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La frontière entre l’humanitaire et le développement en Afghanistan

Ghool Mohamed was displaced by drought two years ago and now
lives in Damqol village on a mountainside near Maymana, the capital of Faryab Province, northern Afghanistan Heba Aly/IRIN
Resident of Damqol village near Maymana, the capital of Faryab Province, northern Afghanistan (Jan 2012)
L’Afghanistan est sujet à des catastrophes naturelles cycliques – inondations et sécheresses – qui touchent la population chaque année et requièrent la mise en œuvre d’interventions d’urgence coûteuses, mais les conséquences de ces catastrophes pourraient être évitées, ou du moins atténuées, si des systèmes appropriés pour la gestion des eaux ou des barrages étaient mis en place, par exemple.

Certains agriculteurs pourraient remplacer les cultures irriguées de blé, qui nécessitent beaucoup d’eau, par des cultures de raisin ou d’amandes, par exemple. Mais ce genre de changements requiert la mise en œuvre de plans pluriannuels qui sont, par nature, incompatibles avec les interventions d’urgence incluses dans les appels annuels dont l’objectif est de recueillir des fonds.

« Intervenir dans huit situations de sécheresses en 11 ans, ça n’a pas de sens », a récemment dit Michael Keating, le Coordonnateur humanitaire des Nations Unies pour l’Afghanistan. « Il y a un vrai problème ».

« On sait comment faire face à certains de ces problèmes », a-t-il dit à IRIN. « Les interventions humanitaires d’urgence ne devraient pas servir à les résoudre ».

Et pourtant, au cours de ces dix dernières années, les acteurs humanitaires se sont occupés de problèmes d’infrastructures et de programmes de relèvement précoces.

« Une grande partie de l’aide humanitaire a été partiellement détournée de son objectif », a indiqué Laurent Saillard, le directeur de l’Office d'aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) en Afghanistan. « Au lieu de remplir ses objectifs – réalisation d’interventions d’urgence susceptibles de sauver des vies – elle essaye de lutter contre la pauvreté chronique, et bien-sûr elle n’obtient pas de résultats durables ».

Au cours des dix dernières années, 3,2 milliards de dollars ont été dépensés en Afghanistan pour les programmes prévus dans les appels annuels de la communauté internationale visant à recueillir des financements – la Procédure d’appel global (CAP). La CAP représenterait seulement la moitié du financement humanitaire.

« [C’est] frustrant pour les populations qui bénéficient de l’aide, [car celle-ci] ne correspond pas exactement à ce dont ils ont besoin... c’est frustrant pour les agences d’exécution [qui] réalisent qu’elles sont sur le terrain depuis dix ans et qu’elles répètent toutes sortes d’interventions, et pourtant elles n’ont pas résolus le problème … et c’est frustrant pour les donateurs, [qui] se rendent compte que l’argent est mal dépensé, d’une certaine façon », a dit M. Saillard à IRIN.

Le problème a empiré suite à la sécheresse de cette année – qui a touché 2,8 millions de personnes : « À ce niveau-là, on n’a tout simplement pas de solution durable », a dit Aidan O’Leary, le directeur du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) en Afghanistan.

« Au bout du compte, les acteurs humanitaires ne peuvent fournir qu’une aide d’urgence », a-t-il ajouté. « Nous ne pouvons pas apporter de solutions. [Les gens] demandent des maisons, des routes, des moyens de subsistance. Les acteurs humanitaires ne peuvent pas fournir cela. Ils ne pourront jamais répondre à ces attentes ».

Nouvelle approche

La CAP de cette année, lancée à Kaboul le 28 janvier, vise à « revenir aux sources » en se concentrant sur davantage de besoins strictement humanitaires. « Si on essaye d’en faire beaucoup, on n’arrive à rien finalement », a dit M. O’Leary à IRIN.

La communauté humanitaire internationale a demandé un montant inférieur d’un quart par rapport à l’année dernière, bien que les besoins humanitaires soient en augmentation. Elle a sollicité 437 millions de dollars pour apporter de l’aide à 8,8 million d’Afghans, y compris de l’aide aux civils affectés par les conflits armés, une aide initiale aux réfugiés et aux déplacés internes qui repartent vers leur région d’origine, et des actions nécessaires à la survie des personnes affectées par les catastrophes naturelles.

Cela n’inclut pas les projets à destination des « populations chroniquement vulnérables » - une tâche qui reviendrait plutôt aux acteurs du développement.

Origine de la situation actuelle

Selon les travailleurs humanitaires, une grande partie du problème est lié au fait que des milliards de dollars destinés à l’aide au développement et investis dans le pays au cours des dix dernières années n’ont pas été utilisés de manière cohésive ou en fonction des besoins, mais plutôt en fonction d’objectifs politiques et militaires à court terme.

Environ 57 milliards de dollars d’aide au développement ont été dépensés en Afghanistan depuis 2001, et pourtant 10 millions de personnes vivent toujours au bord du gouffre, a dit M. Keating.

« Cela soulève une question : les investissements ont-ils été justes ? L’argent est-il utilisé de manière à aider ces communautés à réduire leur vulnérabilité et à ne pas les exposer à des crises humanitaires à répétition ? ».

