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Le dilemme du financement

The Alhelis camp in Benghazi for displaced people from the town of Tawergha, many of whom fought alongside Muammar Qaddafi in Libya’s 2011 civil war and are now persecuted by the rebel brigades. November 2011 Heba Aly/IRIN
Selon les donateurs, les travailleurs humanitaires et les responsables gouvernementaux, les besoins humanitaires résiduels ne sont pas entièrement financés parce qu’il règne une certaine confusion sur la disponibilité des avoirs libyens dégelés.

Les donateurs ont hésité à verser plus d’argent, en sachant que le gouvernement libyen a accès à des millions de dollars de fonds dégelés. Mais les Libyens disent que cet argent n’est pas encore parvenu jusqu’à eux, ce qui fait que les activités vitales comme le déminage se trouvent prises entre deux feux.

« L’argent libyen n’est pas encore liquide et utilisable. Les donateurs ne veulent plus donner. Allons-nous attendre trois mois pour faire face à ces urgences ? » a demandé Georg Charpentier, coordonnateur humanitaire des Nations Unies, au cours d’une réunion de responsables d’agences à Tripoli en novembre.

« Le résultat, c’est que des enfants perdent leurs bras en ramassant des munitions non explosées à Syrte, Bani Walid ou autre part, parce que nous ne pouvons pas accélérer les opérations [de déminage], » a t-il dit à IRIN au cours d’un entretien.

Les Nations Unies ont encore besoin de quelque 60 millions de dollars pour faire face aux besoins ciblés aigus pour le reste de l’année, notamment le déminage dans les villes où reviennent les personnes déplacées, le rapatriement des migrants qui ont subi des menaces, l’aide, problématique, aux groupes de Libyens déplacés, comme la minorité tawergha et l’assistance aux déplacés et aux personnes retournées dans la ville de Syrte qui ont connu certains des pires affrontements.

Les agences humanitaires ont lancé un appel pour obtenir un total de 334 millions de dollars depuis mars, où un soulèvement populaire pour la démise du leader libyen Mouanmar Kadahfi s’est transformé en guerre civile. Les contributions ou les promesses représentent 82 pour cent de cette somme.

Mais les bailleurs de fonds professionnels, c’est-à-dire le Service d’Aide Humanitaire de la Commission européenne (ECHO), le Département pour le développement international (DfiD) du gouvernement britannique et l’Agence américaine pour le développement international (USAID), ont été très réticents à payer les 18 pour cent restants, disant que c’était aux autres donateurs de se charger de la différence.

« Nous commençons à nous essouffler, » a dit l’un des bailleurs de fonds traditionnels, qui voit cette opération comme une « aventure » complexe et inhabituelle, qui a laissé beaucoup de donateurs en suspens, en train de se demander si les avoirs libyens dégelés allaient se matérialiser et à quelle date.

« Pour nous, c’est vraiment difficile de décider de soutenir des activités humanitaires d’urgence, alors que tant d’argent attend tout simplement d’être alloué et ne l’est pas pour des raisons politiques, a dit à IRIN Bruno Rotival, responsable du bureau libyen d’ECHO.

Dégel des avoirs

Fin août, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils allaient débloquer 1,5 milliard de dollars d’avoirs – ayant appartenu à Kadhafi et gelés à cause des sanctions – au Conseil national de transition (NTC). Sur cette somme, 500 millions de dollars étaient réservés à l’aide humanitaire. Le premier paiement devait être de 100 millions.

Les donateurs sont partis de ce principe et les agences ont planifié leurs programmes en conséquence.

Mais l’argent n’est jamais arrivé.
 
Selon Sarah Marshall, directrice programme adjointe pour la Libye, le Service de lutte anti-mines des Nations Unies (UNMAS) avait ainsi reçu la promesse de 21,6 millions de dollars pour se débarrasser des munitions non explosées, des mines et des dépôts d’armes non sécurisés.

