Le tribunal pour crimes de guerre créé spécialement pour ces procès, connu sous le nom de Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), vise sans doute plus à offrir des réponses à une nation qui souffre encore de stress post-traumatique collectif qu’à punir quelques individus, selon des experts.
Cependant, des groupes de défense des droits humains ont remis en cause l’indépendance du tribunal et accusé le gouvernement d’interférer dans ses procédures.
Par ailleurs, la plupart des Cambodgiens ont eu un accès limité au tribunal et n’ont pas suffisamment connaissance de son existence.
D’après une étude publiée en janvier 2009 par le Centre des droits humains de l'université de Berkeley en Californie, 85 pour cent des personnes interrogées connaissaient peu les CETC, voire n’en avaient jamais entendu parler.
Le tribunal, créé début 2006 et basé à Phnom Penh, la capitale, constitue un phénomène bienvenu mais lointain pour la plupart des habitants, car environ 80 pour cent des 14,4 millions de Cambodgiens vivent dans des zones rurales, d’après des données des Nations Unies.
De plus, la moitié de la population du pays est âgée de moins de 20 ans, et n’a donc jamais vécu sous le régime ultra-maoïste des Khmers Rouges.
Une grande partie de la jeune génération ne connaît pas précisément les atrocités commises par ce régime, en partie parce que l’histoire des Khmers Rouges était totalement absente des programmes scolaires jusqu’à très récemment.
Association de victimes
D’après les estimations de la plupart des experts, environ 1,7 million de Cambodgiens sont morts d’exploitation par le travail, de faim, ou assassinés sous le régime des Khmers Rouges, qui rêvaient de transformer le pays en une utopie agraire.
« Cela me rappelle ce que j’ai vécu à l’époque, comment mes parents ont été tués. C’est bien que cela soit montré à tout le monde, mais je trouve difficile de voir les enfants regarder de telles horreurs. » |
A ce jour, 4 460 Cambodgiens se sont déclarés comme victimes auprès de la cour, fournissant des informations qui sont ensuite utilisées par les équipes d’enquête des procureurs et des juges de la cour pour rassembler les preuves et solliciter des témoignages.
« Le fait que d’autres non-spécialistes soient présents pour raconter les horreurs et les atrocités commises rend le procès plus accessible aux Cambodgiens », a dit à IRIN Lars Olsen, porte-parole du service d'assistance des Nations unies au procès des Khmers rouges (UNAKRT).
« Cela permet également aux enquêteurs de recueillir des informations essentielles pour leurs recherches », a-t-il dit.
Les victimes décrivent des crimes allant des mariages forcés aux assassinats de leurs proches, en passant par des abus sexuels, d’après l’Association.
Près de la moitié des membres de l’Association se sont également constitués parties civiles, ce qui donne aux victimes un rôle officiel dans le procès, pour apporter des témoignages et demander des réparations.
Travail de sensibilisation
Le Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam), une organisation à but non lucratif, contribue à faire connaître le tribunal à travers ce pays très touché par la pauvreté.
Le DC-Cam, qui mène des recherches sur les crimes commis sous le régime des Khmers Rouges et a pour mission de conserver les archives les plus importantes concernant ce régime, fournit de la documentation aux CETC.
Photo: Brendan Brady/IRIN |
Une jeune fille écoute son père raconter à des membres du Centre de documentation du Cambodge son engagement dans la rébellion musulmane contre les Khmers Rouges |
Man Maisan, 62 ans, a été perturbée par l’idée d’être inscrite sur un registre : sous les Khmers Rouges, avoir son nom sur une liste impliquait une mort certaine, et dans son esprit, cette corrélation terrifiante n’avait pas disparu.
« Est-ce que les autres le font aussi ? », a-t-elle demandé. Malgré son appréhension initiale, Mme Maisan ne manquait pas de raisons de témoigner : ses parents et son seul enfant sont morts sous le régime des Khmers Rouges.
Les villageois ont regardé des vidéos tournées pendant les procès, montrant notamment la confession et les excuses présentées au tribunal par Kaing Guek Eav, qui dirigeait le centre de torture khmer rouge le plus célèbre, dont le nom de code était S-21.
Dans la foule, certains villageois plus âgés ont été saisis par les images des soldats khmers rouges en uniformes noirs, montrées dans un documentaire sur le régime – beaucoup d’entre eux ne les avaient pas revus depuis qu’ils les avaient vus en chair et en os.
« Cela me rappelle ce que j’ai vécu à l’époque, comment mes parents ont été tués », a dit Yim Somlok, 80 ans, qui, comme beaucoup d’autres personnes présentes, voyait pour la première fois des images du tribunal.
« C’est bien que cela soit montré à tout le monde, mais je trouve difficile de voir les enfants regarder de telles horreurs. »
Minorité musulmane
Le règne de la terreur imposé par les Khmers Rouges a frappé particulièrement durement Svay Khleang, un village qui représentait le cœur historique de la communauté musulmane minoritaire au Cambodge.
C’est dans ce village qu’après la chute de Phnom Penh en 1975, les Khmers Rouges ont appliqué avec une ferveur particulière leur campagne xénophobe visant à éliminer les identités qu’ils considéraient comme étrangères au pays.
« J’espère que le tribunal reconnaîtra la souffrance particulière du peuple musulman », a dit Piyamin Yusoh, 56 ans, qui est actuellement responsable de la communauté musulmane du village.
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