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Un salaire de misère pour les jeunes filles de ménage tchadiennes

Les jeunes filles de ménage tout juste arrivées de leurs villages sont repérables à leurs vêtements élimés, leur coiffure mal soignée et leur air effarouché devant les voitures qui vont et viennent dans les rues de la capitale N’djamena.

Les adolescentes des campagnes reculées du Tchad sont de plus en plus nombreuses à quitter leurs villages pour la capitale N’djamena où elles deviennent filles de ménage. Cette forme d’exploitation de la main d’œuvre infantile passe inaperçue puisqu’elle a lieu au domicile de particuliers.

"Elles ont entre 8 et 15 ans et perçoivent des salaires de misère", explique Félicien Ntakiyimana, chargé de la protection de l’enfant au Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) au Tchad.

Aux premières lueurs du jour, et par groupe de 10 ou de 20 filles, les jeunes domestiques arpentent les artères principales de N’djamena, les avenues Charles de Gaulle et Mobutu. Elles se rendent chez leur employeur dont le domicile est bien souvent à une dizaine de kilomètres de leur lieu d’habitation.

Ces jeunes filles, les Tchadiens les appellent "bey" ; une déformation du terme "boy" employé à l’époque coloniale pour désigner un employé de maison.

Dans ce grand pays désertique d’Afrique centrale qui compte plus de huit millions d’habitants, ces jeunes filles qui arrivent de leur campagne à la recherche d’un emploi sont généralement âgées de 12 à 15 ans et représentent des proies faciles pour d’impitoyables employeurs.

"Les conditions de travail sont très dures. Elles travaillent toute la journée et sont souvent maltraitées", ajoute Ntakiyimana.

Marcelline Dande a 13 ans. Fille unique d’une famille de neuf enfants, elle explique comment en janvier 2004 elle a quitté Peni, un village du sud, pour se rendre à N’djamena dans l’espoir de vivre chez sa tante.

Au bout d’une semaine, sa tante lui a demandé de retourner dans son village situé dans le sud du Tchad où vivent de nombreuses populations chrétiennes et animistes et où certaines pratiques modernes se heurtent aux coutumes locales. Et sa tante mécontente ne pouvait laisser la jeune Marcelline, fille unique de ses parents, livrée à elle-même dans la capitale.

Marcelline quitta le domicile de sa tante, mais refusa de rentrer au village.

"J’ai rejoint un groupe de jeunes filles originaires de Man-Gueri, un village proche de Peni. Elles m’ont aidé à trouver un emploi chez un commerçant musulman et, depuis, je n’ai plus revu ma tante", explique-t-elle.

Marcelline et les sept jeunes filles vivant avec elle se lèvent très tôt le main. Après une toilette sommaire, elles se rendent au travail.

Elles partagent une petite chambre de trois mètres sur deux et dorment sur un matelas posé à même le sol. Pour cette modeste chambre, les jeunes filles paient un loyer mensuel de 3000 FCFA (6 dollars).

Elles n’ont pas droit au petit déjeuner. Leur seul repas de la journée, elles le prennent vers 15 h chez leur employeur : un bol de riz ou des galettes de mil.

"Je fais la vaisselle et la lessive, nettoie les chambres, balaie la court, lave les enfants, prépare le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner. Je finis entre 17h et 18h et rentre chez moi le soir vers 20h, très fatiguée", explique Marcelline.

Ces conditions de travail qui s’apparentent à une forme d’esclavage ont plusieurs fois été critiquées par des organisations comme l’UNICEF et l’organisation internationale du travail (OIT).

L’OIT reconnaît que près d’un tiers des 48 millions d’enfants âgés de moins de 14 ans et vivant en Afrique sub-saharienne sont utilisés comme main d’œuvre.

Pourquoi donc Marcelline et les autres jeunes filles ont-elle quitté leur village ?

Nous travaillons pour préparer notre mariage

"Toutes les filles de mon âge veulent se rendre en ville pour acheter ce dont elles auront besoin pour leur mariage", explique-t-elle.

"Ce serait dommage de ne pas quitter le village avant de se marier. En ville vous avez la possibilité d’apprendre à parler l’arabe qu’on considère comme une langue étrangère dans nos villages où l’on parle Sara".

A N’djamena, les magasins offrent un plus grand choix de vêtements modernes en coton et en fibres naturelles, comparés aux vieilleries en nylon ou en fibres synthétiques qu’on nous propose dans les zones rurales. En ville, on peut s’acheter de belles chaussures, des marmites en aluminium, des foulards, des boucles d’oreille et des "djalay djalay", ces perles que les femmes portent aux hanches pour séduire leurs époux.

