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Une population trop pauvre pour s'acheter une miche de pain

La hausse continue du prix du pain est le dernier d’une série de coups portés aux ménages swazis, déjà aux prises, en parallèle, avec la montée du prix de la semoule de maïs, entraînée par la sécheresse la plus dévastatrice observée dans le pays depuis une génération.

Le 10 décembre, le prix d’une miche de pain augmentera de 10 centimes de dollars, et d’ici à la fin de l’année, un pain pourrait coûter un dollar dans un pays où plus de 60 pour cent de la population vit avec moins d’un dollar par jour, selon le Programme des Nations Unies pour le développement.

« Auparavant, on disait que le pain était le maïs des blancs, ou des riches, et que le maïs était le pain du Swazi, du pauvre, mais aujourd’hui, les deux sont presque hors de prix, c’est pourquoi de plus en plus de gens deviennent dépendants de l’aide alimentaire », a expliqué Samuel Simelane, responsable des distributions alimentaires au village de Mliba, 100 kilomètres à l’est de Mbabane, la capitale.

M. Simelane supervise la distribution de semoule de maïs, d’huile de cuisson et de fèves ; cette année, les bénéficiaires de cette aide alimentaire sont deux fois plus nombreux que l’année dernière : au total, plus de 400 000 personnes sur une population de 970 000 habitants ont aujourd’hui besoin de recevoir une forme d’aide alimentaire pour survivre.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) achemine dans le pays le maïs qu’il se procure en Afrique du Sud ou qui lui est fourni gracieusement par les Etats-Unis. L’organisation d’aide au développement World Vision est son premier distributeur partenaire sur le terrain, tandis que le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) coordonne les programmes nutritionnels ciblés sur les élèves des écoles primaires, les orphelins et les enfants vulnérables des centres de soins communautaires.

Dans certaines régions, la terrible sécheresse qui s’est abattue sur le pays a réduit de près de 80 pour cent le volume des récoltes de maïs et, pour la première fois, les quatre régions du Swaziland ont vu leurs récoltes diminuer du fait de la sécheresse.

Toutefois, la hausse vertigineuse du prix du pain n’est pas liée au climat swazi, le pays ne produisant pas de blé. Le problème repose au contraire sur les intentions du gouvernement, qui souhaite augmenter ses recettes fiscales. Via son organisme de tarification, la Régie nationale des marchés et produits agricoles (NAMBoard), le gouvernement a imposé une taxe de 8,5 pour cent sur le blé importé dans le pays.

« Au Swaziland, pays qui subit la crise alimentaire par habitant la plus grave de toute l’Afrique australe, la farine est plus chère que partout ailleurs dans la région. À cause des taxes imposées par le gouvernement », a estimé le gérant d’une boulangerie industrielle qui a préféré conserver l’anonymat.

Les boulangers, en confrontation avec le gouvernement, réclament une nouvelle hausse du prix du pain, déjà augmenté à deux reprises depuis le mois d’août. D’après l’association de la boulangerie, le prix du blé augmente de 15 à 25 pour cent par mois depuis juillet.

Les frais de transport– 200 rands en moyenne (environ 30 dollars) par tonne de blé importée d’Afrique du Sud – s’ajoutent également au prix croissant du pain. Les boulangers disent ne plus pouvoir absorber le coût élevé de la farine sans répercuter ces augmentations sur les consommateurs. S’ils se voyaient forcés de mettre la clé sous la porte, ont-ils averti, 2 000 personnes risqueraient de perdre leur emploi, dans un pays où le chômage s’élève à plus de 40 pour cent sur le marché de l’emploi officiel.

Le NAMBoard a été créé dans le but de trouver des marchés pour la production agricole swazie, mais pour ses détracteurs, l’organisme n’a guère d’autres fonctions qu’approvisionner quelques marchés de fruits et légumes locaux et imposer des tarifs douaniers protectionnistes sur les produits agricoles importés.

