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Un ballet de réfugiés anime la frontière avec le Liberia

Des dizaines de milliers de Libériens, enregistrés comme réfugiés en Guinée voisine, abusent de leur statut en allant vendre leur ration alimentaire de l’autre côté de la frontière, d’où ils préparent leur retour jusqu’à la prochaine distribution de nourriture et leur rapatriement définitif vers le Liberia.

Pourtant, une personne qui retourne librement et en toute sécurité dans son pays d’origine ne peut guère prétendre à un statut de réfugié et ne nécessite plus d’être protégée par les Nations Unies.

Des travailleurs humanitaires admettent cependant que le flux de nourriture qui traverse quotidiennement la frontière doit alimenter les milliers de personnes dans le besoin qui vivent dans les régions éloignées du Liberia, un pays ravagé par la guerre dont la frontière avec la Guinée est toujours sous le contrôle des forces rebelles.

Les réfugiés ont donc violemment réagi lorsque les agences des Nations unies ont lancé l’opération de recensement dans les quatre camps installés au cœur de la Région forestière, dans le sud-est du pays.

Des responsables et des véhicules de l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont été reçus à coups de pierres dans les camps de Kouankan et de Kola, une agressivité destinée à retarder la première opération de vérification depuis deux ans.

Selon le précédent recensement, 90 750 réfugiés vivent dans les camps de Guinée forestière. Mais selon des travailleurs humanitaires, un quart aurait déjà quitté le pays pour commencer à s’installer au Liberia.

« Nous avons été complètement manipulés par les réfugiés, » a dit Cesar Pastor-Ortega, le chef de la sous-délégation du HCR à Nzérékoré, la préfecture de la Région forestière.

« Selon nos propres estimations, 80 000 personnes sont rentrées au Liberia, dont 35 000 dans la région de Voinjama, dans le conté de Lofa,» a t-il dit.

Voinjama, la ville principale du conté de Lofa, est située dans le nord ouest du Liberia, à quelques 20 km de la frontière avec la Guinée.

Elle sert de quartier général au mouvement rebelle du LURD, les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie, qui a mené la guerre contre l’ancien chef de l’Etat Charles Taylor entre 1999 et 2003 à partir de sa base arrière en Guinée.

Les réfugiés ne veulent pas être comptés

Pastor-Ortega a indiqué à IRIN qu’il avait été personnellement attaqué par des réfugiés de Kouankan, le camp le plus proche de la frontière avec le Liberia, à moins de 100 km de là.

«Ils se révoltent parce qu’ils sont en train de perdre cette possibilité de tricher et de créer des richesses, » a expliqué Pastor-Ortega. « Ce jour-là (à Kouankan), j’ai eu peur. C’était la première fois… Il n’y avait pas de problèmes de sécurité avant. »

« La nourriture est très importante pour les réfugiés. Dès qu’ils sauront qu’ils n’auront plus à manger, les choses peuvent très mal tourner, » a dit un responsable de la sécurité du HCR, tandis qu’il attendait à la porte du camp de Kouankan que le comité des réfugiés donne son feu vert pour le recensement.

[Guinea] A Guinean soldier maintains order among Liberian refugees in Laine refugee camp, Guinea in June 2004. He was the head of security in the camp.
Un soldat Guinéen maintient l'ordre au camp de réfugiés de Laine
Un autre travailleur humanitaire dépeint une situation identique.

« Il y a beaucoup de réfugiés qui vont et viennent et qui seraient prêts à se battre pour garder la ration alimentaire et la maison qu’ils ont en Guinée, » a t-il dit.

Il a précisé que les cartes de réfugiés, qui donnent le droit à de la nourriture et, plus tard, au rapatriement, sont à vendre au plus offrant.

Mike sirote un thé, assis sur un banc de bois, le long de la route qui relie le camp à la petite ville d’Yrié. Il admet volontiers avoir vendu sa carte.

« J’ai fait la guerre, oui… mais c’était dans une autre vie. Maintenant, c’est fini, je ne fais plus que du commerce entre le Liberia et la Guinée,» a t-il expliqué, désignant du menton son camion garé tout près de là.

Mais il insiste : « Je suis ici en Guinée, je suis toujours un réfugié, » soulignant son droit à recevoir sa ration et à bénéficier du programme de rapatriement du HCR, censé démarrer en octobre prochain.

