vraisemblablement assister à une dégradation lente et durable des économies (des pays voisins),» a indiqué Hervé Ludovic de Lys, le directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest du bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

«Le secteur informel, qui peut générer jusqu’à 70 pour cent des recettes de certains Etats de la région va être durablement perturbé par cette crise,», a t-il précisé. «Les populations et les marchandises se déplacent désormais avec beaucoup de difficultés en raison des multiples barrages et des fouilles.»

De Lys n’a pas manqué d’indiquer que la plupart des quatre millions d’immigrés vivant en Côte d’Ivoire et originaires du Burkina Faso, du Mali, de la Guinée et des autres Etats limitrophes, ne peuvent pas se rendre dans leur pays d’origine pour apporter leurs contributions financières si importantes pour leur famille.

«Les migrations saisonnières liées aux campagnes agricoles café et cacao ont été interrompues par les derniers événements, privant les pays voisins des transferts de revenus venant de Côte d’Ivoire,» a fait remarquer de Lys.

Les récents troubles ont eu un effet négatif sur le trafic transfrontalier, a reconnu Ould-Abdallah.

«Les échanges économiques à la frontière sont suspendus,» a t-il déclaré au cours de l’interview. «Et les barrages les rendent encore plus difficiles…Les gens sont arrêtés, dépossédés de leur argent ou rançonnés.»

Un correspondant d’IRIN qui s’est rendu en début de mis à Zegoua, une ville située à la frontière entre le Mali et la Côte d’ivoire, a constaté le même effet dévastateur sur l’économie de la petite ville.

Zegoua se situe sur la très importante nationale 7, la route empruntée par les camions de transport du coton, le principal produit d’exportation du Mali, vers le port d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Ces camions ramènent au Mali, pays enclavé, d’importantes quantités de produits importés, ainsi que de l’essence, du ciment et des matériaux de construction.

Selon les autorités locales, quelque 700 camions traversent chaque jour la ville frontalière de Zegoua. Ce trafic rapporte à l’Etat malien entre 180 et 200 millions de francs CFA (360 à 400 000 dollars américains) par mois, des recettes douanières qui ont disparu en raison de la crise.

«Lorsque la crise a éclaté, les camions de transport de marchandises ont subitement disparus et, comme par enchantement, la ville s’est vidée,» a indiqué Fatogoma Ouattara, le maire de Zegoua. «Les transitaires et les autres opérateurs économiques ont tout simplement disparu de la ville.»

Depuis le début du conflit en Côte d’Ivoire, les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger tentent avec plus ou moins de succès de diriger leurs exportations et importations de produits vers d’autres ports de la côte ouest-africaine. Mais la suspension des transactions commerciales avec l’étranger et la réduction des transferts des revenus des travailleurs immigrés vivant en Côte d’Ivoire ont durement affecté les économies de ces trois pays.

Et si les immigrants rentraient chez eux ?

Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée tentent également d’absorber le flux des quelques 600 000 immigrés fuyant le conflit en Côte d’Ivoire. Mais certains analystes de l’ONU confient en privé que ce nombre pourrait doubler si la Côte d’Ivoire replonge dans la guerre civile.

L’urgence actuellement est d’arrêter l’effet domino des conséquences économiques de cette crise sur les pays ouest-africains.

«En terme plus stratégique, on constate qu’il existe un effet domino réel, lié à l’instabilité ou à la détérioration des conditions de vie des populations, qui constitue un terrain propice pour les conflits et les crises,» a indiqué de Lys, le responsable OCHA pour l’Afrique de l’ouest.

Citant le cas du Burkina Faso, troisième pays le plus pauvre selon l’indice de développement du facteur humain du PNUD, des milliers de ressortissants burkinabé, essentiellement ceux qui travaillent dans les plantations de café et de cacao, ont fui la Côte d’Ivoire depuis 2002, par peur des représailles ethniques et des allégations selon lesquelles ils seraient complices des rebelles.

Le président Gbabo a à plusieurs reprises accusé le Burkina Faso d’apporter un soutien aux rebelles.

«Par exemple, quel est l’impact exact du retour des 350 000 burkinabè dans leur village d’origine depuis le déclenchement de la guerre ?» s’est demandé de Lys.

«L’enjeu est un plan économique d’urgence pour les pays qui sortent de conflit ou pour les pays voisins qui subissent les conflits,» a t-il conclu.

La préoccupation majeure des agences humanitaires, c’est que la plupart des pays voisins de la Côte d’Ivoire sont déjà confrontés à une situation de post-conflit ou tentent désespérément d’éviter une reprise des hostilités sur leur territoire.

Une situation fragile dans les pays voisins

«Les pays voisins ne pourront certainement pas faire face : le Liberia peine à se relever, la Sierra Leone c’est la même chose. La Guinée forestière est une région difficile et exposer ces pays, sans parler du Burkina Faso et du Mali, à des contraintes économiques de ce genre est un grand problème,» a indiqué Ould-Abdallah.

