« La sécurité alimentaire passe par la sécurité semencière », entend-on souvent dans le milieu de l’agronomie des pays en développement. Au Zimbabwe, cet adage se concrétise peu à peu grâce à la promotion de l’utilisation de petites céréales indigènes menacées d’extinction par la prédominance du maïs dans les champs comme dans les assiettes.
Cette suprématie du maïs ne laisse que le second rôle aux petites céréales indigènes comme le millet, le niébé et le sorgho, malgré la grande capacité de résistance de ces plantes aux perturbations météorologiques comme la sécheresse, que le changement climatique a rendues de plus en plus fréquentes et intenses au Zimbabwe. Ces petites céréales ont en outre tendance à coûter moins cher en intrants que le maïs hybride vendu dans le commerce.
John Misi, administrateur du district de Mudzi (province du Mashonaland oriental), a expliqué qu’il était pourtant difficile de convaincre les agriculteurs de cultiver de petites céréales, car « le maïs est l’aliment de base [des Zimbabwéens] et, ici, les gens sont donc habitués à en planter. » Ainsi, la majorité des parcelles cultivées par Jameson Sithole, petit paysan sur des terres marginales de Chipinge (province du Manicaland), sont réservées au maïs. Il ne cultive des petites céréales indigènes que sur deux de ses 17 hectares. « Le maïs a une telle valeur commerciale que je peux le vendre sans difficulté, ce qui me permet d’envoyer mes 10 enfants à l’école et d’acheter des équipements pour ma ferme. Avec les petites céréales, c’est différent. Mais je dois pouvoir compléter mon stock de maïs quand celui-ci est épuisé et nourrir ma famille pendant les sécheresses. »
Ces semences indigènes sont relativement difficiles à trouver, ce qui freine leur utilisation à plus grande échelle. Les agriculteurs achètent leur maïs dans le commerce, tandis que 95 pour cent de toutes les autres semences proviennent de leurs propres cultures ou de celles de leurs collègues.
Esprit de solidarité
Les banques de semences sont une solution à ce problème. Sous forme associative, leur fonctionnement est généralement similaire à celui des banques classiques : les paysans empruntent des semences, qui sont souvent données par la collectivité locale, puis remboursent leur emprunt et les intérêts en nature après la récolte. Ces banques sont dans la plupart des cas de petites pièces sombres protégées de la chaleur et remplies d’étagères pleines de pots et de bouteilles contenant une grande diversité des semences indigènes, dont, dans le cas du Zimbabwe, du millet, du niébé et des variétés locales de maïs.
Selon un article publié en avril 2017 par Development in Practice sur l’évolution et le rôle des banques de semences dans différents pays du monde, ces structures « favorisent la résilience des paysans, notamment en ce qui concerne les communautés et les foyers les plus touchés par le changement climatique. » En effet, ces banques « veillent à améliorer la disponibilité et l’accessibilité de multiples plantes et variétés adaptées au contexte local et développent les connaissances et les compétences locales en matière de gestion des plantes », notamment en ce qui concerne la sélection des semences et leur distribution.
Jameson Patricia Muchenje, petite exploitante du district de Rushinga (province du Mashonaland central), est un bon exemple. « Ici, nous essayons d’éviter la disparition des petites céréales grâce à notre banque de semences collective. Nous travaillons en collaboration, nous nous renseignons mutuellement sur les semences les plus adaptées et nous utilisons les techniques agricoles les meilleures. » Avec d’autres paysans du voisinage, Mme Patricia Muchenje espère pouvoir bientôt vendre des semences de la banque « pour en tirer un revenu, que nous pourrons utiliser pour améliorer l’infrastructure de notre banque ou pour lancer des projets rémunérateurs tels que la culture maraîchère ou l’élevage de volailles. »
Dans la province du Mashonaland oriental, Marjorie Jeke est rassurée : « En cas d’inondation, et si nos cultures ne marchent pas […], je peux retourner à la banque de semences et récupérer mes graines gratuitement pour replanter. Je n’ai pas besoin de prendre la peine d’emprunter à mes voisins ni de déranger mes enfants avec des histoires d’argent, car la banque de semence facilite notre vie de paysans. »
Filet de sécurité
Selon une récente étude menée sur le terrain par Oxfam, « l’accès aux semences qui conviennent, au bon moment, et à un prix abordable est essentiel pour produire suffisamment de nourriture dans un contexte de perturbations climatiques croissantes. Les systèmes de semences paysannes et les banques de semences collectives représentent un filet de sécurité capital pour les populations vulnérables qui ont peu de moyens […]. Soutenir ces initiatives est une solution d’adaptation à côté de laquelle nous sommes en train de passer. »
En septembre, le Community Technology Development Trust a ouvert une banque de semences dans le district de Mudzi. C’est la quatrième que cette ONG d’Harare a mise en place, et plusieurs autres sont en projet. Ces banques sont nécessaires, car « les paysans perdent progressivement leurs précieuses semences indigènes à cause de la forte promotion et de l’essor des hybrides, qui privilégient quelques variétés conçues pour l’agriculture intensive », a dit Andrew Mushita, directeur du CTDT, lors de l’inauguration. Si tout se passe comme le souhaite M. Mushita, des banques de semences, dont la mise en place coûte environ 20 000 dollars chacune, seront construites dans tous les districts ruraux du Zimbabwe.
L’utilité de ces banques ne fait aucun doute, mais le secteur agricole zimbabwéen a beau représenter une part importante de la croissance économique du pays, il reste sous-financé. Sans aide extérieure de longue durée, les banques de semences risquent de tomber en désuétude quand les fonds de lancement s’épuiseront, met en garde l’article de Development in Practice.
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