James Kouma a 38 ans et est père de deux enfants. Cela fait quinze ans qu’il a obtenu une licence en lettres modernes à l’université de Lomé et qu’il recherche un emploi lui permettant de vivre décemment. Comme des milliers des jeunes, il arrondit ses fins de mois en conduisant un taxi-moto ou « Zémidjan ».
Mais Kouma est d’abord professeur de français dans un établissement privé de la place et conducteur de taxi-moto, à ses heures libres.
« J’ai cherché en vain un vrai boulot. Avec un peu d’économie, je me suis acheté une moto », déclare James Kouma, la barbe et les sources recouverts de poussière transportée par le vent du désert, en ces temps d’harmattan.
« C’est très fatiguant de concilier les deux métiers, mais ce que je gagne en tant qu’enseignant est insuffisant pour payer mon loyer….Je n’avais pas besoin de souffrir tant à l’université pour faire en fin de compte ce travail de Zémidjan », déplore-t-il.
De nombreux jeunes diplômés de grandes villes d’Afrique de l’ouest qui, comme lui, sont sans emploi, ne le contrediront pas. La vie d’étudiant aujourd’hui est bien plus difficile qu’elle ne l’était.
Pour Kohan Kidekiyime Binafame, président du MEET, un des syndicats d’étudiants togolais, près de 30 pour cent des conducteurs de Zémidjan à Lomé sont des étudiants. D’autres travaillent comme agents de sécurité pour s’en sortir.
A l’université de Lomé, beaucoup d’étudiants se plaignent des serpents et des ordures qu’on trouve sur le campus, des professeurs de sciences qui ne font jamais de travaux pratiques en raison du manque de matériel, et des amphithéâtres tellement bondés qu’il faut parfois payer sa place pour y suivre un cours.
L’université de Lomé a été créée en 1970 et comptait à l’époque quelque 6 000 étudiants et plusieurs amphithéâtres de 300 places. Aujourd’hui, elle en compte 25 000, quatre grands amphithéâtres ont été ajoutés, et un cinquième de 1 000 places est en cours de construction.
Il y a vingt ans, les étudiants s’en sortaient mieux. Les frais d’inscription annuelle étaient de 4 500 francs CFA (8 dollars américains), 10 pour cent du prix actuel de la carte d’étudiant. Les tickets de bus, quelque soit la provenance ou le quartier, coûtaient 1O francs et les repas 90 francs. Le prix des chambres en cité universitaire était abordable et les étudiants percevaient une bourse mensuelle de 21 600 francs CFA.
Le port de Lomé |
En 2000, le montant de l’inscription a été revu à la hausse et il fallait alors débourser 50 000 francs CFA pour obtenir une carte d’étudiant. Aujourd’hui, en raison des graves difficultés économiques que connaît le pays, et sous la pression des syndicats d’étudiants, le gouvernement a décidé de réduire de moitié le montant des frais d’inscription annuelle pour les ramener à 25 000 francs CFA. Le ticket de bus en revanche coûte 100 francs, le repas 500 francs et le prix de la chambre a doublé.
« Je suis désolé de la manière dont on nous traite », grommelle Marc, étudiant en troisième année de science naturelle. « Le cours commencent souvent à 7h30, le bus vient en retard et on s’entasse dedans. Un jour aux feux tricolores, un monsieur m’a dit que nous étions comme des sardines dans une boîte. J’ai eu honte, car nous qui assurons la relève de demain nous ne sommes pas respectés ».
Les 3 800 étudiants inscrits en première année de FASEG (Faculté de Sciences économiques et de gestion) vivent les mêmes réalités.
« Il faut que je me réveille à 3h30 pour être au cours à 4 h, dans l’espoir d’avoir une place », explique Micheline, 23 ans. « S’il t’arrive d’être en retard, les étudiants venus plus tôt vendent la place à 100 francs, et même plus cher pour les places de devant », renchérit-elle.
Meza, 22 ans, est inscrite en première année de droit. Vêtue d’un Jeans et d’une chemise blanche, elle parcourt quelques kilomètres à pied chaque matin et paie 150 francs au conducteur de Zémidjan pour se rendre à l’université.
« Au retour, je marche jusqu’à la maison car je n’ai pas les moyens suffisants pour payer chaque fois les moto-taxis ».
Mezza déplore aussi la situation des étudiants du département d’anglais qui passent une bonne partie de la journée à la recherche de salles libres, parce qu’aucun amphi n’a été attribué à la Faculté de langues étrangères.
Un taxi-moto Zémidjan transportant une cliente |
Lorsqu’on leur demande où ils passent leur journée, certains étudiants n’hésitent pas répondre ironiquement qu’ils vivent, comme tant d’autres, « dans la brousse ».
Le campus est aujourd’hui un endroit particulièrement insalubre où l’on trouve des grenouilles, des serpents et autres reptiles. Les herbes sauvages poussent ici et là et la population des quartiers environnants y vient pour faire ses besoins. Des fois, certains y font pousser du maïs, du mil, et des haricots et il n’est pas rare d’y voir des chevaux brouter tranquillement de l’herbe.
Quant à la bibliothèque, les livres disponibles sont vieux et traitent de programmes dépassés, ou leurs pages ont été arrachées par des étudiants peu scrupuleux et trop pauvres pour se payer des photocopies.
L’université dispose d’un centre numérique francophone, doté de 17 ordinateurs seulement, et le corps enseignants n’est pas épargné par les difficultés.
« Nous avons une boîte de craie pour trois enseignants par an et nous achetons souvent nous-mêmes les rames de papier. Le matériel de laboratoire est vieux et des fois hors d’usage, ce qui fait qu’on a des scientifiques qui n’ont que des connaissances théoriques », explique un professeur de la faculté de sciences qui, refusant de décliner son identité, se fait appeler Komi.
Les difficultés auxquelles les étudiants sont confrontés pendant leur cursus scolaire poussent certains à abandonner leurs études.
« J’ai commencé en première année de sociologie en 2002 et je passais en deuxième année. A l’époque les frais d’inscription étaient encore de 80 dollars », explique Marcel Attivi, 28 ans.
« Je travaillais comme conducteur de taxi-moto pendant les vacances pour pouvoir payer ma scolarité, mais j’ai dû abandonner mes cours parce que j’avais plus les moyens ».
« Aujourd’hui, j’ai passé deux ans à faire ce boulot et puis j’ai perdu toute envie de poursuivre mes études. De toutes les façons, mes prédécesseurs ne font que le métier de taxi-moto », poursuit-il.
Ce qui est absolument vrai, confirme Binafame, le président du MEET.
« L’université de Lomé ne produit que des chômeurs. Il y a des gens qui ont un diplôme depuis près de dix ans et qui traînent encore à la maison ».
« Les étudiants passent actuellement leurs partiels et les surveillants sont pour la plupart des étudiants qui ont terminé leurs études il y a six ans, mais qui n’ont toujours pas trouvé de travail ».
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