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Malgré l’instabilité politique, le secteur du cacao reste toujours aussi actif

[Guinea] Unloading Ivorian cocoa bean truck in Nzerekore, Region Forestiere 2004. Pierre Holtz
Unloading Ivorian cocoa bean truck
Les derniers événements survenus en Côte d’Ivoire ont contraint des milliers d’expatriés à quitter le pays, laissant derrière eux des centaines de petites entreprises au bord de la faillite. Mais, loin de l’agitation politique, le secteur du cacao – l’épine dorsale de l’économie du pays – a repris ses activités.

Après quelques jours d’interruption, les chargements de fèves de cacao, qui fournissent 40 pour cent du cacao mondial, ont repris le chemin des ports de la côte atlantique du pays.

"Je reste convaincu que nous continuerons à exporter d’importantes quantités de cacao, quelle que soit la situation politique," a indiqué à IRIN cette semaine un gros exportateur de cacao.

Début novembre, le gouvernement rompait le cessez-le-feu observé depuis 18 mois en bombardant les fiefs des rebelles dans le nord de la Côte d’Ivoire. Cette attaque a fait neuf morts parmi les forces françaises de maintien de la paix et entraîné une riposte immédiate du détachement français de l’ONU qui ont détruit la quasi-totalité des moyens aériens de la Côte d’Ivoire.

Révoltés, des milliers d’Ivoiriens ont déferlé dans les rues d’Abidjan pillant, incendiant et violant au passage des ressortissants étrangers.

Mais malgré la hausse frénétique du cours mondial du cacao, les négociants en Côte d’Ivoire sont restés sereins.

«C’est un peu comme au Liberia, pendant la guerre civile. Les exportations de bois tropical et de caoutchouc ont continué pendant la guerre, presque sans interruption," a indiqué un exportateur de la ville portuaire de San Pedro, au sud de la Côte d’Ivoire. "Il y a bien trop d’argent en jeu."

Selon des statistiques du gouvernement, les exportations de cacao rapportent chaque année près de deux milliards de dollars américains et parfois plus.

Pendant des décennies, le cacao a assuré à la Côte d’Ivoire d’importantes entrées de devises et de recettes budgétaires qui ont permis à ce pays d’atteindre un niveau de prospérité inégalé en Afrique de l’ouest.

Les exportations de cacao ont été suspendues provisoirement la semaine qui suivi le début des hostilités.

Dans les principaux ports d’Abidjan et de San Pedro, les exportateurs avaient cessé leurs activités. Aucun camion ne pouvait se rendre dans les principales zones de production cacao de la région ouest à cause des barrages et certaines usines de broyage de fèves étaient fermées depuis plusieurs jours.

En une semaine, les cours mondiaux du cacao ont augmenté de 20 pour cent, traduisant ainsi la crainte d’une interruption des approvisionnements en cacao.

Mais les marchés se sont calmés et mardi, la tonne de cacao se vendait à 870 livres (1 640 dollars américains) sur le marché à terme LIFFE de Londres.

Le cacao pour financer l’effort de guerre

L’impact des récents événements sur l’industrie du cacao a été très limité. Pour certains analystes, le cacao ivoirien, comme les diamants de Sierra Leone ou le bois tropical du Liberia, sont des produits d’exportation qui ont servi à financer l’effort de guerre, malgré les sanctions économiques de l’ONU.

Personne n’a sérieusement pensé à imposer un embargo sur les exportations du cacao ivoirien et une telle suggestion aurait probablement été irrecevable, étant donné la place prépondérante qu’occupe le pays sur le marché mondial du cacao.

Lors de la tentative de renversement du président Gbabgo par les forces rebelles, en septembre 2002, certains organes de presse nationaux ont signalé que des conseillers de Gbagbo se sont accaparés les fonds de stabilisation des prix du cacao pour financer des achats d’armes. La presse abidjanaise a également fait état d’un don de 10 milliards de francs CFA (20 millions de dollars américains) offert à Gbagbo par des planteurs de cacao afin qu’il renforce son arsenal de guerre.