De fausses prétentions

De retour dans la capitale régionale, à Nzérékoré, Pastor-Ortega s’est plaint du fait que beaucoup de Libériens ne viennent en Guinée que dans le seul but de se faire enregistrer par les agences spécialisées des Nations unies afin de bénéficier des avantages que confère le statut de réfugié.

« Ils sont beaucoup en ce moment, tout le monde arrive dans les camps pour avoir une carte, » a expliqué un responsable du Programme alimentaire mondial (PAM) basé à Nzérékoré.

Beaucoup de travailleurs des Nations unies soulignent l’ampleur de la fraude et la difficulté à contenir la dissémination de l’aide alimentaire en dehors des camps.

[Liberia] Colonel A B Konneh, former head of intelligence for LURD, now (July 2004) most senior LURD commander in Voinjama. Stoo outside his furniture shop on the high street.
Colonel A B Konneh, le plus gradé des officiers du LURD à Voinjama
« Toute la nourriture part sur les marchés, en Guinée et bien sûr au Liberia, » a poursuivi cet employé du PAM. « Ils détournent les rations, mais nous avons des problèmes de budget et on ne peut pas continuer comme ca, il y a trop de faussaires, » a t-il ajouté.

L’inquiétude ne vient pas seulement des mouvements des civils libériens. Des résidents au Liberia ont dit à IRIN que des combattants du LURD traversaient régulièrement la frontière, sans rencontrer de difficultés.

Le chef rebelle AB Conneh à Voinjama a confirmé que le LURD était le seul à émettre les autorisations de passage et à vérifier les identités, à la place du gouvernement de transition -- qui n’a installé aucun représentant en ville -- ou du bataillon de casques bleus pakistanais déployés à Voinjama.

Selon des diplomates, le président guinéen Lansana Conté était le principal soutien du LURD durant la guerre qu’il a mené contre Taylor, jusqu’à son exil au Nigeria en août dernier.

Après la signature de l’accord de paix, à l’issue de 14 ans de conflit, les combattants du LURD sont devenus oisifs et beaucoup errent entre le Liberia et la Guinée.

Des résidents à Nzérékoré ont expliqué à IRIN que certains d’entre eux avaient pris part aux affrontements inter-ethniques qui avaient secoué la ville en juin dernier, causant la mort d’au moins deux personnes.

« Les Guinéens craignent que les problèmes du Liberia ne viennent chez eux, » a dit un représentant du gouvernement, présent dans le camp de Kouankan, l’un des plus violents de la région forestière.

Depuis 1990, la Guinée reçoit un flux continu de réfugiés et de migrants appauvris, fuyant les pays voisins après qu’ils aient sombré, les uns après les autres, dans les crises larvées et les conflits armés.

Selon le HCR, le pays accueille toujours plus de 100 000 réfugiés, la plupart venant du Liberia, qui pèsent considérablement sur ses services sociaux et éducatifs.

La nourriture qui traverse la frontière nourrit des bouches affamées

Les travailleurs humanitaires dans le nord du Liberia affirment que l’aide alimentaire distribuée dans les camps en Guinée réapparaît sur les marchés locaux, permettant ainsi de faire face aux ruptures d’approvisionnement des étals.

« D’une façon ou d’une autre, les gens se débrouillent, des systèmes alternatifs se mettent en place. On continue à obtenir de la nourriture dans les camps en Guinée, elle est amenée ici et est revendue sur le marché, » a expliqué Markus Cott, qui travaille pour le Comité international de la croix rouge à Voinjama.

Country Map - Liberia (Lofa: Voinjama)
Les rations alimentaires dans les camps de réfugiés se retrouvent de l'autre côté de la frontière, à Voinjama
« Mais comme plus de gens reviennent (au Liberia), ça va devenir de plus en plus problématique, » a t-il ajouté.

Le HCR s’est récemment plaint du manque de financement à sa disposition pour démarrer le rapatriement à grande échelle des Libériens réfugiés en Afrique de l’Ouest -- notamment en Guinée, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire. L’agence des Nations unies dit avoir besoin de 23 millions de dollars supplémentaires.

Quant au PAM, il a averti que ses fonds étaient insuffisants pour nourrir jusqu’à la fin de l’année trois millions de Libériens dans le besoin. L’agence onusienne évalue ses besoins à 11 millions de dollars.

