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Acheter l’aide alimentaire localement comporte aussi des risques

Si la ville portuaire de Douala reste une plate-forme majeure pour l’acheminement de l’aide alimentaire internationale vers le Tchad et la République centrafricaine, au Cameroun, le Programme alimentaire mondial (PAM) a de plus en plus recours à l’approvisionnement local.

Cette année, sur les 70 000 tonnes d’aide alimentaire envoyées par les bureaux camerounais du PAM dans les pays voisins en situation d’urgence, environ 26 000 tonnes ont été produites au Cameroun.

Le PAM a en effet révélé à IRIN que la part de vivres achetés par l’agence en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, en vue d’une distribution dans la région, est passée de 13 pour cent en 2005 à plus de 30 pour cent en 2007, le Cameroun étant le plus gros fournisseur, suivi du Burkina Faso.

Cela va de pair avec une réduction considérable du temps et des frais de transport, et a également permis de créer des revenus pour les fournisseurs et producteurs locaux, revenus qui se sont ensuite diffusés au reste des communautés.

« C’est tout à fait logique, étant donné que certains pays comme le Cameroun produisent souvent des surplus », a expliqué Boubacar Diop, logisticien au PAM.
Cette pratique comporte néanmoins certains risques, selon M. Diop. « Nous encourageons les paysans à produire toujours davantage », a-t-il observé. Si les crises d’urgence qui touchent la région se résolvaient, le PAM cesserait d’acheter et les paysans pourraient se retrouver avec une grande quantité de vivres en surplus.

Pis, si le PAM achetait une trop grande quantité de produits alimentaires produits à l’échelle locale, les prix pourraient augmenter pour les consommateurs locaux et cela risquerait de provoquer une situation d’insécurité alimentaire pour les populations pauvres. « La pire chose qui pourrait se produire, c’est qu’en s’efforçant de lutter contre la famine dans un pays, on en crée une dans un autre », a déclaré M. Diop.


Photo: David Hecht/IRIN
Vendeuses de céréales locales au marché central de Douala
Ces risques sont une source de préoccupation quotidienne pour Jean-Pierre Cebron, directeur régional du PAM au Cameroun. « Nous nous procurons de la nourriture [dans le nord du Cameroun] dans un environnement particulièrement fragile où les précipitations sont imprévisibles », a-t-il expliqué. « Si la sécheresse s’abattait sur cette région, nous aurions un sacré problème », a-t-il poursuivi.

« Globalement, c’est une bonne chose que le PAM stimule la production locale et encourage les paysans à se conformer aux normes internationales de qualité alimentaire », a-t-il ajouté. « Il faut simplement que nous procédions avec prudence ».

Les pour

Bon nombre des entrepreneurs locaux du nord qui approvisionnent le PAM en sorgho sont les chefs et les aînés des villages où l’agence se fournit en vivres, et entretiennent des relations étroites et complexes avec les paysans auprès desquels ils achètent leurs produits.

« Tous les membres de nos communautés bénéficient [de ce système] », s’est félicité Ousmanou Ballo, qui, en avril dernier, a fourni au PAM 1 500 tonnes de sorgho et 744 tonnes de fèves. « Les paysans ont davantage de travail, tout comme les transporteurs. Même nos animaux ont plus de nourriture, obtenue à partir de la portion d’aide alimentaire jetée après la transformation ».

Selon les prévisions d’Aboubakari Fadel, autre fournisseur du PAM, grâce aux denrées achetées par le PAM en 2007, la production alimentaire locale augmentera dans leur région, à la saison prochaine. « Ils créent une demande supplémentaire », a-t-il expliqué.

Pour sa part, M. Fadel ne se préoccupe pas outre mesure de la fin soudaine des crises humanitaires dans les pays voisins, qui amènerait le PAM à cesser d’acheter. « Nous avons une culture de stockage ; nous ne jetons jamais rien », a-t-il assuré. « Nous avons les capacités nécessaires pour stocker des vivres pendant deux ans de suite, alors si nous avons une céréale en surplus, l’année suivante les paysans produisent une autre céréale, ou bien du coton », a expliqué M. Fadel.