La Côte d’Ivoire est désormais coupée en deux, mais la plupart des grandes plantations de cacao se trouvent dans la moitié sud du pays contrôlée par le gouvernement.

Selon des statistiques officielles, les plantations de cacao situées sur le territoire contrôlé par les forces rebelles ne représentent que 12 pour cent de la production annuelle de cacao de la Côte d'Ivoire.

Il y a deux ans, le déclenchement de la guerre civile a provoqué une réelle bataille pour le contrôle des plantations de cacao du pays et, dans de nombreuses zones rurales, on assiste encore à des combats sporadiques.

Dans les zones de production de cacao implantées au sud et à l’ouest de la Côte d’Ivoire, les ethnies locales ont expulsé de leur région de nombreux ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire et des pays voisins, Burkina Faso et Mali, notamment.

Au cours des 50 dernières années, les autorités ivoiriennes avaient encouragé des ressortissants du nord et des immigrants à s’installer dans le sud pour y défricher d’immenses étendues de terre et y créer de nouvelles plantations de cacao.

Ces immigrants sont accusés aujourd’hui de soutenir les rebelles et des dizaines de milliers d’entre eux ont dû quitter leurs plantations pour fuir les persécutions. Certains ont préféré se réfugier dans les forêts avoisinantes pour pouvoir riposter en cas d’attaque.

Les Bété, le groupe ethnique auquel appartient Gbagbo, ont été les premiers à expulser les immigrants des riches plantations de cacao situées aux alentours de la ville de Gagnoa, à 290 km, à l’ouest d’Abidjan, la capitale commerciale.

Des nouveaux combats ont été signalés dans cette ville, après la brève offensive des forces armées gouvernementale contre les fiefs des rebelles.

Un conseiller municipal de Gagnoa a indiqué à IRIN que de jeunes Bété, armés de machettes, de couteaux et de bâtons s’en sont pris à des ressortissants du Nord, tuant six personnes et blessant 29 autres.

Les cabosses jaunes qui poussent sur les branches des cacaoyers sont bien plus qu’une simple source de revenu. Elles donnent aussi le pouvoir à ceux qui contrôlent les revenus qu’elles génèrent.

Pendant plusieurs mois, les coopératives des planteurs se sont farouchement opposés aux différents organismes chargés de la promotion de la production et de la stabilisation des prix et au parti au pouvoir, le Front populaire ivoirien (FPI), pour prendre le contrôle de ce secteur très lucratif.

Les planteurs se plaignent qu’on leur propose un prix trop bas pour leur production de cacao, arguant qu’au Ghana voisin, les planteurs de cacao gagnent deux fois plus pour la même production.

Les planteurs exigent une meilleure répartition des revenus

Trois semaines avant le début du bombardement du fief des rebelles, des planteurs en colère ont déclenché une grève pour protester contre le peu d’argent qu’ils perçoivent par rapport aux gros revenus du cacao. Ils ont donc refusé de vendre leur production aux négociants, au moment où de nombreux acheteurs s’apprêtaient à acheter la nouvelle récolte de l’année.

Les planteurs exigeaient des organismes gouvernementaux une compensation de 40 milliards de francs CFA (80 millions de dollars) à partager entre les quelque 1 000 coopératives du pays.

Malgré un cours mondial du cacao très attractif, le prix du kilo de cacao proposé actuellement aux planteurs varie entre 300 et 325 francs CFA (60 à 65 cents). C’est bien moins que le prix moyen de 340 CFA proposé pour la campagne commerciale septembre-octobre 2003-2004, pendant laquelle les planteurs s’étaient déjà plaints.

EN 2002/2003, le déclenchement de la guerre civile en Côte d’Ivoire a provoqué une flambée du cours du cacao, atteignant des records qui remontent à seize ans. Les planteurs de cacao ivoiriens étaient payés alors en moyenne 704 CFA le kilo pour leur récolte de cacao – un peu plus du double de ce qu’ils perçoivent maintenant.