En fait, UNMAS a été obligé de demander un prêt au Fonds central de réponse d’urgence des Nations Unies (CERF) pour pouvoir continuer ses opérations. Il peut à peine payer le salaire de son personnel et a dû choisir entre nettoyer les zones résidentielles dans une ville contaminée plutôt que dans une autre, parce qu’il ne pouvait pas se permettre de faire les deux.

Pour UNMAS, les opérations de déminage durant les six prochains mois nécessitent 25,6 millions de dollars. Les opérations devront cesser en février si le financement n’est pas assuré, a dit Mme Marshall.

« Les donateurs considèrent que ceci est un problème concernant la Libye, qui doit être financé par les Libyens, » a t-elle dit à IRIN. « Mais plus on laisse [ces restes dangereux], plus il y a de pillage, plus ces engins deviennent instables et plus il y aura d’accidents. Si nous n’agissons pas rapidement dans les villes concernées, il y aura encore des morts. »

L’argent est-il disponible ?

Les avis divergent sur la question de savoir pourquoi l’argent n’est pas arrivé. Pour certains, le gouvernement libyen n’a tout simplement pas la capacité de décaisser rapidement les fonds qu’il reçoit.

Georg Charpentier, left, the UN Resident/Humanitarian Coordinator and Deputy Special Representative of the Secretary General in Libya, sits next to Khaled Ben-Ali, head of the Libyan Humanitarian Relief Agency, or LibAid, at a joint coordination meeting i
Photo: Heba Aly/IRIN
Georg Charpentier, coordonnateur humanitaire des Nations Unies, à gauche, avec Khaled Ben-Ali, directeur de LibAid
« Les structures existantes n e permettent pas de tout simplement tourner la clef et de redémarrer, » a dit à IRIN Emmanuel Gignac, directeur de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Libye.
 
D’autres disent que le NTC ne voulait pas prendre de décision concernant le financement, tant que le nouveau gouvernement n’était pas en place.

« C’était un problème politique pour le gouvernement libyen. Personne ne voulait prendre la décision d’allouer de grosses sommes s’argent, sans avoir le mandat adéquat, » a indiqué M. Rotival d’ECHO.

Mais le gouvernement affirme qu’il n’a pas reçu une grande partie de l’argent.
« Des chiffres ont été annoncés concernant les flux d’argent vers la Libye et les avoirs dégelés, mais malheureusement, nous ne les avons pas reçus, » a dit Abdul Hafiz Ghoga, vice-président du NTC, à une conférence de presse en novembre.

Il a jouté que le gouvernement libyen était « bien conscient » que l’aide humanitaire internationale ne durerait pas éternellement.

« Quand nous serons en mesure d’obtenir nos avoirs gelés et nos propres ressources, nous serons capable de gérer ce problème par nous-mêmes. »

Confusion

L’Agence libyenne des secours et de l’aide humanitaire, LibAid, n’a reçu que 10 millions de dollars du NTC depuis le début du conflit, selon son directeur Khaled Ben-Ali.

Selon lui, le manque de fonds est le défi majeur auquel l’Agence doit répondre.
« Si je demande 20 millions, j’en reçois en général trois, avec un peu de retard, » a t-il dit à IRIN. « Tout récemment, je leur ai demandé un financement d’urgence et ils m’ont dit : ‘Crois-moi, nous n’avons pas tant que ça à donner’. »

Toutefois, certains travailleurs humanitaires sont sceptiques. Comme l’indique un haut responsable de l’ONU, « la question, c’est plutôt : le gouvernement a t-il pris la décision de financer ou non les activités humanitaires ?

« Les Libyens ont accès aux avoirs dégelés, » a continué ce responsable. « Ils ont payé les salaires, ils ont envoyé des gens faire le Hajj [pèlerinage à la Mecque]. S’ils le voulaient, ils pourraient financer ces besoins qui ne sont pas couverts. C’est une question de priorités.
« Vingt millions de dollars [pour le déminage], ce n’est rien. Combien de jours de production pétrolière est-ce que ça fait ? »

En septembre, les agences humanitaires ont présenté leurs plans à Mazin Ramadan, directeur du Mécanisme de financement provisoire (TFM) mis en place pour pouvoir organiser l’encaissement des avoirs gelés, mais ce dernier n’a pas accepté beaucoup de demandes.

