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L’urgence d’une prise en charge psychosociale des patients

Les faiblesses de la prise en charge psychosociale des personnes vivant avec le sida au Cameroun pourraient compromettre les succès obtenus par les autorités médicales dans leur lutte contre l’épidémie de VIH, ont averti des activistes et des médecins. Selon des responsables de la santé au Cameroun, entre 20 et 40 pour cent des personnes sous traitement antirétroviral (ARV) prennent leurs médicaments de façon irrégulière au bout de deux ans : ces chiffres ne cessent d’inquiéter les responsables de la prise en charge médicale des 13 503 patients officiellement sous traitement en septembre 2005. “Nous avons un gros problème d’adhérence au traitement, c’est une difficulté réelle qui reste le point faible de la prise en charge au Cameroun”, a expliqué à PlusNews le docteur Charles Kouanfack, chef de l’unité VIH/SIDA de l’hôpital central de Yaoundé. Quelque 12 000 dossiers de personnes séropositives ont été ouverts à l’hôpital de jour, érigé en centre de traitement agréé (CTA) depuis le lancement de la politique de décentralisation de lutte contre l’épidémie, décidé dès l’an 2000 par l’Etat. Selon le docteur Kouanfack, les capacités de l’établissement sont prévus pour 5 000 et 6 000 personnes, “pour une prise en charge correcte”. Les patients de l’hôpital de jour sont suivis par huit agents communautaires, des fonctionnaires nouvellement recrutés (et rémunérés) par l’Etat. Mais selon un médecin prescripteur, qui travaille dans le service du docteur Kouanfack et qui a souhaité garder l’anonymat, leur nombre est “très insuffisant”. “On voit les patients de façon grossière, rapidement, alors qu’ils attendent beaucoup de nous”, a expliqué ce docteur qui, à la nuit tombée, terminait sa 42e consultation de la journée. “Ils arrivent dès le matin, vers 7 heures 30, et sont reçus à 18 heures. On leur explique les problèmes de façon sommaire, alors qu’ils ont plein de questions.” Selon ce professionnel, 2 000 patients viennent régulièrement à l’hôpital prendre leurs ARV tous les mois, alors que 5 000 sont éligibles et inscrits pour un traitement. Dans la foulée du lancement de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le sida, le nombre de consultations par praticien est passé de 10 à environ 50 par jour, selon les médecins. Les prescriptions d’ARV privilégiées Bien que le prix des ARV ait baissé, les malades préfèrent payer plus cher chez les médecins traditionnels que faire la queue à l’hôpital, a ajouté le docteur du CTA de Yaoundé. “Nombreux sont ceux qui se découragent et vont chez les tradipraticiens qui, eux, sont toujours disponibles. C’est un grand problème.” Selon ce médecin, 20 pour cent des 5 000 personnes prises en charge sont indigentes et ne payent donc pas leurs traitements, une mesure décidée en janvier par l’Etat mais qui ne règle pas les problèmes d’observance, a-t-il dit. Depuis le lancement des premiers plans d’action contre le sida, à la fin des années 80, le Cameroun n’a cessé de favoriser l’accès au traitement en divisant par 200 les prix des ARV et en réduisant ceux des bilans de suivi thérapeutique. Ainsi, en septembre 2005, les traitements permettant de prolonger l’espérance de vie des patients valaient entre 3 000 et 7 000 francs CFA (de 5,5 à 13 dollars) par mois et par personne, contre 600 000 francs CFA (1 086 dollars) en 2001. Cet effort, qui est allé de pair avec l’augmentation de l’offre de traitement grâce au soutien des partenaires internationaux du Cameroun, a permis d’accroître le nombre de personnes sous traitement, qui est ainsi passé de 600 en 2001 à plus de 13 000 en 2005. Pourtant, cela est loin de répondre aux besoins des patients et des médecins, qui fustigent l’absence d’écoute, d’accompagnement et de suivi au quotidien, une tâche habituellement dévolue aux assistants sociaux et aux psychothérapeutes, plutôt rares dans les établissements camerounais. “L’accueil est très mauvais dans les hôpitaux, et comme le travail psychosocial n’est pas rémunéré dans les établissements publics ou très peu, du coup ça ne fonctionne pas : le manque de prise en charge est patent”, a estimé le docteur Juergen Noeske, responsable du programme Sida Santé de l’agence allemande de coopération, GTZ, à Yaoundé. Les autorités et les acteurs de la lutte contre le VIH/SIDA au Cameroun ont fait le même constat lors de l’évaluation du plan stratégique pour 2000-2005, dans lequel le manque de confidentialité, d’orientation et d’accueil des patients, ainsi que le caractère essentiellement médical de leur prise en charge, a été fustigé. “Tout le monde veut une mise à l’échelle rapide”, a expliqué l’anthropologue Flavien Ndonko, de la GTZ à Yaoundé. “Au départ on visait 40 000 personnes à mettre sous ARV, c’était très ambitieux mais on a oublié les enjeux essentiels que représentent l’accompagnement et l’observance et qu’il pouvait y avoir des échecs thérapeutiques.” Pour répondre aux besoins des personnes sous traitement et de toutes celles qui souhaitent s’informer avant ou après un dépistage, l’Etat a recruté 400 agents dits ‘de relais communautaire”, censés accompagner les patients et convaincre les plus réticents à aller se faire dépister. Des agents communautaires sans moyens Mais leur nombre est loin d’être suffisant pour répondre aux besoins des populations, ont confirmé ces fonctionnaires. “Le quartier Bonaderi, que je couvre avec trois collègues, est beaucoup trop grand pour nous”, a raconté Jeannette, une assistante du ministère des Affaires sociales récemment embauchée pour travailler dans l’Unité de prise en charge (Upec) de l’hôpital de district de Bonassama, en périphérie de Douala, le grand centre économique du Cameroun. “Nous n’avons pas de matériel didactique pour expliquer ce qu’est le sida dans les quartiers, juste un pénis en bois et des préservatifs usagés, qu’on ne peut même pas distribuer”, a-t-elle expliqué. “Nous n’avons pas de téléphone, pas de moyen de transport, un maigre salaire et pourtant les gens demandent toujours après nous : les besoins sont très importants.” Les ‘relais’ se déplacent quotidiennement dans les communautés pour rendre visite aux personnes sous traitement et pour dialoguer avec les familles, “un travail long et compliqué, mais qui porte ses fruits”, a commenté Jeannette. Pourtant, a-t-elle dit, aucun moyen supplémentaire ne devrait leur être alloué cette année. C’est aussi ce que craint Evelyne, qui joue le rôle d’assistante sociale et de ‘conseillère éducative’ dans divers hôpitaux de Douala. Comme de nombreuses personnes séropositives membres d’association, elle conseille bénévolement les personnes venues se faire dépister ou à la recherche d’informations et de soutien. “Les membres des associations sont là, dans les hôpitaux pour aider au pré et post-test. On a reçu des formations en councelling et en soins à domicile, en volontariat communautaire et en causeries éducatives”, a-t-elle expliqué. “Chaque association a ses jours de visite, elles se succèdent dans les hôpitaux.” Evelyne a pourtant plus de chances que les autres : elle travaille trois par semaine à l’hôpital de Nylon, un établissement de la banlieue de Douala appuyé par l’organisation médicale Médecins sans frontières qui soigne 4 000 personnes, dont 1 370 sous ARV. “MSF nous paye le transport pour venir à l’hôpital. En fait, le soutien nous vient plus de l’extérieur que de l’Etat : ça n’a pas d’importance pour lui, il n’apporte aucun financement. Je ne pourrai pas continuer quand ils (les équipes MSF) partiront”, a-t-elle conclu. Grâce à l’équipe psychosociale -- cinq personnes dont un psychologue -- le taux de perdu de vue [les personnes qui interrompent leur traitement et disparaissent] serait très faible à Nylon, alors qu’il serait de un pour six malades dans les autres hôpitaux, selon le docteur Joseph Ekoum, le chirurgien dentiste chargé de la gestion du médicament. Nylon paye aujourd’hui le prix de son succès : 60 pour cent des patients de l’hôpital sont séropositifs. “Il y a beaucoup de malades qui viennent des autres hôpitaux : ici, nous prenons le temps de discuter avec eux, ils sont les bienvenus et on les écoute : un plus, que personne d’autre n’a ici”, a expliqué le docteur. Sa crainte, comme