Et si, au contraire, la demande du PAM augmentait brutalement, il pourrait rapidement augmenter l’offre, a-t-il ajouté. « L’aide alimentaire représentera toujours une faible part de notre commerce. Nous vendons principalement aux commerçants de la région », a poursuivi M. Fadel.


Photo: David Hecht/IRIN
Agents du PAM contrôlant une livraison d'aide alimentaire du gouvernement américain dans le port de Douala
Et en effet, les stocks de sorgho et de maïs du marché central de Douala sont gigantesques à côté des entrepôts du PAM. La plupart du temps, selon les marchands de céréales du marché, leurs clients envoient les céréales achetées vers les ports qui longent la côte centrafricaine, jusqu’en Angola.

D’après M. Fadel, à l’heure actuelle, les plus gros acheteurs des marchés céréaliers du nord viennent du Nigeria, à la frontière ouest du Cameroun. Mais si les crises qui secouent les pays situés à l’est du Cameroun touchaient soudainement à leur fin, ce qui provoquerait une réduction de la demande en aide alimentaire, le commerce reprendrait son cours normal.

« Auparavant, nous exportions habituellement beaucoup de céréales vers le Tchad et le Soudan, et nous ne voyons pas pourquoi nous ne recommencerions pas à y exporter nos marchandises une fois que les choses seront revenues à la normale », a-t-il déclaré.

Les contre

Pour leur part, les responsables du PAM se sont montrés plus prudents. « Il nous est difficile d’évaluer la quantité de céréales véritablement disponibles et nous savons que nous devons aider les fournisseurs et les transporteurs à renforcer leurs capacités à livrer la marchandise dans les temps », a expliqué à IRIN Brigitte Labbé, responsable de l’approvisionnement régional du PAM. « Jusqu’à présent, ils ont eu des difficultés à respecter les délais que nous leur avions fixés ».

Les fournisseurs avec lesquels IRIN s’est entretenu ont expliqué qu’ils ne sauraient tenir leurs engagements que si le PAM leur accordait de plus longs délais de mise en œuvre. « En avril, le PAM nous a donné à tous 30 jours à peine pour exécuter ses commandes », a expliqué Maliki Dahirou, fournisseur. « Tous les fournisseurs se battaient pour acheter le même sorgho aux mêmes paysans ».

Selon M. Fadel, qui a fourni 1 250 tonnes de sorgho au PAM en avril dernier, « les paysans voyaient à quel point nous étions prêts à tout pour acheter leurs marchandises, alors évidemment, ils ont monté les prix. Puis, une fois que les commandes du PAM ont été exécutées, la demande en sorgho a chuté et les prix se sont effondrés », a-t-il rapporté.

Les autres fournisseurs et lui-même ont estimé que le PAM aurait un effet moins imprévisible sur le marché céréalier local s'il échelonnait les commandes et leur accordait de plus généreux délais de mise en œuvre.

Mais d’après Mme Labbé, le PAM ne fonctionne pas de cette manière. « Généralement, les achats sont directement liés à un don particulier, dans le cadre d’une crise alimentaire donnée. Il nous arrive rarement de pouvoir acheter des denrées alimentaires en accordant de longs délais de mise en œuvre, et certainement pas avant que les paysans commencent à planter ».

Quant à l’aide alimentaire internationale envoyée à Douala, il faut compter en moyenne trois mois pour la recevoir, à compter du moment où le bailleur l’accorde, jusqu’à son arrivée au port de Douala. Puis, il faut encore prévoir 45 jours pour l’acheminer, par voie terrestre, jusqu’aux bénéficiaires. En revanche, dans ce cas de figure, les bailleurs fournissent gratuitement l’aide alimentaire, et prennent également en charge les frais de transports.

Ainsi, « si le PAM s’efforce de se procurer davantage de vivres à l’échelle locale, c’est entre autres parce que cela nous permet de réagir plus efficacement et plus vite aux crises », selon Mme Labbé.