Damqol village, Faryab Province, northern Afghanistan, is home to people displaced by drought two years ago (January 2012)
Photo: Heba Aly/IRIN
Des villageois afghans mettent du gravier sur une route récemment construite dans le cadre d’un projet argent contre travail
Des projets passés aux oubliettes

Selon les travailleurs humanitaires, le gouvernement non plus n’a pas offert de réponse. M. Saillard soutient que la communauté humanitaire est en partie responsable, car elle a permis au gouvernement de surseoir à ses responsabilités, souvent sous le prétexte d’un manque de capacité. « Le fait qu’il y ait cette présence implique parfois que les bons acteurs sont en dehors du jeu », a-t-il noté.

Le ministre de la Réhabilitation rurale et du Développement, Jarullah Mansoori, soutient toutefois que son budget annuel de 500 millions de dollars a permis à son ministère de faire de grandes avancées dans le renforcement de la résilience des communautés aux chocs et la gestion des effets des catastrophes.

Il a établi un organe central de coordination, l’Autorité nationale de gestion des catastrophes en Afghanistan ; creusé des canaux d’irrigation ; favorisé le développement des entreprises en milieu rural ; et amélioré l’accès à la santé et à l’éducation dans les zones rurales. Le programme phare du ministère, le Programme de solidarité nationale, est reconnu pour avoir atteint le niveau local dans le domaine des programmes argent contre travail ou argent contre biens.

« Si l’on compare les dommages entraînés par les catastrophes survenues il y a huit ans... aujourd’hui, on note une vraie différence », a dit le Ministre à IRIN. « Toutefois, étant donné que le pays a subi des guerres désastreuses et dévastatrices et des crises pendant plus de 30 ans, il faut faire beaucoup d’efforts dans tous les domaines ».

D’autres travailleurs humanitaires indiquent que les projets d’atténuation, comme les murs de protection contre les inondations, sont passés aux oubliettes. Ils ne figurent pas au cœur de la Stratégie de développement national en Afghanistan que la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) est chargée de soutenir ; techniquement, ils ne font pas non plus partie des prérogatives du mandat de l’OCHA. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui s’occupe traditionnellement de ce type de projets, s’est attelé à l’amélioration de la gouvernance et à la réduction de la pauvreté, et réduit sa présence directe dans le pays afin de travailler davantage par le biais du gouvernement.

« La réduction des risques de catastrophe est quasiment inexistante », selon un acteur du développement. « Je me suis rendu compte qu’il y avait un écart. On est beaucoup plus dans la réactivité que dans la proactivité ».

Dialogue

Une autre partie du problème tient au manque de compréhension du terme « humanitaire » et de la frontière entre l’humanitaire et le développement. « Il y a un manque de clarté », comme l’explique un travailleur de terrain. « S’agit-il d’une activité de développement ou d’une activité humanitaire ? »

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) s’occupe de cette question depuis plusieurs années, car les réfugiés qui reviennent d’Iran et du Pakistan – et qui ont reçu une aide humanitaire initiale – ont des difficultés à s’intégrer à long terme.

« Où l’aide humanitaire s’arrête-t-elle et où l’aide au développement commence-t-elle ? », se demande Suzanne Murray Jones, une conseillère supérieure du HCR. « Comment pouvons-nous combler l’écart ? ».
La réponse, a-t-elle dit, passe en partie par un plus grand dialogue entre les partenaires humanitaires et les partenaires du développement afin de favoriser les investissements dans le développement dans les régions où les populations reviennent en masse.

Villagers from Arab Aqsai village in Faryab province, northern Afghanistan, level a new road and lay down gravel in a cash-for-work project to help them get through the 2011-2012 drought
Photo: Heba Aly/IRIN
Les villageois de Damqol ont eu besoin d’aide lors de la sécheresse
« Nous ne savons rien du développement des moyens de subsistance ou de l’agriculture à grande échelle. Cela ne fait pas partie de notre domaine d’expertise. C’est à la FAO ou à l’OIT de se rendre sur place et de déterminer les besoins », a-t-elle dit, en faisant référence à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et à l’Organisation internationale du travail. « Il s’agit de mettre les moyens en commun pour travailler ensemble ».

À cette fin, les acteurs de l’humanitaire participent désormais aux réunions mensuelles des directeurs des agences de développement afin d’essayer de mettre en évidence des sujets d’inquiétude. M. O’Leary soutient de plus en plus le développement.

« Il faut que nous fassions entendre notre voix », a-t-il dit. « Je ne vois pas l’intérêt d’avoir des travailleurs humanitaires indéfiniment, ici, en Afghanistan. Il faut que nous trouvions une stratégie de sortie. Cela implique qu’il y ait un processus de paix et que les acteurs du développement exposent les questions clé. Est-ce que cela va prendre des décennies ? Oui. Mais il faut que nous y travaillions dès aujourd’hui ».

Écarts

En attendant, les travailleurs humanitaires essayent de reprendre un rôle plus traditionnel, mais ils se retrouvent dans une situation délicate. M. Keating se souvient d’une visite effectuée dans un campement de Kaboul où les gens vivaient avec « rien ».

« On ne peut pas toujours tout faire sur une base humanitaire, et pourtant il n’y a pas d’activité de développement qui, selon nous, répondrait à leurs besoins », a-t-il dit. « Ils sont assis entre deux chaises. J’imagine que c’est aussi le cas d’un très grand nombre d’habitants des zones rurales ».

Les travailleurs humanitaires reconnaissent que des régions pourraient ne pas être couvertes en cas de retrait. Mais pour M. Saillard, c’est peut-être un mal nécessaire. « Il faut parfois creuser des écarts pour que les bons acteurs se réveillent et prennent leurs responsabilités avec sérieux », a-t-il dit.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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