Même pour les pays mieux nantis comme le Ghana, considéré dans la sous-région comme un havre de stabilité et de prospérité relative, il y a des raisons de s’inquiéter lorsqu’il s’agit d’accueillir des réfugiés venant de Côte d’Ivoire.

«Pour des raisons politiques, c’est la destination la plus évidente. Mais le Ghana n’a pas besoin de cet afflux important de réfugiés ou de déplacés à deux mois des élections présidentielles,» a fait remarquer Ould-Abdallah.

Jusqu’à présent, une bonne partie des réfugiés est concentrée dans l’est du Liberia.

Selon les indications fournies à IRIN par des représentants du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), près de 20 000 réfugiés ivoiriens ont rejoint le Liberia en pirogue ou à pieds au cours des trois derniers mois, malgré les conditions de vie pénibles qui les attendent dans ce pays qui se remet à peine de 14 années de guerre civile.

Les habitants de la ville frontalière de Butuo subissent les débordements du conflit ivoirien. En très peu de temps, la population de la ville est passé de 1 000 habitants, au début du mois de novembre à 6 000 avec l’arrivée des réfugiés. Certaines familles hôtes hébergent jusqu’à 10 réfugiés dans leur maison.

«Puisque ces frères et sœurs qui se réfugient ici sont pour la plupart de la même ethnie, nous avons demandé aux habitants de la région de les héberger et de les nourrir,» a indiqué à IRIN Albert Fanga, le commissaire de police du district.

Mais la porosité de la frontière pose un réel problème. Certains combattants qui se sont retrouvés au chômage depuis un an, à la fin de la guerre au Liberia, pourraient reprendre du service à l’occasion de ce conflit.

«S’ils trouvent un nouvel employeur, ils vont y aller,» a indiqué Ould-Abdallah.

Les travailleurs humanitaires craignent que les enfants soldats ne soient des proies particulièrement vulnérables pour les agents de recrutement étrangers.

«Nous craignons que de nombreux enfants soldats libériens désarmés, démobilisés et vivant avec leur famille ne soient recrutés de nouveau par les factions armées en Côté d’Ivoire,» a indiqué Samuel Kamanda, un agent de la protection des mineurs auprès de l’agence humanitaire américaine IRC.

Une médiation très remarquée

Les efforts de médiation pour sortir de l’impasse politique se sont intensifiés ce mois-ci. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté un embargo sur la vente d’armes à la Côte d’Ivoire et prévenu qu’une interdiction de voyager et un gel des avoirs seraient décidés le 15 décembre contre tout responsable politique qui entraverait le bon déroulement du processus de paix.

Mandaté par l’Union Africaine, le président sud-africain Thabo Mbéki a entrepris une série de pourparlers avec les principaux responsables politiques ivoiriens afin de ramener les protagonistes à la table des négociations.

Mbéki a déjà rencontré le président Gbabo, les responsables des partis d’opposition et des forces rebelles pour trouver une issue à l’impasse politique actuelle. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) que préside le chef d’Etat ghanéen John Kufuor participe aussi activement à cet effort de médiation.

Mais selon certains experts, si le balai diplomatique organisé autour du conflit ivoirien est crucial, il relègue au second plan d’autres problèmes qui, s’ils ne font pas les gros titres de la presse, restent tout aussi importants en Afrique de l’Ouest.

«Cette crise impose un fardeau à ces institutions et pèse énormément sur leurs ressources,» a indiqué Ould-Abdallah. «Nous avons d’autres problèmes – la Guinée-Bissau, le Liberia, et la Sierra Leone. Certains pays ont besoin d’une assistance, mais personne n’y pense à cause de la crise en Côte d’Ivoire.»

«Comment pouvons attirer l’attention de la communauté internationale et des partenaires au développement sur d’autres sujets, lorsque nous avons une crise de cette ampleur ?»

Ce message a été repris la semaine dernière par Jean-Jacques Graisse, le vice-directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM), lors de son passage en Sierra Leone, un pays qui se remet encore de 10 années d’une guerre civile qui a seulement pris fin en 2002.

Dans une conférence de presse, Jean-Jacques Graisse a indiqué que les donateurs avaient offert à l’agence une bonne partie des fonds – soit 61 millions de dollars sur les 81 millions demandés -- nécessaires en 2004 pour la région ouest-africaine.

«Avec toutes les crises qui existent dans le monde, il est facile d’oublier la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone où les conflits longtemps mis en exergue sont actuellement terminés,» a t-il indiqué.

«Mais ce n’est pas le moment d’oublier cette sous-région. La communauté internationale doit soutenir cette dynamique de paix.»

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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