« Certaines propositions n’étaient que du vent, » a dit M. Ramadan à IRIN. « Il y avait beaucoup de doublons. »

Quand on lui a demandé si le travail humanitaire était une priorité pour le gouvernement, il a répondu : « Nous ne sommes pas face à la crise que tout le monde avait prédite. » Malgré tout, certains besoins sont manifestement légitimes, a t-il reconnu. Les 21,6 millions de dollars qu’il a alloués au secteur du déminage dépassent la somme demandée et il a fait pression sur le gouvernement pour les obtenir.

Mais contrairement à ce que pensent la plupart des gens, tout l’argent donné au NTC n’est pas passé par le TFM, surtout après la chute de Tripoli. Quelque 2,5 milliards de dollars attendent à la Banque centrale, a fait remarquer M. Ramadan, et les revenus pétroliers passent par d’autres voies.

Le TFM a bien eu accès à l’argent, dégelé, prêté ou donné par le Canada, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Qatar, le Bahreïn et le Koweït. Il a dépensé environ 1,162 milliards de dollars en carburant, pour soigner les combattants blessés à l’étranger, pour les secours d’urgence destinés aux familles des montagnes de l’ouest, les frais de bureau et surtout, les salaires. Comme l’indique son site Internet, il reste plus de 530 millions sur le compte du TFM, mais cet argent a maintenant été transféré au nouveau gouvernement.

Mais les 500 millions de dollars alloués aux agences humanitaires internationales n’ont pas été confiés au TFM, a dit M. Ramadan ; ils sont bloqués à la Réserve fédérale américaine, dans l’attente, en réalité, d’une signature.

Alors qu’il s’apprêtait à participer à une réunion de passation de pouvoir avec le nouveau ministre des Finances le 4 décembre, M. Ramadan a mis le retard sur le compte de la création d’un nouveau gouvernement à qui il revient, a t-il dit, d’approuver l’allocation de l’argent.

« Ce n’est pas moi qui prends la décision. Elle ne m’appartient pas. Je comprends la frustration des ONG, mais le [retard] est dû à la confusion liée à la mise en place du nouveau gouvernement, et non pas à une quelconque intention de faire traîner les choses. »

Pression renouvelée

Quelques soient les raisons [des problèmes de financement], la réalité a forcé M. Charpentier à faire pression sur les donateurs pour qu’ils ne relâchent pas leur engagement et certains de ses efforts semblent avoir payé.

ECHO a récemment décidé de donner 500 000 dollars pour les opérations de déminage -« Nous ne pouvons pas attendre que le gouvernement se décide » - et envisage d’allouer des fonds supplémentaires au HCR pour s’occuper du dossier délicat des personnes déplacées fidèles à Kadhafi.

La Coopération italienne pour le développement est aussi intervenue avec 1,1 million d’euros (1,5 million de dollars) pour UNMAS.

Le DfID et l’USAID, quant à eux, ont déjà décidé d’arrêter de financer les opérations humanitaires en Libye, ont indiqué certaines sources. Leur direction a fait pression pour que les financements soient réduits, compte tenu de la récession mondiale et de la concurrence de la situation d’urgence dans la Corne de l’Afrique.

Toutefois, après tout ce débat, certains, même au sein de la communauté humanitaire internationale, ont leurs doutes sur la nécessité de financements supplémentaires.

« Nous sommes toujours là. Les programmes se poursuivent. D’où vient l’argent ? », a demandé le responsable des Nations Unies. « Les organisations internationales pourraient-elles absorber et dépenser 60 millions de dollars en quatre semaines ? Probablement pas. »

Selon les sceptiques, le plan d’action humanitaire commun partait du principe que les besoins étaient plus importants qu’ils ne l’étaient en réalité et a mal évalué la capacité des Libyens à rebondir. L’argent déjà reçu servira à assurer une bonne partie des opérations de 2012, estiment-ils.

ha/mw-og/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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