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Séparées par la guerrre, les familles choisissent de garder le silence

La guerre civile en Côte d’Ivoire a séparé Ibemi Ouattara de sa famille et l’a contraint à s’installer à Bondoukou, une ville contrôlée par les forces gouvernementales. Ses enfants sont restés à Bouna, une ville située au nord-est en territoire rebelle. La dernière fois qu’elle est retournée voir ses filles à Bouna, elle a été arrêtée et emprisonnée par les forces rebelles qui l’accusaient d’espionnage. Aujourd’hui, Ibemi a trop peur de retourner à Bouna.

L’hôpital de Bouna où Ibemi travaillait comme infirmière a été fermé lorsque la guerre civile a éclaté en Côte d’Ivoire en septembre 2002 et coupé le pays en deux.

Ne pouvant rester sans travail, elle a demandé à être affectée dans l’hôpital le plus proche de la ligne de front, en territoire contrôlé par les forces gouvernementales. C’était l’hôpital de Bondoukou, à 150 km au sud de la ligne de front.

“Je me suis installée à Bondoukou quelques temps après le début de la guerre” explique-t-elle. “Mais je revenais souvent voir ma famille à Bouna où vivent mes trois filles et mes sept petits enfants”, précise-t-elle, d’un air enjoué.

Mais son visage devient grave et sa voix plus forte lorsque Ibemi évoque ce week-end où, alors qu’elle se trouvait à Bouna avec sa petite famille, des rebelles des Forces nouvelles sont venus la chercher et l’ont arrêtée.

“Un jour, à cinq heures du matin, ils m’ont arrêtée, prétextant que j’étais une espionne, et m’ont envoyée en prison", se souvient-elle. “J’y suis restée trois mois et six jours. En prison, c’est ma famille m’apportait à manger. Il n’y avait pas de lit. Je dormais sur une natte à même le sol”, raconte indignée la dame de 65 ans.

“Ils étaient à la fois mes ravisseurs et mes juges,” ajoute-t-elle, en parlant des rebelles. “Ils m’ont libérée de prison le jour où mes filles sont intervenues auprès des soldats ghanéens qui ont envoyé une voiture me chercher”.

Un détachement de soldats ghanéens est présent à Bouna. Il fait partie des 6000 hommes des forces de maintien de la paix de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Un autre détachement est posté aux deux points de contrôle installés sur le tronçon de route de 50 km qui traverse la zone tampon séparant les forces belligérantes.

Plus de prise de risque

En transport en commun, Ibemi traversait souvent les points de contrôle des forces gouvernementales et rebelles où les éléments des deux forces belligérantes extorquaient de l’argent aux passagers ou percevaient des droits de passage. Mais depuis son emprisonnement en 2003, Ibemi n’ose plus retourner à Bouna, contrainte de rester chez une amie de la famille à Bondoukou.

Pourtant, de l’autre côté de la ligne de front, à Bouna, une petite ville de 40 000 habitants, il est très facile de se rendre chez Ibemi. Le lieutenant Ibrahim Ben, le responsable local des Forces nouvelles, tient néanmoins à nous faire accompagner par un de ses hommes.


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Bouna se situe dans le nord-est de la zone sous contrôle des rebelles. Bondoukou se trouve à 150 km au sud de la ligne de démarcation et en territoire sous contrôle des forces gouvernementales


Pour Ben, la guerre n’a pas séparé les familles.

“Elles ont choisi de partir”, lance-t-il, en se calant dans son fauteuil. “Tous les gens peuvent aller et venir librement”.

Ben a choisi Camara pour nous escorter jusqu’au domicile d’Ibemi. Camara était fonctionnaire à la mairie de Bouna lorsque la guerre civile a éclaté et, plutôt que de se réfugier au sud, comme la plupart de ses collègues, il a choisi de rester à Bouna et de rejoindre la rébellion. Camara dispose d’une moto, ce qui implique qu’il doit être une personnalité importante dans la hiérarchie locale des Forces nouvelles.

Le bâtiment d’un étage où vivait Ibemi est construit autour d’une grande cour où ses filles préparent les pains d’igname pillée du repas et ses petits enfants jouent ou participent aux travaux ménagers.

Camara rencontre l’oncle d’Ibemi au portail de la maison et échange quelques politesses avec le vieil homme.

Avant la fin des présentations, le vieil homme s’excuse de devoir partir pour la prière du midi, intimant l’ordre aux enfants de rentrer à la maison. Camara retourne alors vers sa moto, un peu surpris.

“Je ne comprends pas pourquoi le vieil homme ne veut pas vous parler" lance Camara en riant, avant de disparaître avec sa moto dans un nuage de poussière.

Toute critique est interdite devant les rebelles

A Bouna, les discussions tournent généralement autour de problèmes de la vie courante lorsque le rebelles sont là.

Les habitants expliquent que la plupart du temps il n’y a ni électricité ni eau et les systèmes scolaires et sanitaires ne fonctionnent plus. Tous admettent que la vie est bien difficile à Bouna, mais personne n’osent désigner directement les responsables de la situation.

Bouna est à plus de 500 km au nord de la capitale économique Abidjan et à 60 km derrière les lignes rebelles. Isolés, du fait de l’éloignement de la ville, sans téléphone ni journaux, les habitants de Bouna se sentent particulièrement vulnérables.

