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Une population civile qui compte bien trop d’ennemis

« Pouvez-vous m’aider à retrouver mon mari ? », a demandé une vieille habitante de cette ville poussiéreuse et traumatisée du nord-ouest de la République centrafricaine (RCA).

La vieille dame a expliqué qu’elle n’avait plus revu son mari depuis trois mois, après qu’il eut été kidnappé avec son frère par des bandits, les Zaraguinas, à la périphérie de Paoua.

Pour payer la rançon exigée pour libérer son mari, la vieille femme a réuni trois millions de francs CFA (6 600 dollars américains) – une somme énorme dans un pays où les deux tiers de la population vivent avec moins d’un dollar par jour – en vendant le bétail familial.

Mais les personnes à qui elle a remis la rançon l’ont trahie ou n’avaient aucun lien avec les ravisseurs ; désormais sans le sou, elle attend toujours de retrouver son mari.

Les Zaraguinas constituent une - mais actuellement la plus sérieuse - des menaces mortelles auxquelles les populations civiles de la RCA sont confrontées. Ils ont enlevé des dizaines de civils, notamment des enfants, pour exiger des rançons, selon un rapport d’Amnesty International, intitulé « République centrafricaine – les civils en danger dans le grand nord ».

« Le gouvernement ne fait pratiquement rien pour prévenir directement les enlèvements, arrêter leurs auteurs, ou le cas échéant, protéger la population », selon le rapport.

La RCA s’étend sur une superficie à peu près semblable à celle de la France, mais son armée compte moins de 5 000 soldats en service actif.

Le fait que Paoua soit une localité contrôlée par les forces gouvernementales et située au beau milieu d’un territoire aux mains de la rébellion est une situation peu confortable pour ses habitants, dont la plupart ont dû fuir à plusieurs reprises pour échapper aux combats entre les deux protagonistes. Et comme pour effacer le souvenir de ces épisodes traumatisants, dont les plus graves ont eu lieu au début de l’année 2006 et en 2007, les habitants ne les évoquent qu’en employant le terme « les événements ».

« Jusque tout récemment, les forces gouvernementales incendiaient des villages entiers et procédaient à de nombreuses exécutions sommaires », a indiqué Philip Alston, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, dans un rapport préliminaire sur la RCA, publié au début du mois de février 2007.

M. Alston s’est donné la peine de souligner que le « président François Bozizé [qui est arrivé au pouvoir à la faveur du coup d’Etat de mars 2003, puis a légitimé son pouvoir en remportant les élections présidentielles organisées deux années plus tard] a pris d’importantes mesures pour mettre fin aux exactions de son armée », et que ces exactions avaient d’ailleurs considérablement diminué. En revanche, a-t-il souligné, « il est encore trop tôt pour conclure que le gouvernement a définitivement tourné la page ».

Plus de sécurité dans la brousse

De nombreux villages quasi abandonnés sont disséminés le long de la route qui mène, de Paoua, vers le nord du pays en direction du Tchad. Comme René (un nom d’emprunt), un paysan, bon nombre de villageois se sont installés dans des maisons provisoires, non loin de là, dans la brousse, à une bonne distance de sécurité de la route principale.

« Tout a commencé avec les évènements du 15 mars 2003 », a expliqué à IRIN René, qui vit dans une concession de fortune regroupant plusieurs cases en paille, à environ un kilomètre de son village abandonné, situé en bordure de route, où sa maison a été incendiée. C’était le jour de la prise de pouvoir de M. Bozizé, après le renversement du président Ange-Félix Patassé, un natif de Paoua.

« Les soldats passaient en voiture et tiraient sur le village. En voyant leurs véhicules, nous avons dû prendre la fuite. Certains des villageois qui sont restés ont été tués », a indiqué René.

Dans les années 2006 et 2007, la recrudescence des opérations de la rébellion dans la région de Paoua a amené les troupes gouvernementales à prendre pour cible les civils, notamment les enfants, qu’elles accusaient de soutenir les rebelles de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD).

Lorsqu’on lui demande s’il est solidaire des rebelles ou s’il sait pourquoi ils ont pris les armes, René secoue la tête comme pour dire non. « Nous n’avons rien à faire avec la politique. Notre terre est notre seule politique ».


Photo: Anthony Morland/IRIN
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Le Tchad, qui regorge de bandits et de militaires, censés poursuivre les rebelles tchadiens, est une autre source de danger. « Il y a trois ans, des véhicules portant des plaques minéralogiques tchadiennes sont entrés dans le village et 27 bœufs ont disparu. Un bœuf est un peu comme un tracteur dans un champ ; sans ces bêtes, nous ne pourrions pas cultiver d’aussi grandes étendues de terre », a indiqué René.

Même ceux qui sont parvenus à cultiver leurs champs trouvent souvent qu’il est trop dangereux de se rendre au marché avec leur récolte. Et faire des réserves de nourriture augmente aussi les risques de violents pillages.

La présence de braconniers armés constitue aussi une menace supplémentaire pour les civils des régions du nord-est et du sud-est du pays.

Une paix fragile

Grâce au cessez-le-feu de facto observé par l’armée et les rebelles, une paix précaire règne à Paoua. Cependant, on n’y perçoit pas de sentiment de sécurité réel et durable.

« Nous avons de graves problèmes de sécurité », a expliqué à IRIN un habitant de Paoua. « Nous avons besoin de la présence d’une force de protection. En ville, la situation est correcte, mais il est dangereux de sortir de la ville », a-t-il ajouté.

Après les « évènements » de 2006 et 2007, Paoua est devenue une sorte de ville fantôme, et une bonne partie de sa population s’est enfuie dans la brousse ou en direction du nord, vers les camps de réfugiés du Tchad. Bon nombre de ces déplacés ne sont pas encore revenus chez eux.

« Tout s’est passé très rapidement. Il y a deux ans, les rebelles sont entrés en ville très tôt, un matin », se souvient Alexi, 27 ans, récemment rapatrié du Tchad. « L’armée a cru que les jeunes de la ville aidaient les rebelles, j’ai donc dû m’enfuir dans la brousse avec mes deux enfants et ma femme. Depuis, je ne l’ai plus revue », a-t-il indiqué. « Aujourd’hui, nous prions simplement pour la paix ».

La paix est une condition préalable pour inverser les mauvais indicateurs humanitaires en RCA. Aujourd’hui, après plusieurs décennies de dictature brutale, de mutineries, de coups d’Etat et de tentatives de coup d’Etat, aggravées par l’absence d’aide au développement, la République centrafricaine est en effet « pire qu’un Etat en faillite ; elle est quasiment devenue un Etat fantôme, ayant perdu toute capacité institutionnelle significative », avait estimé International Crisis Group, en décembre 2007.

Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), près qu’un quart des 4,3 millions d’habitants que compte le pays sont victimes de la violence ; les combats ont fait quelque 295 000 déplacés, dont près d’un tiers se sont réfugiés au Tchad, au Cameroun ou au Soudan. Chez les hommes, l’espérance de vie est de 40 ans, de 45 ans chez les femmes ; plus d’un enfant sur 10 meurt avant d’avoir atteint l’âge d’un an et un peu moins d’un tiers de la population a accès à l’eau potable. La RCA figure à la 172ème place sur la liste des 177 pays de d’indice de développement humain des Nations Unies.

am/mw/ads/nh


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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