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Le « tabou sur les jumeaux » divise une communauté

A set of twins living in the Madagascan coastal town of Mananjary UNICEF/Pierrot Men
Une coutume ancestrale, qui veut que les jumeaux soient placés en adoption dès leur naissance, divise les résidents de la ville côtière de Mananjary, à Madagascar, aussi sûrement qu’elle sépare des frères et sœurs de leurs parents. On dit que le malheur et la violence s’abattent sur les parents des jumeaux et sur la communauté.

Les descendants des Mpanjaka, une famille royale locale dont les dix chefs élus renforcent l’autorité culturelle, entretiennent la croyance que les jumeaux ne devraient pas grandir auprès de leurs parents biologiques. Le tabou sur les jumeaux est lié à l’expression culturelle d’un malheur historique. 

Les anciens de Mananjary prennent comme exemple de la malédiction l’échec de la révolte de 1947 contre les autorités coloniales françaises dont les jumeaux seraient responsables. Une légende raconte qu’une reine aurait fui les combats, mais aurait oublié un de ses jumeaux. Les soldats envoyés pour récupérer l’enfant auraient tous été massacrés. Il n’existe aucune preuve historique de cet évènement.

« Cette coutume n’a aucun fondement, et si je pouvais revenir en arrière, je garderais mes enfants », a dit Marie Louise Zisllene, directrice d’une école locale, à IRIN. Ses enfants ont été adoptés par une famille canadienne en 1988 et depuis elle n’a pas eu de contacts avec eux. Elle ajoute cependant que l’éducation qu’ils ont reçue est probablement meilleure que celle qu’ils auraient reçue à Madagascar.

Le professeur Ignace Rakoto, coauteur avec Gracy Fernandes et Nelly Ranaivo Rabetokotany d’une étude récente sur le rejet des jumeaux par les habitants de la ville, « Les jumeaux de Mananjary, entre abandon et protection, a dit à IRIN que « le tabou engendre une grande souffrance chez les familles ». M. Rakoto appartient à un clan qui ne pratique pas cette coutume.

« J’ai grandi dans cette région sans en avoir connaissance [de cette mise en adoption des jumeaux], car personne ne parlait jamais de jumeaux. Certaines personnes se sont vraiment mises en colère quand nous avons commencé à poser des questions », a dit M. Rakoto. « Elles nous ont demandé pourquoi nous voulions parler de ces choses dans la presse ».

M. Rakoto, qui a été ministre de l’Éducation, a dit que les chefs considèrent que le tabou « fait partie de leur identité. J’essaye de leur faire comprendre que l’on ne peut pas construire une identité en s’appuyant sur une tradition injuste ».

Lorsqu’elle a donné naissance à ses jumeaux, Voangy Razafy, 31 ans, a tenté de convaincre sa famille qu’elle devrait avoir le droit de garder ses enfants, mais son grand-père, un chef de la communauté antambahoaka, a refusé de rompre avec la tradition.

« Finalement, même ma mère s’est retournée contre moi et m’a demandé de partir », a-t-elle dit. Après avoir bravé le tabou, Mme Razafy a dû partir s’installer dans une autre partie de la ville, où elle vit dans l’indigence, rejetée par sa famille. « Ils ont dit que mes enfants se retourneraient contre leurs parents quand ils seraient grands ».

Les jumeaux sont conçus lorsque de multiples ovules sont libérés lors de l’ovulation, ou lorsqu’un ovule se divise. Le taux de gémellité varie fortement : on estime qu’il s’établit à 6 pour cent en Afrique centrale contre 3,2 pour cent aux États-Unis.

Selon M. Rakoto, le taux de gémellité est un peu moins élevé à Mananjary et dans sa région que dans le reste du pays, où il s’établit à 2,8 pour cent de toutes les naissances, mais le tabou qui règne dans la région pourrait conduire certains parents à ne pas déclarer la naissance de jumeaux.

La croyance selon laquelle les jumeaux sèment le malheur au sein des communautés est particulièrement répandue dans la région de Vatovavy-Fitovinany, située au sud-est du pays, qui va du nord de Manakara à Mananjary, et qui compte environ 233 697 habitants.

« Ça a été une véritable libération culturelle. Quand j’y suis allé, j’ai vu des mères marcher dans le village avec fierté, un enfant dans chaque »
La tradition veut que les parents abandonnent les jumeaux à la naissance, les condamnant ainsi à une mort presque certaine ; les plus chanceux sont trouvés et accueillis par d’autres personnes. En ville, les jumeaux abandonnés sont proposés à l’adoption et la pratique peut créer de profondes divisions.