Photo: David Hecht/IRIN
Aide alimentaire internationale arrivant au port de Douala
La logistique

L’aide alimentaire ne manque pas d’ironies : d’abord, les vivres transportés par bateau jusqu’à Douala et destinés à être envoyés dans les zones d’urgence du Tchad et du Soudan sont acheminés vers le nord, jusqu’à Ngoundéré – à près de 1 000 kilomètres en train – et arrivent dans ce qui se trouve être l’une des principales régions productrices de maïs du Cameroun. Or, les frais d’acheminement des vivres locaux par camions de Ngoundéré jusqu’aux zones d’urgence situées non loin de là sont négligeables comparés aux coûts exigés pour transporter des denrées alimentaires jusqu’à Ngoundéré depuis l’étranger.

Autre ironie : les céréales locales se vendent à des prix moins élevés que ceux pratiqués à l’international, selon Mme Labbé, du PAM. « Les prix sont souvent inférieurs de plus de 30 pour cent à ceux des achats internationaux », a-t-elle révélé.
« En achetant 20 000 tonnes de sorgho et 5 000 tonnes de semoule de maïs au Cameroun, pour les utiliser dans le cadre des opérations d’urgence menées en République centrafricaine et au Tchad, nous avons économisé près de 3,5 millions de dollars, par rapport à l’achat le moins cher des mêmes produits à l’international ».

Jusque récemment, les économies réalisées en matière de coûts et de temps étaient insignifiantes pour bon nombre de bailleurs, et en particulier pour les Etats-Unis, premier fournisseur mondial d’aide alimentaire, qui, à en croire les critiques, subventionnent directement et indirectement leurs agriculteurs afin qu’ils produisent des surplus alimentaires.

L’Union européenne en est venue à approuver une politique d’approvisionnements local et régional en aide alimentaire et le Canada a adopté une politique qui interdit la production de plus de 50 pour cent de son aide alimentaire sur le territoire national.

L’administration Bush a pour sa part proposé que l’équivalent de 300 millions de dollars de denrées – sur le budget de 1,2 milliard de dollars consacré par les Etats-Unis à l’aide alimentaire – soit produit hors des Etats-Unis, toutefois le congrès américain a jusqu’ici fait barrage à cette mesure.

« Les bailleurs de fonds qui fournissent de l’aide alimentaire en nature, et notamment les Etats-Unis, devraient […] délier une grande part de l’aide alimentaire accordée, afin de contribuer au développement de l’agriculture, du commerce et des moyens de subsistance locaux », a expliqué Jonathan Coulter, expert en aide alimentaire, au sein d’un article publié récemment dans le Journal of Humanitarian Assistance et intitulé « Local and Regional Procurement of Food Aid in Africa: Impact and Policy Issues » [« Approvisionnements local et régional en aide alimentaire en Afrique : les questions en matière d’impact et de politiques »].

Malgré tout, M. Coulter met en garde contre un « manque d’information général » sur l’impact des achats locaux d’aide alimentaire, et recommande essentiellement de « consacrer davantage de ressources à évaluer [cet] impact ».

« Les gouvernements et les bailleurs de fonds devraient s’efforcer d’améliorer [leur] base d’information sur la distribution de l’aide alimentaire, et notamment sur les achats à l’échelle locale. Cela implique une plus grande précision en matière de prévisions agricoles, ainsi qu’une amélioration des bilans alimentaires et des estimations concernant les surplus commercialisés ».

Mme Labbé abonde dans ce sens. « Si nous voulons augmenter l’approvisionnement régional, nous devons affiner notre connaissance des marchés régionaux », a-t-elle convenu. « A l’heure actuelle, nous ne réalisons que des achats au comptant. Nous devons concevoir une stratégie d’achat ».

Autre ironie encore : dans le nord du Cameroun, les zones où les surplus de production alimentaire sont courants jouxtent les régions de l’extrême nord qui souffrent de pénuries alimentaires fréquentes. « Mais cela ne veut pas dire que nous ayons tort d’exporter des vivres du Cameroun au Tchad et à la République centrafricaine », a tempéré M. Cebron, directeur des bureaux camerounais du PAM.

« Regardez-y de plus près et vous verrez que les axes de transport entre ces différentes régions du Cameroun sont très insuffisants, et que le marché le plus facile d’accès pour les populations de l’extrême nord reste le Nigeria voisin ». En d’autres termes, acheter des vivres à l’échelle locale est un processus compliqué, « alors, mieux vaut savoir ce qu’on fait », a-t-il conclu.

dh/bp/nr /nh/ads/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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