Selon Olivier de Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, il faut remercier le ministre français de l’Agriculture, Bruno Lemaire qui présidait le sommet, d’avoir fait en sorte qu’un accord puisse être trouvé. Le plan d’action traite des symptômes, et non des causes de la crise actuelle. « On pourrait aller beaucoup plus loin, » a t-il dit à IRIN.
L’année 2011 a commencé avec des prix alimentaires aussi élevés que ceux qu’on a pu observer durant la crise de 2007-2008. Les variations chaotiques de la météo, la spéculation, les conflits, les restrictions commerciales, le coût des carburants et la transformation des céréales alimentaires en éthanol, ont tous contribué à maintenir les prix alimentaires, y compris les principales céréales de base, à un niveau élevé. Le monde attendait des pays du G20 qu’ils montrent la voie de façon décisive.
Shenggen Fan, président de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), un groupe de réflexion américain qui se trouvait à Paris pour la rencontre, a dit que le G20 n’a pas su identifier « les priorités les plus pressantes », ni fournir de détails sur la façon d’y faire face pour aider chacun à aller au-delà « des mots et de la rhétorique pour agir et mettre en oeuvre ».
« Réparer le système alimentaire mondial et mettre un terme à la crise des prix alimentaires nécessite une intervention chirurgicale majeure, mais le G20 ne propose guère plus qu’un cataplasme sur une jambe de bois, » a dit Jean-Cyril Dagorn, conseiller auprès de l’organisation humanitaire Oxfam.
Les biocarburants
« J’espérais un langage beaucoup plus fort sur trois domaines des plus urgents : les biocarburants, les filets de sécurité et les restrictions commerciales, » a dit M. Fan. « Je pense qu’ils auraient dû réclamer de mettre fin à l’utilisation de céréales alimentaires pour la production des biocarburants [de première génération], en réduisant les subventions et en réformant les politiques, afin de faire cesser la compétition entre nourriture et carburants, et recommander à la place la production de biocarburants de deuxième génération [ceux qui proviennent de la biomasse]. »
Le pétrole brut coûte environ 100 dollars le baril, ce qui fait des biocarburants une alternative intéressante. C’est pourquoi toujours plus de maïs, d’huile végétale et de canne à sucre sont utilisés pour la production des biocarburants, ce que la Banque mondiale et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont identifié comme un facteur majeur du maintien des prix alimentaires à un niveau élevé.
Le ministère de l’Agriculture américain (USDA), dans son rapport Estimations mondiales de l’offre et de la demande agricoles, publié en avril 2011, a indiqué que le maïs utilisé pour produire de l’éthanol représentait 31 pour cent de la production totale de maïs en 2008-2009 et que la proportion atteindrait 40 pour cent en 2010-2011.
« Et pourtant, cette question va nécessairement resurgir, quand on demandera comment sont censées fonctionner les réserves alimentaires d’urgence. A quel agriculteurs achèterons-nous ? » |
Les ministres du G20 n’ont pas proposé grand chose pour réduire la production de biocarburants ; ils se sont contentés d’admettre qu’il était nécessaire « d’analyser davantage l'ensemble des facteurs qui influencent les relations entre la production de biocarburants et (i) la disponibilité alimentaire, (ii) la réponse de l’agriculture à l’augmentation des prix et à la volatilité, (iii) la durabilité de la production agricole, et d'approfondir l'analyse des réponses possibles en terme de politiques publiques. »
Pour M. de Schutter, « ce sont les intérêts commerciaux des Etats-Unis et du Brésil qui ont empêché qu’on parvienne à des résultats à propos des biocarburants. » Il trouve cela particulièrement frustrant, car un consensus international considère désormais la production de biocarburants – et l’accaparement des terres qui s’ensuit – comme un « facteur majeur » de la hausse des prix alimentaires.
Avant le sommet, le ministre de l’Agriculture américain, Tom Vilsack – ancien gouverneur de l’Iowa - un Etat qui reçoit des subventions considérables de la part du gouvernement américain pour produire de l’éthanol – a qualifié les biocarburants de « créateurs d’emplois extraordinaires » et soutenu que leur rôle dans la hausse des prix alimentaires était exagéré.
Le prix du pétrole brut va rester élevé en 2011 et est censé atteindre 107 dollars [le baril] d’ici 2020, selon les Perspectives agricoles 2011-2020, un rapport établi conjointement par la FAO et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ce qui rendra les investissements dans l’éthanol et le biodiésel encore plus lucratifs.
La position timorée du G20 sur les biocarburants de première génération semble faire écho à celle de l’Union africaine (UA) : « Nous [les Africains] ne pouvons pas nous permettre de rejeter complètement les biocarburants de première génération. Regardez le succès qu’a eu le Brésil avec son éthanol à base de canne à sucre. Nous sommes en train de mettre en place un cadre qui garantit que la production de biocarburant et tous les problèmes soulevés par « l’accaparement des terres » ne compromettent pas la sécurité alimentaire, » a dit Richard Mkandawire, directeur du Programme détaillé du développement de l’agriculture africaine (PPDAA) de l’Union africaine.