Selon certains négociants de cacao, les planteurs ghanéens s’en sortent mieux aujourd’hui parce que la production est généralement de meilleure qualité que celle de la Côte d’Ivoire. De plus, les taxes imposées aux producteurs ghanéens sont moins élevées et les négociants au Ghana ne payent pas de charges additionnelles pour passer les barrages. A cela, il faut ajouter que les organismes de commercialisation du cacao au Ghana sont plus efficaces et retiennent une faible marge sur le prix final à l’exportation.

Les autorités gouvernementales ont interdit aux responsables du syndicat des producteurs de cacao de lancer un appel à la grève sur la télévision nationale. Bien que le message ne soit pas parvenu à tous les 500 000 petits planteurs que compterait la Côte d’Ivoire, la grève a été un succès. Pendant cinq jours, aucune cargaison de cacao n’a été livrée dans les ports de la Côte d’Ivoire.

Certains planteurs ont même préféré incendier leur cargaison de cacao pour éviter qu’elles n’arrivent aux principaux ports d’Abidjan et de San Pedro.

Après le rejet par les responsables syndicaux de la proposition des autorités de subventionner des centaines de coopératives, Gbagbo a fini par s’impliquer.

Le président a annoncé la création d’une commission spéciale qui étudierait les réformes indispensables à apporter au secteur du cacao et a demandé que lui soit soumis un rapport dans les six mois.

Mais compte tenu des récents événements survenus dans le pays, le travail de cette commission risque d’être relégué au second plan.

Pouvoir et argent

Selon certains responsables syndicaux, la création de cette commission était une simple manœuvre dilatoire qui permettait au président d’offrir des postes juteux à ses fidèles partisans.

"Treize des 16 fonctionnaires de la commission sont de la même ethnie que le Président," a confié à IRIN un porte-parole des planteurs qui a souhaité garder l’anonymat.

"Le secteur du cacao est de plus en plus contrôlé par des personnes qui prétendent se battre pour améliorer les conditions de vie des planteurs. En réalité, ces personnes ne sont intéressées que par le pouvoir et l’argent que leur organisation de type mafieuse et elles-mêmes tirent du cacao," a fait remarquer un ancien analyste du secteur du cacao, qui a préféré garder l’anonymat.

Selon la revue Economist Intelligence Unit, les exportations de cacao ont rapporté 2,4 milliards de dollars à la Côte d’Ivoire, l’année dernière. Cette année, on prévoit des recettes de 1,8 milliards de dollars.

Même si le volume des récoltes est à peu près égal à celui de l’année précédente, -- environ 1,3 millions de tonnes – les cours du cacao ont baissé en 2004.

D’après les statistiques de l’organisation mondiale du cacao, les cours mondiaux du cacao ont chuté de neuf pour cent entre janvier et octobre.

Malgré les promesses de réformes dans le secteur du cacao, nombreux sont ceux qui doutent de la portée réelle de ces réformes étant donné la superficialité des réformes entreprises dans les années 1990.

Au milieu des années 1980, toutes les exportations de cacao étaient gérées par la Caisse de stabilisation, un organisme national de stabilisation des prix du cacao qui garantissait aux planteurs un prix minimum par kilo. Mais la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont prôné la libéralisation du secteur. Et depuis que ces mesures ont été appliquées, à un moment où les cours mondiaux ont chuté, l’économie de la Côte d’Ivoire s’est complètement effondrée.

La caisse de stabilisation a disparu pour laisser la place à la Bourse du café et du cacao et à d’autres organismes de gestion qui étaient censés mieux représenter les planteurs.

Selon certains analystes consultés par IRIN, les réformes n’ont pratiquement rien changé. Les personnes qui exerçaient un pouvoir dans l’ancienne structure sont les mêmes qui ont repris du service dans les nouvelles institutions.

Et le nouveau système s’est avéré encore moins efficace. En 2003, le cabinet de consultant Arthur Andersen a indiqué que les nouveaux organismes de régulation coûtaient trois fois plus chers que la caisse de stabilisation.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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