celle de son directeur, le docteur Gnigninanjouera Oumarou, est de ne pas pouvoir poursuivre cette activité après le départ de l’organisation internationale de Nylon, prévu à la fin du mois de décembre 2006. “Le travail du conseiller social sur l’adhérence, l’observance, l’acceptation du statut… est énorme, c’est un maillon très important de la chaîne, un service clé qui doit parfaitement fonctionner”, a commenté le docteur Oumarou, ajoutant que dans les autres hôpitaux, l’absence de prise en charge psychologique avait renforcé la stigmatisation des personnes infectées au VIH. Renforcer les capacités : une urgence Pour éviter d’avoir à réduire cette activité, tout le personnel médical a déjà été formé pour conseiller et informer les patients, a-t-il précisé. Mais, “malgré tout, on sera obligé de recruter du personnel, le service ne peut pas s’arrêter si on veut offrir une meilleure prise en charge”, a-t-il ajouté, craignant que le nombre d’indigents, estimé à 20 pour cent des patients de Nylon, n’augmente et pèse sur la capacité de l’établissement à faire face aux besoins. Or, pour le Groupe technique provincial, GTP, la représentation du Conseil national de lutte contre le sida (CNLS) à Douala, la prise en charge psychosociale n’est pas un travail pour les infirmiers et les médecins. “Il faudrait qu’il y ait un programme national pour former des assistants sociaux”, a expliqué l’un des responsables, une initiative qui n’est pas envisagée par le plan stratégique 2006-2010, qui devrait être rendu public dans les prochains jours. Pour Flavien Ndonko, qui a participé à l’organisation des personnes séropositives en associations puis en réseau début 2000, il est désormais nécessaire de “revoir tout le système”. “Les associations auraient dû être prêtes avant l’arrivée des ARV, mais les traitements sont arrivés avant qu’elles ne soient préparées… Résultat, ça n’a pas marché.” Selon lui, de nombreuses résistances apparaissent par manque d’information du personnel soignant comme des personnes séropositives. “A Yaoundé, nous avons déjà noté un taux de résistance aux ARV de 18 pour cent depuis le début de ce programme”, a-t-il expliqué. L’apparition de résistances aux traitements actuels exige de faire appel à d’autres protocoles thérapeutiques, des médicaments dits ‘de deuxième ligne’, plus chers et parfois encore plus difficiles à supporter pour les patients. “Le malade a besoin d’être écouté et suivi, ce n’est pas seulement une personne qui prend des médicaments”, a précisé Jean-Marie Talom, qui préside le Réseau éthique, droit et sida (Reds) à Yaoundé. “Il a besoin de plus, et si on le lui donnait, tout ça n’arriverait pas.” Et pour Gisèle, une jeune étudiante séropositive qui dirige le Cercle des jeunes engagés contre le sida, Cejes, une association d’une centaine de membres qui ne reçoit aucune aide depuis sa création en 2002, le problème est urgent. “Le problème est crucial : le jeune a besoin d’être aidé et soutenu. Là, quand on lui dit qu’il est séropositif, il part au quartier, il s’asseoit et il ne sait plus quoi faire”, a-t-elle expliqué. “Lors des campagnes de dépistage à l’université, il n’y a pas de councelling, pas d’accompagnement, on a aucun soutien, il n’y a pas de financement pour les associations.” L’organisation Care International tente de répondre à ces nouveaux défis dans le cadre d’un programme de 6,3 millions de dollars, accordé en mars 2005 par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme pour mobiliser la société civile. “L’enjeu pour la société civile est essentiel : il faut injecter des savoir-faires et créer des liens entre les médecins et les associations pour que les personnes vivant avec le VIH ne soient pas isolées. Il faut enclencher les choses et, pour cela, que les ONG acquièrent des compétences sociales”, a commenté Anne Perrot, gestionnaire de ce programme pour Care à Yaoundé. “Si on veut réduire la discrimination, il faut que les gens soient convaincus qu’une réelle prise en charge existe, qu’on est en train de combler les vides”.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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