La spéculation
Les spéculateurs ont grandement contribué à la flambée des prix alimentaires, mais les ministres du G20 se sont limités à encourager leurs collègues des finances à « prendre les décisions appropriées » pour réguler les marchés. Le manque d’informations sérieuses et disponibles au bon moment est vu comme l’un des facteurs principaux qui provoquent la spéculation.
Le sommet de Paris a établi un système de surveillance nommé Système d’information des marchés agricoles (AMIS), qui sera basé à la FAO à Rome. Ce système « encouragera les principaux acteurs des marchés agroalimentaires à partager leurs données, à améliorer les systèmes d’information existants, à promouvoir une meilleure compréhension partagée de l’évolution des prix alimentaires et à promouvoir le dialogue politique et la coopération. »
Un défaut majeur de l’AMIS est que, sans la pleine participation du secteur privé, « l’information sera incomplète », a noté M. de Schutter. Les entreprises privées, Archer Daniels Midland, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus, - connues dans l’industrie comme l’ABCD de l’alimentaire – contrôlent plus de 90 pour cent du commerce mondial des céréales. Le communiqué du G20 [exhorte] simplement « les sociétés du secteur privé à participer à AMIS. »
Un réseau international de suivi de la production agricole utilisant la géo-information a également été lancé : l’Initiative de suivi satellitaire de l’agriculture mondiale (The Global Agriculture Geo-Monitoring Initiative)« sera une contribution utile à AMIS via la fourniture de données prévisionnelles plus précises sur les cultures. »
Un Forum de réaction rapide sera mis en place « dans le cadre d’AMIS » pour que les responsables agricoles de haut niveau puissent « échanger leurs points de vue et leurs plans pour des actions immédiates destinées à prévenir ou à atténuer les crises des prix alimentaires. »
Restrictions commerciales
Pour M. Fan d’IFPRI, il est essentiel d’éliminer les restrictions commerciales sur les denrées agricoles, telles que les interdictions d’exportation, les tarifs d’importation et les barrières non tarifaires, et de s’abstenir d’en imposer de nouvelles, facteur considéré comme crucial dans la flambée des prix du blé en 2010.
« Cela devrait renforcer l’efficacité des marchés agricoles mondiaux, en réduisant les prix pour les consommateurs et en augmentant les opportunités pour les petits producteurs d’exporter leur production. » Cependant, le plan d’action se contente de demander aux pays de s’abstenir d’imposer des restrictions et des tarifs commerciaux, et de « réduire » les barrières quand ils le peuvent.
Toutefois, les pays du G20 ont décidé de n’imposer aucune restriction commerciale sur la nourriture achetée comme aide humanitaire par le Programme alimentaire mondial (PAM). « Pour l’instant, le PAM doit obtenir l’accord de chaque pays, » a souligné M. Fan. La mesure doit être présentée pour approbation à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).
Les ministres du G20 ont également soutenu un programme pilote pour un système ciblé de réserves alimentaires humanitaires. L’étude de faisabilité, qui devra prendre en compte des questions comme l’éligibilité des pays, la taille, la composition et le financement des réserves proposées, sera menée par le PAM et ses partenaires en septembre 2011.
Photo: Peter Duffy/IRIN |
Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation |
« Et pourtant, cette question va nécessairement resurgir, quand on se posera la question de savoir comment les réserves alimentaires d’urgence sont censées fonctionner. A quels agriculteurs achèterons-nous ? Allons-nous nous tourner vers les petits producteurs locaux, ou bien ces réserves seront-elles pour les agriculteurs américains et européens un moyen de se débarrasser de leur production excédentaire ? Allons-nous payer un prix juste, qui soutienne les revenus des petits producteurs ? Auprès de qui allons-nous nous procurer les denrées ? ».
Quelle sécurité ?
Le G20 a énoncé en détail plusieurs manières de protéger les pays et les producteurs de nourriture contre certain risques. Pendant le sommet, le bras financier privé de la Banque mondiale, la Société financière internationale (IFC), a annoncé qu’il allait piloter un nouveau produit, le Mécanisme de gestion des risques associés aux prix des produits agricoles (APRM), pour permettre aux petits et moyens producteurs agricoles comme les coopératives de se couvrir contre les baisses de prix et aux acheteurs agricoles, tels que les transformateurs, de se couvrir contre les hausses de prix.
L’objectif est de contribuer à réduire les effets de la volatilité des prix alimentaires. Ce faisant, l’outil permettra aux producteurs agricoles d’améliorer leur accès à la finance, de façon à pouvoir augmenter leur production. Les pays du G20 ont aussi demandé aux institutions bancaires de développer des stratégies de couverture qui pourraient aider les organisations humanitaires à maximiser leur pouvoir d’achat.
Oui, a dit M. de Schutter, les actions des ministres représentent un pas dans la bonne direction. Mais ce qui est nécessaire, « c’est un saut ambitieux en avant ».
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