A la vue d'un oiseau mal en point, Moussa Diouf, un jeune homme résidant dans un village à la périphérie du parc national des oiseaux du Djoudj, au nord du Sénégal, s’en saisit au moyen d’un sac plastique et l’apporte au poste central de la réserve, inquiet que le passereau véhicule « la nouvelle maladie ».
Le Conservateur ne peut retenir un sourire en découvrant, à l’intérieur du sachet noir, un moineau à moitié asphyxié.
« C’est un tisserand commun qui, en période de mue, perd ses plumes et devient vulnérable parce qu’il ne peut aller loin », explique, goguenard, le Commandant Ibrahima Diop, qui dirige une équipe de 43 hommes chargés de la surveillance de la réserve de Djoudj, un parc national de 16 000 hectares dans le delta du fleuve Sénégal.
Situé à 60 km au nord de Saint Louis, la capitale du nord du Sénégal, le parc national du Djoudj, qui longe la frontière mauritanienne, accueille chaque année, de novembre à mai, près de 300 000 oiseaux migrateurs qui fuient l’hiver européen.
Au mois d’octobre dernier, lorsque les experts internationaux ont mis en lumière les risques de propagation du virus H5N1 par les oiseaux migrateurs, les autorités sénégalaises ont décidé de renforcer la surveillance et la détection de la maladie au niveau des parcs ornithologiques dont regorge le pays.
Les équipes du parc du Djoudj se sont rendues dans les sept villages de la périphérie du parc et ont informé les habitants de l’apparition de la grippe aviaire, a indiqué le Commandant Diop.
Elles ont aussi accru la sensibilisation à l’endroit des 20 000 touristes qui admirent chaque année les 370 espèces d’oiseaux ainsi que les chacals, phacochères, hyènes, singes et crocodiles qui vivent ou séjournent sur le site et stimulent l’activité économique de la région.
Depuis l’apparition, le 8 février dernier, des premiers cas de grippe aviaire au Nigeria, les autorités sénégalaises ont intensifié la surveillance sur le terrain.
« Depuis une semaine, nous sommes passés à la phase active de recherche et d’observation sur le terrain d’éventuels malades ou morts pour ne pas être surpris », a indiqué le Commandant Diop.
Le Commandant Diop en observation |
Surveillance accrue
Chaque matin, au lever du soleil, les 35 écogardes se répartissent en équipes de patrouille à pied, à vélo, en auto et en bateau.
Munis de télescopes, gants, glacières, ils rejoignent les quatre secteurs du parc, à savoir le marigot du Djoudj, site de nidification des pélicans blancs, celui de Gainthe, qui abrite les mammifères, le secteur des crocodiles, site de nidification des hérons, et le site du Grand Lac, qui abrite des centaines de milliers d’oiseaux migrateurs, notamment des canards pilets, sarcelles et flamants. Ils ont pour consigne de notifier tout cas de mort d’oiseau.
Assis dans une vedette du parc, le Commandant Diop remonte les 10 000 hectares d’eau du parc. Les jumelles aux yeux, il scrute avec un plaisir non feint les innombrables pélicans blancs qui traversent le ciel, les cormorans africains qui volent légèrement au-dessus de l’eau, les centaines de canards noirs au flanc rayé et à la face blanche –dandrocygnes- qui effectuent des ballets dans le ciel.
« Il y en a des centaines de milliers », indique-t-il en désignant les dizaines de milliers de pélicans blancs au bec jaune agglutinés sur un tertre au soleil. S’ils avaient la grippe aviaire, je vous assure qu’on l’aurait décelée, depuis trois mois qu’ils sont ici ».
En début d’après-midi, les agents du parc se retrouvent au poste central et font le point avec le commandant qui transmet ensuite les observations du jour au bureau régional.
« Depuis le début des migrations d’oiseaux, on n’a trouvé aucun cas suspect de mort d’oiseau », indique Abou Diop, chef de l’équipe des écogardes qui patrouillent dans la zone des crocodiles.
« Nous sommes tellement inquiets de cette maladie, parce que si elle arrive, elle va amener beaucoup de problèmes, les touristes ne vont plus venir, et c’est notre première ressource », a précisé le jeune homme de 27 ans, qui habite le village Diadiam 2, à 30 km du poste central.
Le Parc du Djoudj, qui génère chaque année plus de 32 milliards de francs CFA (58 millions de dollars américains) par son activité touristique, est cogéré par la direction des parcs nationaux et les villageois.
Les riverains du parc gèrent ainsi une boutique artisanale, un campement, un bar restaurant et des pirogues assurant la balade des touristes sur le lac. Ils constituent également l'essentiel de la main d’œuvre du parc.
Un cormoran dans la réserve |
« On voit les gens qui font de l’élevage de poulets, on leur dit que s’ils trouvent cinq ou 10 poulets morts, ils doivent les ramasser avec des gants, et les amener », a indiqué Abou Diop.
L’apparition de l’épizootie dans les poulaillers nigérians n’inquiète guère le Commandant Diop.
« Le cas du Nigeria ne m’inquiète pas parce que le Nigeria est sur l’axe oriental, qui passe par la Turquie, l’Egypte, le Tchad, le Nigeria, tandis que nous sommes sur l’axe occidental, qui passe par la Sibérie, l’Espagne, la Mauritanie, et le Sénégal », a-t-il indiqué.
« Mais ce qu’on peut craindre, c’est l’année prochaine, parce que nous avons les oiseaux afrotropicaux qui quittent le Sénégal en fin mai, vont jusqu’au nord du Cameroun et le Lac Tchad, et peuvent nous apporter la maladie au retour ».
This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions