Il faut 186 millions de dollars au PAM pour rétablir des rations alimentaires complètes jusqu’à la fin de l’année. De son côté, le HCR a besoin de 39 millions de dollars pour apporter un soutien nutritionnel aux réfugiés vulnérables souffrant de malnutrition en Afrique. Un rapport commun du HCR et du PAM, publié la semaine dernière, indique que si rien n’est fait pour empêcher les réductions des rations alimentaires, il y aura des taux élevés de malnutrition, notamment parmi les enfants et les personnes les plus vulnérables.
Les plus durement touchés sont les réfugiés au Tchad, en République centrafricaine (RCA) et au Soudan du Sud, où ils sont au total près d’un demi-million à recevoir des rations alimentaires réduites de 50 à 60 pour cent.
Le déficit de financement n’est pas le résultat de la réduction des budgets pour le HCR ou le PAM, mais une augmentation substantielle de la nécessité d’une aide alimentaire, générée par un nombre sans précédent de crises de réfugiés en 2014. « La quantité d’urgences simultanées et de grande ampleur n’a jamais été aussi importante, du plus loin que je me souvienne », a déclaré à IRIN depuis Genève Paul Spiegel, vice-directeur de la Division de l’appui et de la gestion des programmes au HCR.
D’après les chiffres de la fin 2013, sur les 11,7 millions de réfugiés qui dépendent du HCR, soit le plus grand nombre depuis 2001, 3,3 millions vivent en Afrique.
« Beaucoup de fonds sont alloués [par les donateurs] dans certaines situations, en particulier pour la crise syrienne », a-t-il ajouté. « Certaines crises, celle de RCA notamment, souffrent d’une grave pénurie de ressources, de sorte qu’il y a là un problème d’équité qui doit être résolu. Les situations de réfugiés prolongées n’ont également pas bénéficié du même niveau de financement. »
Selon M. Spiegel, les réductions de rations ne concernent qu'un quart environ des nouveaux arrivants. Les plus touchés sont les réfugiés de longue date qui n’ont pas les moyens de se passer de l’aide alimentaire, généralement parce qu’ils sont confinés dans des camps qui se trouvent dans des zones reculées où ils n’ont presque aucune chance de générer des revenus.
Camps ou communautés ?
Comme les bailleurs de fonds accordent de plus en plus d’importance au financement de la phase d’urgence des interventions humanitaires plutôt qu’aux situations de réfugiés prolongées, le HCR a dû changer d’approche il y a deux ans. « Le grand changement a été de dire que si nous pouvions éviter les camps, il ne fallait pas hésiter », a expliqué M. Spiegel. « Il est préférable que les réfugiés vivent au sein des communautés locales pour plein de raisons différentes : cela leur permet d’être plus autonomes, réduit la dépendance à long terme, et le financement du HCR peut servir à l’amélioration des communautés existantes. »
Mais si le HCR milite pour que les réfugiés soient autorisés à s’installer dans des communautés plutôt que dans des camps, les gouvernements ont le dernier mot concernant les réfugiés qu’ils accueillent. Pour l’instant, ils sont peu nombreux à vouloir accorder aux réfugiés de simples libertés économiques comme le droit de travailler ou de vivre en dehors des camps. Pour vaincre ces réticences, il faut convaincre les pays d’accueil que, quand ils en ont la possibilité, les réfugiés peuvent représenter un bienfait plutôt qu’un fardeau pour les économies locales.
« Nous rassemblons aujourd’hui de plus en plus d’informations en Afrique et au Moyen-Orient, afin de montrer que l’amélioration des moyens d’existence des réfugiés peut avoir un effet positif sur les communautés d’accueil, quand elle se fait intelligemment », a déclaré à IRIN M. Spiegel.
Il a admis que la plupart des témoignages allant dans ce sens étaient encore anecdotiques et qu’il fallait mener davantage d’études, afin de démontrer les effets positifs possibles de l’intégration des réfugiés au sein des communautés locales.