A 15 ans, Sarah Kondede est déjà mariée. Elle a quitté Dononmanga, son village, et son mari pour travailler quelques temps à N'djamena et se faire un peu d’argent. Elle vit dans le quartier de Boutha Al Bagaar, loin du centre ville et travaille chez le boucher Khalil Djallabi.

Chez son employeur, elle fait la vaisselle, balaie la cour, coupe du bois, prépare le thé et la soupe, fait des courses et accompagne les enfants à l’école. "Je n’arrête pas" se plaint-elle. "Dès que la femme du patron constate que j’ai terminé une tâche, elle m’en confie aussitôt une autre".

"Et puis elle m’insulte lorsque je mets du temps à accomplir une tâche".

Bien que la charge de travail et les horaires d’une fille de ménage soient plus ou moins identiques d’un employeur à un autre, les salaires et les conditions de travail sont radicalement différents.

Le harcèlement sexuel pose un problème sérieux, explique Juliette Tore.

"Un jour, alors que je n’étais pas payée depuis trois mois, je nettoyais la chambre. Le maître de maison est entré dans la pièce, m’a regardée et m’a touché les fesses. Puis il m’a demandé si sa femme rentrait tard. Je lui ai répondu que je n’en savais rien".

"Il m’a alors saisie par la taille puis m’a jeté dans le lit. Je me suis débattue et lui ai mis un doigt dans l’œil. Il m’a tordu le bras, m’a battue et m’a renvoyée sans me payer mon salaire. Cela s’est passé deux jours avant la fin du mois", explique la jeune fille, originaire du village de Bekessi.

Pour un salaire de misère

Les autres filles, instruites pour la plupart, sont accusées de vol ou de tentative d’empoisonnement sur leurs employeurs et sont renvoyées.

"Ce ne sont que des prétextes pour nous renvoyer sans nous payer nos salaires", explique Kondede.

Et les salaires de ces domestiques sont parmi les plus bas du pays.

Selon l’indicateur de développement humain 2004 de l’ONU, le Tchad se classe au 11e rang des pays les plus pauvres au monde et deux habitants sur trois vivent en dessous du seuil de pauvreté.

D’après Ntakiyimana, le salaire moyen de ces jeunes filles varie entre 5 000 et 15 000 FCFA francs (10 et 30 dollars). Et lorsqu’il arrive qu’on retire de ce salaire le prix d’un verre ou d’une assiette cassée, les pénalités de retard, "le montant net à gagner est parfois de 6 000 ou 7 000 FCFA", indique Kondede.

L’employeur d’une de ces jeunes domestiques nie tous les reproches qui lui sont faits, indiquant que les filles doivent s’estimer heureuses de pouvoir travailler auprès de grandes familles de N'djamena.

"Si ces domestiques acceptent sans discuter le salaire qui leur est proposé, que peut-on faire d’autre en tant qu’employeur", s’interroge Younous Abba qui vit dans une rue commerçante de N’djaména.

"Elles ne savent même pas laver ou repasser des vêtements. Ce sont de vraies paysannes. Nous les aidons en les faisant travailler chez nous", ajoute-t-il.

Selon une responsable de l’association des femmes de ménage tchadiennes, la faute incombe à l’inspection du travail qui ne vérifie pas les salaires et les contrats de travail de ces domestiques.

"Les autorités ne protègent pas les femmes de ménage", explique Kaguere Hamit.

"Rien n’est contrôlé dans ce pays, même pas les contrats de travail. Le salaire mensuel minimum est de 28 500 FCFA (57 dollars). Comment peut-on payer 10 000 ou 15 000 FCFA (20 à 30 dollars) à une domestique ?"

Le gouvernement tchadien a ratifié la convention relative au travail des enfants qui vise à interdire l’exploitation des enfants. Selon les autorités, un comité interministériel travaille actuellement sur un texte de loi pour protéger ces jeunes domestiques.

L’appât du gain dans les grandes villes expose de nombreuses jeunes filles aux maladies sexuellement transmissibles.

"De nombreuses personnes pensent que les jeunes filles sont encore très saines, parce qu’elles viennent directement du village et qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des préservatifs", explique Diponbe Paybe, journaliste à la revue hebdomadaire Le Temps.

Et, de plus en plus souvent, des hommes viennent dans les bars de la capitale à la recherche de ces jeunes filles saines.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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