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La capitale rebelle, assoupie, se réveille doucement à la paix

Une fillette frêle aux pieds nus, qui paraît avoir moins de dix ans, bondit d'un buisson et repousse une planche parsemée de clous qui barre la principale route, au premier des six barrages routiers rebelles, en direction de Bouaké, la deuxième ville de la Côte d'Ivoire.

Derrière elle, des hommes et des femmes plus âgés, habillés de T-shirts et de bonnets de laine portant l'emblème du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI), déambulent dans des voitures réquisitionnées, peintes avec les noms de leurs unités militaires telles que "Cobra" et "Watao". Beaucoup d'entre eux sont armés de fusils automatiques, tandis que certains n'ont aucune arme.

Le conducteur et les passagers font des signes de la main. Les combattants du MPCI les saluent à leur tour, sans prendre la peine d'arrêter et de fouiller le véhicule. Probablement à cause de l'emblème bleu clair de l'ONU peinte sur le côté. Mais peut-être aussi parce que depuis plusieurs mois, il n'y a pas eu de combats entre les forces rebelles et gouvernementales dans cette région du centre ivoirien.

En fait, malgré les tensions continues entre le nord, tenu par les rebelles, et le sud, contrôlé par le gouvernement, il existe de légers signes de retour progressif à la vie normale dans ce pays divisé, neuf mois après avoir plongé dans une guerre civile.

Un accord de paix conclu en janvier dernier a abouti à un cessez-le-feu ainsi qu'à la formation d'un gouvernement de réconciliation nationale, incluant neuf ministres rebelles. Il y a trois semaines, le Premier ministre Seydou Diarra a tenu un conseil du gouvernement symbolique à Bouaké, où le MPCI a établi son quartier général dans une école d'infirmières.

Les convois de camions, sous escorte militaire, traversent à nouveau la ville, en provenance du port d'Abidjan vers le Mali, un pays enclavé. A la fin juin, la route et le chemin de fer entre Abidjan et le Burkina Faso, passant par Bouaké, vont également rouvrir le trafic international. Et, en dépit des fréquents barrages routiers, un nombre croissant de camions franchit la ligne de front pour approvisionner en marchandises le nord de la Côte d'Ivoire, tenu par les rebelles.

Or, bien que la vie reprend peu à peu à Bouaké, où la forêt du sud de la Côte d'Ivoire a cédé la place à la savane du nord, cette cité naguère bouillonnante d'actvités commerciales, n'est plus que l'ombre d'elle-même.

Les six stations d'essence de la grande avenue de la ville sont fermées, tout comme les banques et les magasins. Dans les rues, quelques voitures de particuliers ou des taxis. Les véhicules tout-terrain des agences internationales de secours constituent un grand pourcentage de la circulation.

Et il y a peu de gens. Même pas de patrouilles rebelles. La présence militaire rebelle est essentiellement marquée par des groupes de recrues du MPCI en uniformes, pour beaucoup âgés de moins de dix-huit ans qui, dans le cadre de leur entraînement, courent à petite foulée en chantant dans les rues.

Un travailleur humanitaire a estimé que la moitié des 600 000 habitants de Bouaké a fui depuis que la guerre a éclaté, à la suite du Coup d'Etat manqué du 19 septembre 2002.

"Ils disent que Bouaké est à nouveau sur ses pieds, mais la seule chose vivante ici ce sont les fantômes", a déclaré Aboubacar, un jeune homme visiblement triste, ancien chauffeur de taxi aujourd'hui sans emploi.

"Et ils disent que les libanais sont de retour", a remarqué Abdul, son ami, également sans emploi, qui faisait allusion au fait que les commerçants et les marchands libanais contrôlent la majeure partie du commerce en Côte d'Ivoire. Jusqu'à une date récente, ce pays était le plus prospère de l'Afrique de l'Ouest, fournissant quarante pour cent du cacao mondial et exportant vers ses voisins des biens industriels.

Alors qu’il y a un libanais derrière chaque caisse enregistreuse de Treichville, un quartier commercial animé d'Abidjan, un correspondant d'IRIN en visite dans la ville n'a aperçu qu'un seul commerçant libanais à Bouaké, qui vendait un modeste assortiment de valises, de ventilateurs et d'autres appareils électroniques.

Il y a encore de l'électricité à Bouaké, de l'eau jaillit des robinets, et le réseau téléphonique fonctionne au petit bonheur. On peut même appeller avec un téléphone portable la région du sud sous contrôle gouvernemental, depuis la ligne de front qui se trouve à 60 km au sud de la ville.

De jour, le marché central est le seul endroit vibrant d'activités. La plupart des magasins de la ville sont fermés depuis des mois. Les banques, les pharmacies, les supermarchés, les agences de voyages, les restaurants et les hôtels ont les rideaux baissés ou leurs fenêtres brisées.

Et la nuit, la ville est calme, presque morte. Les seuls signes de vie sont les quelques personnes flânant le long de la route et un petit groupe d'amis buvant paisiblement de la bière à la terrasse d'un bar.

En dépit de la formation en avril du gouvernement de réconciliation nationale, son autorité ne s'étend pas au territoire du MPCI, où les rebelles ont formé leur propre administration, novice en la matière, et ont réussi à rouvrir quelques écoles.

Selon le ministre de l'Education, Michel Amani N'Guessan, seulement 95 000 des 600 000 enfants qui fréquentent normalement l'école dans la zone tenue par les rebelles, ont suivi des cours réguliers.

Il y a même une radio et une télévision à Bouaké. Mais les stations passent les programmes du MPCI au lieu de ceux du gouvernement. Le principal sujet du journal télévisé n'est pas d'informer sur ce que le président Laurent Gbagbo vient juste de faire à Abidjan. Il y a plus de chance qu'il soit axé sur les exploits d'un chef rebelle qui, il y a moins d'un an, était un simple homme de troupe.

Fort heureusement, Bouaké, qui est rapidement tombée entre les mains des forces rebelles dès le début de la guerre civile, ne porte pas les stigmates du conflit. Ses bâtiments sont restés intacts et n'ont pas subi de dégâts majeurs.

Et même s'il reste encore aux ministères à Abidjan à envoyer leurs fonctionnaires pour remettre sur pied l'administration nationale, il existe des signes encourageants qui montrent que la nation a commencé à se rescinder.

Le premier est le nombre croissant de camions chargés au maximum avec des marchandises, qui ont commencé à faire la navette entre Bouaké et Abidjan, à environ 400 km au sud.

Le deuxième est de voir le drapeau ivoirien sur les automobiles du MPCI, traduisant les sentiments d'un responsable rebelle qui a déclaré à IRIN "quoiqu'il advienne, le pays restera un et indivisible".

La dernière fois que le correspondant spécial d'IRIN s'est rendu à Bouaké, c'était au début de 2002, avant le déclenchement de la guerre civile. Ce jour-là, il s'était arrêté comme d'habitude à sa boutique de musique préférée pour prendre quelques disques pour le voyage du retour. Cette fois-ci, il était le seul client. Alors qu'il se dirigeait vers sa voiture, il a entendu les baffles de la boutique crachant à plein volume les paroles du rappeur américain assassiné, Tupac Amaru : ''Après chaque nuit sombre, il y a une belle journée ".


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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