Les rares confidences ou critiques formulées çà et là sont faites sous le couvert de l’anonymat ou bien loin des oreilles des forces rebelles ou de leurs indicateurs.

“Nous ne pouvons pas parler librement, nous devons les respecter”, confie un habitant de Bouna. “Lorsque vous les critiquez, ils vous considèrent comme un opposant et vous mettent en prison.”

“De nombreuses personnes sont emprisonnées, et si elles ne peuvent pas payer les sommes que les rebelles exigent pour leur libération, ils ne les relâchent pas”, ajoute un autre habitant.

D’après le témoignage des certains habitants de Bouna, des personnes ont été battues et torturées en prison.

“Nous le savons parce que cela est arrivé à l’un d’entre nous”, explique un jeune homme élégamment vêtu. Les autres membres du groupe, dont certains portaient le boubou traditionnel musulman, ont opiné de la tête et marmonné quelques mots pour marquer leur approbation, sans pour autant révéler le nom de celui qui a été torturé parmi eux.

Si certains éléments des forces rebelles présents à Bouna sont originaires d’autres villes du Nord, la majorité des combattants est née et a grandi ici.

“Lorsque vous apprenez que votre voisin est un rebelle, vous avez toutes les raisons de vous méfiez de lui ? Et même si la guerre s’arrêtait demain, il restera toujours suspect, car comment savoir s’il ne cache pas ses armes”, s’interroge le plus âgé du groupe.

La plupart des personnes qui ont quitté Bouna ont fui au tout début de la guerre.

Kouassi Kossonou, qui se présente comme étant le président des déplacés, tient une liste de 195 familles installées à Bondoukou.

“Et les nombreuses autres familles qui ont été hébergées par des parents et des amis, je suis certain qu’elles ne figurent pas sur cette liste” précise-t-il.

Pour ne citer que quelques exemples, on retrouve sur cette liste des enseignants, des étudiants, des commerçants, des vétérinaires, des médecins, des blanchisseurs.

Certaines familles de rebelles vivent de part et d’autre de la ligne de front

Certains rebelles ont des parents qui vivent dans la zone sous contrôle des forces gouvernementales. C’est le cas du Major Ouattara Morou, le chef des Forces rebelles à Bouna, dont la mère est installée à Bondoukou.

“Nous veillons à ce que personne n’exerce des représailles contre elle”, a indiqué un soldat ghanéen des forces de maintien de la paix.

La mère de Morou a joué un rôle important lorsque les soldats ghanéens menaient une mission de médiation entre le commandant des forces rebelles et celui des forces armées gouvernementales.

“Il n’y a pas si longtemps, nous avons été confrontés à un problème. Nous lui avons demandé de contacter directement son fils par téléphone et avons trouvé une solution immédiatement” explique le soldat ghanéen.

De nombreux habitants de Bondoukou sont originaires de Bouna, mais ont choisi de s’installer dans la zone contrôlée par des forces gouvernementales parce qu’ils y ont de la famille.

“J’ai eu beaucoup de chance. Ma sœur aînée est veuve et vit à Bondoukou. Comme tous ses enfants sont adultes maintenant, elle disposait de suffisamment d’espace chez elle pour m’héberger avec ma femme et nos quatre enfants”, a indiqué Cisse Amara.

[Cote d'Ivoire] Cisse Amara and with his neice (back right) and two of his youngest children. They moved to Bondoukou from Bouna when rebels took control of the town. Cisse has a transport company.
Cissé Amara posant avec sa nièce (à gauche) et deux de ses enfants
“J’ai quitté Bouna le 21 novembre 2002. La vie y était devenue très pénible. Depuis qu’ils ont pris la ville, début octobre, les rebelles étaient partout. Ils tiraient à tout bout de champ et prenaient tout ce qu’ils voulaient” explique Cissé Amara.

Amara avait une entreprise de 25 bus qui sillonnaient tout le pays. Aujourd’hui, il ne lui reste plus qu’un seul bus en service. Les rebelles ont pris la plupart de ses cars de transport, les autres sont en panne et il n’a pas les moyens de les faire réparer.

La grande maison qu’il a abandonnée à Bouna a été réquisitionnée par les forces rebelles, alors que la deuxième maison qu’il possède à Bondoukou et qu’il avait mis en location est pratiquement vide.

“Il n’y a plus rien ici”, lance-t-il, en montrant une porte ouverte. “Ma sœur m’a tout prêté, puisque mes meubles sont restés à Bouna.”

“Lorsque nous sommes partis, nous n’avions pris que ce que nous pouvions emporter avec nous. En fait, je pensais que nous resterions ici juste le temps que les choses se calment” indique t-il.

“Ceux qui n’ont pu quitter Bouna sont restés parce qu’ils n’avaient pas le choix”.

Pour les officiers ghanéens basés dans la région et qui connaissent bien les populations vivant de part et d’autre de la zone de confiance, tous ceux qui n’avaient rien à perdre ont quitté Bouna depuis longtemps.

“La plupart des personnes qui sont restées à Bouna sont des paysans qui pratiquent une agriculture de subsistance", indique un officier supérieur. "Ils n’ont rien qui puissent intéresser les rebelles et n’ont de toutes façons aucun moyen de subsistance”.







This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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