« La situation ne peut pas être stable quand plus de 300 000 personnes ont faim, » a prévenu le responsable du PAM à Monrovia, Justin Bagarishya.

A l’époque du dernier recensement de la population réfugiée en Guinée, il y a deux ans, 90 750 Libériens vivaient dans des camps. Jusqu’à présent, les rations alimentaires du PAM sont distribuées en fonction de ces chiffres, que l’on sait désormais largement surévalués.

Ainsi, selon les données provisoires obtenues lors de l’opération de vérification en cours en Région forestière, la population de Kouankan aurait chuté à 18 682 personnes mi-juillet, alors qu’elle était de 32 000 personnes en 2002.

Difficile de rester calme

Recenser les réfugiés est une opération nerveusement difficile.

Au camp de Lainé, un des camps les plus récents de la région, les employés du HCR chargés de la protection des réfugiés essayent de déterminer qui a besoin d’assistance et qui tente de frauder.

« Sortez ! » hurle un travailleur du HCR en s’adressant, manifestement hors de lui, à un vieil homme, à sa femme et ses sept enfants.

[Liberia] Saliah Fofana (left) and his brother Boakai Sannor have returned to Voinjama after 14 years in Kouankan refugee camp, Guinea.
Les frères Saliah et Boakai de retour à Voinjama après 14 ans dans les camps de réfugiés guinéens
« Vous mentez ! » tempête ce responsable. « Vous pensez que vous êtes drôle ? C’est impossible ! C’est la deuxième fois que je vous vois et vous n’avez pas la même femme ! Et ses enfants ne sont pas les vôtres ! Vous êtes en train de mentir!»

A moins d’un kilomètre de là, des réfugiés libériens vendent leur ration de boulgour américain sur le marché local.

Les Guinéens utilisent volontiers cette céréale pour nourrir les vaches et les cochons. A l’instar des Libériens, les populations locales consomment en priorité du riz, l’aliment de base dans la région. L’huile végétale venue d’Occident est mélangée à l’huile rouge de fabrication locale, plus appréciée.

Rebecca, une jeune et coquette Libérienne, admet volontiers vendre une partie de sa ration de boulgour sur le marché local de Lainé, à quelques centaines de mètres du camp où elle vit. Cela lui permet de se procurer ce dont elle a besoin.

« Le boulgour n’est pas aussi bon que le riz, » se plaint-elle. « Et nous n’avons jamais de viande ! »

Nombreux sont ses amis du camp à se rendre au Liberia pour « visiter la famille », dit-elle. Elle tient aussi à y retourner, et le plus rapidement possible.

D’autres, comme James Ohkey qui dirige le comité des réfugiés du camp de Kountaya, sont plus prudents.

« La plupart d’entre nous vient du conté de Lofa et nous avons toujours peur, » dit-il. « La paix est très fragile et ce sera difficile de la maintenir tant qu’ils (les anciens combattants) n’ont pas tout l’argent qu’ils veulent pour laisser leurs armes. »

Le désarmement de 40 000 à 60 000 anciens combattants est en cours au Liberia, chacun d’entre eux reçoit 300 dollars et l’opportunité de refaire sa vie - retourner à l’école ou lancer un petit commerce.

D’intenses combats ont eu lieu dans le conté de Lofa durant la guerre civile et Voinjama, qui était à l’époque une ville frontalière grouillante d’activité, est désormais en ruine. Le long de la rue principale, les maisons servent à peine d’abri, les murs sont criblés de balles et défoncés par les obus de mortiers. Tout ce qui a pu être pillé l’a été -les portes, les encadrements de fenêtre et les toits.

C’est dans cette ville dévastée que sont revenus les frères Boakai Sannor et Saliah Fofana, après un séjour dans le camp de Kouankan.

Tandis qu’ils retapent la maison et nettoient leur parcelle de terre, abandonnée depuis leur fuite en Guinée, les enfants poursuivent leur scolarité dans l’école du camp.

« Je suis parti 14 ans ! Je ne sais pas qui a fait quoi ici. Je ne sais pas qui a des armes et qui n’en a pas, qui est un combattant et qui n’en est pas - toutes les armes sont cachées ! » a dit Fofana à IRIN.

« Mais nous sommes de retour parce que, maintenant, nous sommes protégés, » a t-il ajouté, en référence au bataillon de soldats pakistanais installés en ville, une petite partie des 15 000 casques bleus déployés au Liberia.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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