« Une fois, on a trouvé des enfants près d’une décharge. Une famille appartenant à une autre ethnie a accueilli l’une des petites filles. Des années plus tard, lorsque ses parents biologiques l’ont vue, ils ont voulu la reprendre, mais la fillette a refusé. Aujourd’hui adulte, elle ne veut toujours pas avoir de contacts avec sa famille biologique », ont indiqué les auteurs.

L’ouverture du Centre d'accueil et de transit des jumeaux abandonnés (CATJA) en 1987 a provoqué le ressentiment de certains membres de la communauté. « Lorsque le centre a ouvert ses portes, des voisins se sont plaints en disant que le vent qui soufflait au-dessus de notre maison les rendait malades. Nous avons donc dû venir ici, très loin de la ville », a dit à IRIN Julie Rasoarinanana, qui dirige le centre. 

Son travail lui a également valu la désapprobation de certains de ses proches qui lui ont dit qu’elle ne pourrait plus pénétrer dans la Tranobe (la maison royale ou maison sacrée), car « j’ai touché des jumeaux ».

Depuis son ouverture, le centre a organisé l’adoption de 300 paires de jumeaux, mais il a dû faire face à un durcissement des règles d’adoption, les autorités souhaitant mettre fin au trafic d’enfants.

Aujourd’hui, avec 96 enfants, la capacité d’accueil du centre est dépassée : des enfants des rues y ont trouvé refuge, ainsi que des mères célibataires qui y travaillent pour couvrir leurs frais d’hébergement et de nourriture.

À Mananjary, où vivent quelque 27 000 habitants, il est de plus en plus fréquent de voir des parents garder leurs jumeaux, mais beaucoup suivent toujours la tradition et les comportements des habitants des villages voisins n’ont pas beaucoup évolué.

Trouver des réponses

Grâce à son réseau, le centre peut distribuer des caisses, de la nourriture et des couvertures dans les villages isolés afin que les jumeaux abandonnés par leurs parents aient une chance de survivre au trajet qui les mènera au centre. « En général, ce sont les sages-femmes et ou des amis qui les amènent, car les parents continuent à avoir peur de voyager avec des jumeaux », a dit Mme Rasoarinanana.

Les Mpanjaka sont toujours considérés comme des figures d’autorité et des gardiens de la coutume et de la tradition. Ils déterminent qui participe aux cérémonies traditionnelles et qui peut accéder aux tombes familiales pour rendre visite aux ancêtres décédés. L’accès à la Tranobe est également considéré comme essentiel, car il est aussi l’accès au forum où les conflits sont résolus et où sont prises les décisions qui affectent la vie de la communauté.

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M. Rakoto forme actuellement une association pour lutter contre la coutume. Il propose d’utiliser le principe « du bâton et de la carotte, mais d’utiliser la carotte davantage que le bâton » afin de tenter de lever le tabou. Selon lui, la situation ne pourra que s’aggraver si les autorités forcent les parents à rompre avec la tradition de la malédiction des jumeaux.

Il souhaiterait que les parents de jumeaux bénéficient d’une aide financière et que les sages-femmes et les docteurs reçoivent une formation. « La décision la plus importante est prise à la naissance. Les parents pourront prendre une décision plus facilement s’ils disposent d’un kit comprenant du lait, des vêtements et des couvertures dès le départ. Non seulement les parents défient la tradition, mais ils doivent aussi faire face aux coûts supplémentaires entraînés par la naissance de deux enfants d’un coup ».

Mme Zisllene, la directrice d’école, prévoit de rejoindre l’association de M. Rakoto ; elle estime qu’il est nécessaire d’offrir une alternative aux mères de jumeaux. « Nous avons besoin d’exemples concrets », a-t-elle dit. « Les femmes devraient garder leurs enfants, mais aussi les amener aux cérémonies. Elles ne devraient pas se montrer aussi hésitantes. Ainsi, les autres verraient que c’est possible ».

Il y a peut-être une solution. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), qui travaille en étroite collaboration avec les chercheurs, s’intéresse au cas d’une communauté voisine dont les chefs ont mis en place une cérémonie spéciale afin de lever le tabou des jumeaux.

« Ça a été une véritable libération culturelle », a dit M. Rakoto. « Quand j’y suis allé, j’ai vu des mères marcher dans le village avec fierté, un enfant dans chaque bras ».

ab/go/he-mg/og


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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