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Le coût caché de la piraterie

Pirates hold hostages Jason R Zalasky/US Navy
Pirates have become increasingly violent towards captured seafarers
La piraterie au large des côtes somaliennes est passée d’une gêne occasionnelle pour les bateaux à une entreprise criminelle de plusieurs millions de dollars, mais son développement a un autre coût, souvent délibérément ignoré : la violence croissante à laquelle se trouvent confrontés des milliers de membres d’équipage quand ils sont capturés.

« La situation a véritablement changé et nous ne savons pas pourquoi, » a dit Pottengal Mukundan, directeur du Bureau maritime international (BMI) au cours d’une réunion qui a eu lieu en juin à Londres sur le sujet.

« Peut-être est-ce dû au fait que ce sont désormais des gens différents qui s’occupent des prisonniers. C’est tout bonnement un gang de voyous qui n’ont jamais été en mer et ne ressentent aucune empathie pour les marins, » a dit M. Mukundan.

Les statistiques de 2010 (tirées de The Human Cost of Somali Piracy, sauf mention contraire) illustrent l’ampleur de l’expansion de la piraterie à l’ouest de l’océan Indien et dans le Golfe d’Aden :

• au moins 4 000 marins attaqués avec des armes à feu, dont des roquettes
• 400 attaques de piraterie, selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)
• 1 016 membres d’équipage pris comme otages (188 dans le monde entier en 2008 – chiffres de l’IMB)
• Plus de 400 otages utilisés comme boucliers humains
• cinq mois de durée de captivité moyenne
• 111 millions de dollars payés en rançons (rapport de l’ONUDC : les flux financiers illicites liés à la piraterie au large de la Somalie)

Jusqu’à récemment, les pirates somaliens étaient connus pour la correction dont ils faisaient preuve envers leurs captifs. Mais aujourd’hui, selon The Human Cost of Somali Piracy, un rapport publié ce mois-ci par Oceans Beyond Piracy, les otages sont passés à tabac, maintenus de force sous l’eau ; certains ont eu les parties génitales enserrées dans des fil de fer et ont été soumis à des simulations d’exécution sophistiquées.

« Que les attaques réussissent ou non, elles exposent les marins à des expériences dangereuses, qui peuvent provoquer des traumatismes physiques et psychologiques à long terme, » explique le rapport.

Les membres d’équipage qui cherchent refuge dans une « citadelle », c’est-à-dire une pièce sécurisée, peuvent passer plusieurs jours terrifiants dans un espace confiné, tandis que les attaquants tirent à l’arme lourde sur les portes, allument des feux sous les ventilateurs, ou même utilisent des chalumeaux pour tenter de passer à travers les murs.

Après la détresse initiale de l’attaque où ils sont poursuivis et se font tirer dessus, les otages doivent endurer passages à tabac, enfermement et tortures aux mains de ceux qui les ont capturés.

« Nous avons des preuves solides que plus d’un tiers des marins qui ont été faits prisonniers en 2010 ont été maltraités, et la tendance est encore plus menaçante cette année, » a dit Kaija Hurlburt, l’auteur du rapport.

Pression psychologique

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Les marins eux-mêmes ne sont pas les seuls à souffrir. Pour mettre la pression aux compagnies maritimes et les faire payer rapidement, les pirates appellent quelquefois les familles et menacent de tuer leur proche si la rançon se fait attendre. « Il y a eu des cas où l’otage a été forcé d’appeler sa famille et où il est battu pendant que sa famille est en ligne, » a dit Mme Hurlburt qui a jouté que les otages et leur familles sont tenus dans l’ignorance durant les négociations. « Il est évident que les marins et leur famille subissent un stress important en permanence, à partir du moment où le bateau entre dans des eaux infestées de pirates, » a t-elle dit.

« Les risques qu’ils rencontrent au cours de leur travail seraient inacceptables dans la plupart des industries, » a indiqué le rapport.

Plus de 3 000 marins ont été pris comme otages par des pirates somaliens depuis 2008 et des centaines sont actuellement prisonniers, ce qui fait de la situation une véritable « crise humanitaire », selon le porte-parole de la Chambre internationale de la marine marchande (ICS), Simon Bennett. « La crise est devenue totalement incontrôlable. »

Les pirates utilisent également de nouvelles techniques : ils se servent de bateaux qu’ils ont détournés comme « bateau-mère », pour lancer de nouvelles attaques auxquelles les membres d’équipage prisonniers sont obligés de prendre part.

N’étant plus limités par la taille ni par les performances de leurs bateaux, la seule restriction affectant ces pirates est la quantité de carburant qu’ils peuvent obtenir. Les pirates somaliens attaquent désormais à plus de 1 000 milles nautiques des côtes de la Somalie.