Certaines des taxes prélevées à l’importation servent à financer les opérations du NAMBoard, et les groupes de consommateurs ont appelé le gouvernement à faire usage des amples surplus accumulés pour subventionner les produits de base, tels que le pain et le maïs, et à aider les agriculteurs en réduisant le prix des ressources agricoles, telles que les semences et l’engrais.

« Toute la question est liée aux recettes fiscales de l’Etat. Pourquoi impose-t-on des taxes sur les vivres en période de crise alimentaire ? Ce n’est pas logique – c’est tout bonnement de la cupidité »
« Les acteurs du secteur agro-industriel ne comprennent pas pourquoi le gouvernement impose cette taxe aux importateurs de blé, parce qu’aucun agriculteur ne produit de blé au Swaziland ; qui veut-on protéger contre la concurrence déloyale ? », a demandé Sipho Shongwe, porte-parole des Services techniques aux éleveurs du Swaziland.

« Toute la question est liée aux recettes fiscales de l’Etat. Pourquoi impose-t-on des taxes sur les vivres en période de crise alimentaire ? Ce n’est pas logique – c’est tout bonnement de la cupidité », s’est indigné Jeremiah Ngubane, commerçant et propriétaire d’un restaurant à Manzini, une ville commerciale du centre du pays.

La taille des miches de pain

Certaines boulangeries s’en sortent par la ruse : les médias font fréquemment état de cas où les pains vendus n’ont pas la taille requise. Le journal Times of Swaziland a envoyé une équipe munie d’une balance dans plusieurs commerces ; l’équipe a découvert que ceux-ci vendaient des pains d’à peine 640 grammes, la norme officielle indiquée dans le journal officiel étant de 800 grammes.

Ce scoop a incité Lutfo Dlamini, ministre de l’Entreprise et de l’Emploi, dont le ministère négocie le prix des denrées, à faire le tour des commerces muni de sa propre balance, s’assurant la présence des photographes.

La presse a critiqué le coup médiatique de M. Dlamini, qu’elle a qualifié d’esbroufe en prévision des élections législatives de l’année prochaine, à une période où le prix du pain a de lourdes conséquences au sein de la classe ouvrière swazie.

« Je ne parviens vraiment pas à m’expliquer ce qu’il fiche à peser le pain, alors qu’il devrait être en train de s’assurer que son ministère a assez de personnel pour le faire régulièrement », s’est exclamé Wilton Mamba, observateur politique.

Le gouvernement a imputé la crise du pain qui sévit dans le pays à la hausse continue du prix du blé dans le monde ; il a même invoqué le détournement des cultures céréalières, utilisées pour fabriquer des biocarburants dans les pays développés, pour expliquer le prix élevé du pain, de plus en plus hors de prix pour la population swazie. Quant aux appels lancés en faveur d’une réduction ou d’une suppression des tarifs douaniers imposés sur le blé ainsi que sur d’autres produits importés, les autorités n’y ont pas répondu.

« Nous allons avoir une crise avec les donateurs alimentaires, à qui l’on doit aujourd’hui la survie d’une bonne partie de la population », a prédit M. Simelane, distributeur d’aide alimentaire. « Ils vont demander pourquoi le gouvernement ne prend pas davantage de mesures en vue de rendre les produits alimentaires plus abordables ».

« Si le gouvernement a besoin de recettes fiscales, pourquoi ne met-il pas fin à la corruption ? », s’est interrogé M. Ngubane, propriétaire d’un commerce.

Majozi Sithole, ministre des Finances, a déclaré devant l’Assemblée la semaine dernière que le gouvernement ne percevait que 20 pour cent des droits de douane qui lui revenaient, les marchandises n’étant pas toutes déclarées, entre autres formes de fraudes commises aux postes frontaliers. Depuis 2004, le ministre déclare chaque année que les pertes financières subies par le gouvernement du fait des différentes formes de corruption pratiquées dans le pays correspondent au montant de la dette nationale annuelle.

« Pourtant, personne n’a jamais été en prison pour corruption au Swaziland », a amèrement déploré M. Ngubane. « Et à côté, le [Swazi] moyen n’a pas les moyens d’acheter une miche de pain ».

jh/oa/he/nh/ads/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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