L’installation des camps à proximité de communautés existantes pourrait être une solution ; cela réduit la nécessité pour les organisations humanitaires de mettre en place des services parallèles. De même, cela augmente la probabilité d’avoir des marchés à proximité, ce qui est utile quand les réfugiés sont autorisés à y vendre leurs produits.
Nouvelle stratégie des moyens d’existence
Le HCR tente également de redéfinir sa stratégie des moyens d’existence, afin de mieux répondre aux réalités socio-économiques et d’intégrer davantage les communautés d’accueil. « Dans le passé, l’objectif des [interventions relatives aux] moyens de subsistance était surtout d’occuper les réfugiés, sans qu’il y ait une approche suffisamment axée sur le marché », a déclaré M. Spiegel.
Alexander Betts, du programme d’étude des migrations forcées de l’Université d’Oxford a reconnu que « trop souvent dans le passé, les interventions [du HCR] relatives aux moyens de subsistance étaient déconnectées du marché dans lequel elles se trouvaient ; elles ne s’inspiraient pas des options déjà existantes et ne faisaient pas évoluer ces dernières ».
Dirigé par M. Betts, le Projet d’innovation humanitaire (HIP) vise notamment à fournir une base solide de témoignages d’expériences réussies, afin que les réfugiés aient accès à une plus grande liberté économique. Le mois dernier, M. Betts et son équipe ont publié les conclusions de leurs recherches en Ouganda, un pays qui permet aux 387 000 réfugiés qu’il accueille de vivre et de travailler en dehors des camps de réfugiés existants. D’après leur étude, 78 pour cent des réfugiés urbains interrogés à Kampala n’ont reçu aucune aide internationale, contre seulement 17 pour cent des réfugiés présents dans les camps. Au lieu de cela, ils exploitent les terres agricoles qui leur sont allouées dans les lieux d’installation qui leur sont réservés ou font du commerce avec les autres réfugiés, ainsi qu’avec leurs voisins ougandais.
« L’objectif de ces recherches est de fournir des données susceptibles de démontrer aux gouvernements prêts à offrir des libertés économiques fondamentales [aux réfugiés] qu’ils peuvent également en tirer des bénéfices », a déclaré M. Betts. Il a reconnu qu’il fallait mener plus de recherches sur la vie économique des populations déplacées si l’on voulait opérer un changement majeur dans l’attitude des pays d’accueil envers les réfugiés.
Choix difficiles
En attendant, le PAM et le HCR sont confrontés à des choix difficiles, car ils doivent décider quels groupes de réfugiés sont plus à même de résister à la réduction des rations. M. Spiegel a cité l’exemple du Tchad ; dans l’est quasiment désertique, les réfugiés, soudanais pour la plupart, ont très peu de moyens de pourvoir à leurs besoins de subsistance, ce qui n’est pas le cas des réfugiés centrafricains qui vivent dans le sud, où la disponibilité de terres arables à cultiver les rend plus résilients.
« Nous menons également des enquêtes au Tchad où nous essayons de déterminer quelles sont les personnes les plus et les moins vulnérables, y compris dans l’enceinte des camps », a déclaré M. Spiegel. « Nous pouvons même envisager, en concertation avec les communautés et les dirigeants, de distribuer des rations complètes à certains et des rations réduites à d’autres. »
Selon la porte-parole du PAM, Elisabeth Byrs, « en cas de contraintes budgétaires, le PAM procède à des évaluations de la vulnérabilité, afin d’apporter l’aide humanitaire aux plus vulnérables en priorité ».
Cependant, les réductions prolongées des rations alimentaires conduisent inévitablement les réfugiés à adopter des stratégies d’adaptation de plus en plus désespérées. « Les réfugiés tentent d’abord de faire face en sautant des repas, en empruntant de l’argent et en retirant leurs enfants de l’école », a déclaré Mme Byrs. « À plus long terme, les réductions de rations peuvent conduire à des comportements à risque tels que la délinquance, l’exploitation sexuelle, ainsi qu’à des conflits avec les communautés d’accueil. »
« Nous prions les bailleurs de fonds de trouver des moyens novateurs permettant d’apporter un financement qui fait cruellement besoin. »
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