Les compagnies de transport maritime gardent souvent le silence sur ce qui arrive à leurs équipages pris en otage, a dit Andrew Palmer d’Idarat Maritime, qui conseille les armateurs et une industrie de l’assurance des transports maritimes en plein essor. M. Palmer a dit à IRIN que les compagnies font signer à leurs employés une déclaration de confidentialité par laquelle ceux-ci promettent de ne pas parler de leur expérience en mer. Il n’est pas dans l’intérêt des compagnies de divulguer [ce genre de situation], a t-il dit, parce que cela risquerait de provoquer des mutineries.

Certains marins refusent de naviguer dans les eaux au large de la Somalie, mais d’autres pensent qu’ils n’ont pas le choix, « parce que leur famille et quelquefois des villages entiers, dépendent de leur salaire, » a dit Mme Hurlburt dans son rapport.

L’industrie a été obligée de réagir à la crise, étant donné « la frustration et le désespoir horribles » provoqués par l’évolution de la façon de traiter les otages.

Cependant la tendance croissante à employer des gardes armés à bord des bateaux n’est pas sans inconvénients, selon le commandant Paddy O’Kennedy, porte-parole de la Force navale de l’Union européenne en Somalie.

« Si quelqu’un de particulièrement bon aux jeux de combat sur X-box décide qu’il serait bon aussi dans une société de sécurité, ce sont des cow-boys qu’on va avoir là-bas, » a t-il dit, indiquant que certaines équipes d’agents de sécurité avaient tiré sur des pêcheurs qu’ils avaient confondus avec des pirates.

En 2009, plusieurs pays dont les côtes se trouvaient dans les eaux infestées de pirates ont adopté un code de conduite pour faire face à la piraterie. Ils s’engageaient ainsi à faciliter « les soins adéquats, le traitement et le rapatriement des marins, pêcheurs et autres personnels et passagers de bateaux soumis à des actes de piraterie ou de vol à main armée contre leur bateau, en particulier ceux qui ont subi des violences. »

Suspected pirates keep their hands in the air as directed by the guided-missile cruiser USS Vella Gulf (CG 72) as the visit, board, search and seizure (VBSS) team prepares to apprehend them. Vella Gulf is the flagship for Combined Task Force 151, a multi-
Photo: Jason R Zalasky/US Navy
Poursuivre les pirates capturés pose de sévères problèmes juridictionnels
« Pas la bonne nationalité »

Mais selon le porte-parole de l’ONUDC, Wayne Miller, les signataires n’ont pas respecté leurs obligations, sous prétexte que les otages affectés venaient d’Etats non signataires.

« La majorité des marins n’ont pas la bonne nationalité,” a dit le porte-parole de l’ICS, M. Bennett. « La plupart des marins retenus en otage étaient philippins et indiens, et non pas américains et européens. Et par conséquent, cela ne suscite pas tout à fait le même intérêt médiatique , » ni la même incitation à lancer une intervention militaire.

« A une époque où les ressources financières aussi bien que militaires sont extrêmement serrées, les gouvernements occidentaux, du moins, semblent être arrivés à la conclusion que cette situation inacceptable pouvait en quelque sorte être tolérée, » a écrit l’ICS dans sa déclaration “Key Issues of 2011” [Questions clés de 2011].

Les experts soulignent les options ouvertes à l’action collective. Les marines nationales pourraient à distance mettre hors de combat les navires détournés, a dit M. Bennett. Les autorités pourraient à la suite d’une attaque assembler des preuves qui pourraient être utilisées pour poursuivre les pirates, propose l’IMB. S’il existe suffisamment de preuves pour justifier une accusation d’assaut en plus de celle de piraterie, il serait possible de porter cette accusation en justice, a dit M. Miller.

Les pays pourraient aussi promettre d’engager plus de ressources pour poursuivre les pirates en justice. Quatre-vingt-dix pour cent des pirates capturés par les marines internationales ont été relâchés parce qu’aucune juridiction n’était prête à les poursuivre, selon le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Kenya a annulé un accord avec l’Union européenne destiné à poursuivre les pirates présumés, parce qu’il craignait de devoir supporter une trop grande part de la charge financière de leur détention et de leur procès.

Certains pensent que l’action juridique n’est qu’un élément de la réponse. « Poursuivre les pirates en justice ne peut résoudre le problème, » a dit Andrew Mwangura, directeur du Programme d’aide aux marins d’Afrique de l’Est. « Nous devons nous attaquer aux causes profondes de la piraterie et inventer des mesures anti-piraterie [à mettre en oeuvre] à terre.

« Nous devons continuer à pousser dans ce sens, » a dit M. O’Kennedy. « Nous devons garantir que le bien-être des marins soit une priorité dans l’esprit des gens. »

M. O’Kennedy a dit qu’il pensait aux 412 personnes retenues prisonnières aujourd’hui et à ce qu’elles subissent en captivité. Il se demande comment Naja Johansen, une jeune Danoise d’à peine 13 ans, parvient à survivre en tant qu’otage de pirates. Cela fait plus de trois mois qu’elle est prisonnière.

« C’est à vous briser le cœur, » a t-il dit.

eb/jb/am/cb – og/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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