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Entre crimes et corruption, la crise politique se prolonge

Moussa Tanoh importait deux conteneurs de nouvelles pièces détachées de voiture tous les mois, mais en 2004, il n’en a importé que deux, alors que la crise politique se prolonge plongeant le pays dans une grave crise économique.

"Les nouvelles pièces ne se vendent plus", déplore Tanoh, en se frottant les paupières après une petite sieste dans son magasin de pièces détachées. "Les gens vont au marché noir pour acheter des pièces d’occasion ou des pièces volées".

Selon Tanoh, la forte demande de pièces bon marché encourage le vol de voitures et le racket minent son commerce.

"Les journaux indiquent qu’il y a eu 27 vols de voiture ce week-end, rien qu’à Abidjan. Les voitures seront ensuite démontées et leurs pièces revendues", se plaint-il.

"J’ai un seul employé et si la situation devait intenable, je serai obligé de le licencier. Mais ça me fait de la peine de penser cette solution", ajoute Tanoh en soupirant.

Depuis l’échec de la tentative de coup d’état en septembre 2002, la Côte d’Ivoire est coupée en deux et le pays est plongé dans une grave crise économique et politique. Des entreprises ferment chaque jour, des employés sont licenciés et de plus en plus de gens gagnent difficilement leur vie. Et pour certains, cette crise économique est la plus grave que la Côte d’Ivoire a connue depuis son indépendance en 1960.

Au printemps 2003, un gouvernement de réconciliation nationale a été mis en place, mais ses 41 ministres n’ont aucun pouvoir réel. La région Nord de la Côte d’Ivoire est toujours tenue par la rébellion, tandis que le gouvernement contrôle le sud où se trouvent les principales villes portuaires et la plupart des entreprises, mais où seuls quelques proches collaborateurs du président Laurent Gbagbo détiennent le réel pouvoir, confient certains diplomates.

Ironisant sur la situation de ni paix ni guerre qui prévaut dans leur pays, de nombreux ivoiriens pensent qu’elle profite avant tout aux politiciens, aux militaires et aux responsables de la rébellion qui se font construire de somptueuses villas et conduisent de belles limousines.

Des emplois qui se font de plus en plus rares

Les temps sont durs pour l’Ivoirien moyen. La crise actuelle, avec ses flambées de violence sporadiques, affecte gravement l’économie formelle du pays et accroît le chômage.

En d’année 2004, le ministre de l’Economie et des Finances, Paul Bohoun Bouabre, annonçait que les chiffres de la croissance en Côte d’ivoire, premier pays producteur de cacao, seraient proches de zéro en 2004 ou ne dépasseraient pas 0,9 pour cent, dans le meilleur des cas. Mais le ministre estime que si la situation politique se normalise, elle donnera deux points de plus à la croissance.

Une telle éventualité est toutefois difficilement envisageable actuellement, puisque les médiateurs internationaux ne sont pas encore parvenus à sortir le pays de l’impasse politique.

La reprise des hostilités en novembre dernier, arrêtées grâce à l’intervention rapide de forces françaises de Licorne, a donné lieu à des exactions contre les ressortissants français dans la capitale Abidjan et les nombreux pillages ont entraîné la fermeture de plus de 150 PME et le départ de quelque 9000 étrangers, des ressortissants français pour la plupart.
[Cote d'Ivoire] A Dutch family who fled mob violence in Abidjan land in Dakar. November 2004.
De nombreux étrangers ont fui pendant les émeutes de novembre


Quelque 30 000 emplois ont été perdus en l’espace d’une semaine, a indiqué la Chambre de commerce de Côte d’Ivoire dont le président, Jean-Louis Billon, laissait entendre que l’économie du pays est "au bord de la faillite".

Avant les incidents de novembre dernier, les chiffres de l’économie ivoirienne n’étaient déjà pas encourageants. Selon les statistiques officielles fournies par la caisse de sécurité sociale (CNPS), les 41 000 entreprises recensées n’emploient que 478 000 personnes sur les 18 millions d’habitants que compte la Côte d’Ivoire.

Près de 64 pour cent de la population a moins de 24 ans et de nombreux jeunes sont au chômage, ont confié à IRIN certains économistes. Ces jeunes, pour la plupart, se lancent dans le petit commerce de rue, sont payés à la pièce ou travaillent comme manœuvres.

Et avec le départ des expatriés et l’absence de touristes, les hôtels et restaurants sont en grande difficulté, indique le patronat ivoirien. Les secteurs de l’automobile, de l’assurance et du bâtiment sont aussi sinistrés.

La corruption et le «harcèlement fiscal» sont les effets immédiats les plus graves de la crise, estiment les employeurs. Dans le contexte actuel, même le patronat encourage les entreprises encore en activité à exploiter les opportunités du secteur informel.

L’évasion fiscale : une pratique en hausse

Pour ce gérant d’hôtel né en Côte d’Ivoire, l’évasion fiscale est pour lui la seule solution pour maintenir encore son activité.

"J4essaie de survir", reconnaît-il. "J’ai longtemps hésité, parce que je déteste cela, mais en définitive c’est la seule solution si je veux continuer à faire fonctionner mon hôtel".

Il a décidé de remplacer l’adresse de son domicile par celle de son hôtel, puis à croire aux inspecteurs des impôts qu’il vivait désormais à l’hôtel. Quant à ses 16 employés, il va devoir commencer à verser leur salaire sans les déclarer.

Il n’y pas que les petites entreprises qui s’adonnent à la fraude fiscale. Sous le couvert de l’anonymat, un ressortissant libanais a expliqué comment sa société, qui brasse de millions de dollars, est parvenue à déjouer le fisc.

"Ma société devait payer 2 millions de dollars d’impôts", explique-t-il. "Nous avons pu éviter cela en versant 160 000 dollars aux inspecteurs des impôts. Je suis convaincu que notre directeur financier a empoché au passage une belle somme d’argent pendant les négociations. Au final, nous avons économisé 1 840 000 dollars".

Même si ces pratiques étaient déjà très répandues avant 2002, la partition de la Côte d’Ivoire a été un élément accélérateur, explique un expert financier.

"C’est que ça devient pire. Or, il a une différence entre le Nord et le sud, c’est-à-dire que les proportions ne sont pas les mêmes", ajoute-t-il, sous le couvert de l’anonymat.

L’Etat ne perçoit aucun impôt de la région Nord où les rebelles prélèvent des taxes.

"Le Nord n'est plus un marché régi par des lois ; les pillages sont légion, la non facturation des prestations est la règle et il n'y a aucune possibilité de contrôle ni de levées de taxes et d'impôts", indique le dernier rapport du CNPI.

Des exportations à l’intérieur d’un pays ?

Le coton est essentiellement cultivé dans le Nord, mais les professionnels du secteur reconnaissent que plus de la moitié des 400 000 tonnes de coton produites l’année dernière a été vendue illégalement aux pays voisins.

"Selon nos estimations, 220 000 tonnes sont parties au Mali et au Burkina Faso et nous pensons que ce sera pareil avec cette campagne", indique Nicolas N'Guetta, secrétaire général de la commission nationale du coton. "C’est un désastre pour la filière".

Avant la guerre, les producteurs de coton vendaient directement leurs récoles aux usines d’égrenage du Nord. Mais l’économie de guerre et l’absence des banques dans le Nord ont fait apparaître de nouveaux intermédiaires qui achètent le coton aux paysans à 120 FCFA (24 cents) le kilo et le revendent à 220 FCFA (44 cents) au Mali ou au Burkina Faso.

Les sociétés de transport basées dans le sud tentent de survivre depuis qu’elles ont perdu des marchés au profit de concurrents installés dans des villes rebelles comme Bouaké et Korhogo.

"On transportait toujours le coton au port d’Abidjan, mais maintenant que la plupart de la production de coton disparaît dans le Nord, ma société est au bord de la faillite" explique l’employé d’une société de transport française basée à Abidjan. "La campagne cotonnière était toujours la plus importante pour nous. Regardez maintenant ; on a quarante camions et seuls deux sont sur la route".
[Cote d'Ivoire] Fresh cocoa in Cote d'Ivoire.
Des fèves de cacao : La Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial de cacao


Les importations illégales portent aussi préjudice à l’industrie locale. Le sucre bon marché importé d’Asie et qui entre en Côte d’Ivoire par le Burkina Faso, mine la production locale, expliquent certains experts.

Selon un rapport du CNPI, la Société ivoirienne de raffinerie (SIR) a perdu 100 000 tonnes de sa part annuelle du marché du raffinage du pétrole dans le Nord de la Côte d’Ivoire au profit de fournisseurs maliens et burkinabés.

Mais il n’y a pas que les entreprises publiques qui souffrent de la crise. Dans la ville de Man, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, des milliers de tonnes de nouvelles graines de café attendent l’autorisation des Forces rebelles pour être transférées vers le sud.

Et la situation ne semble pas s’améliorer de si tôt, puisque les rebelles du nord renforcent leur contrôle sur les «exportations» de produits vers la région sud tenue par les forces gouvernementales. Selon eux, les taxes que l’Etat perçoit sur ces produits sont utilisées par les autorités pour acheter des armes et prolonger la guerre. En janvier, les rebelles ont interdit tout transport de coton vers le sud.




This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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