1. Accueil
  2. West Africa
  3. Nigeria

Trop peu d’avancées dans la réforme des prisons, selon des juristes

[Nigeria] Women's cell in central prison, Kaduna, Nigeria, December 2005. Anne Isabelle Leclercq/IRIN
En juin, 150 prisonniers se sont échappés de la prison d’Etat d’Enugu, dans le sud-est du Nigeria, frappant des gardiens et violant des détenues avant de s’enfuir.

Quelques semaines plus tôt, huit détenus ont été tués lors d’une autre évasion, cette fois dans la prison d’Agodi, à Ibadan, dans le sud-ouest, d’après certaines informations.

Pour certains prisonniers, l’évasion apparaît sans doute comme la seule échappatoire possible, étant donné qu’environ deux tiers des détenus du Nigeria ont été emprisonnés sans procès, d’après un rapport du Centre d’études sociales et juridiques (CSLS) d’Abuja, qui appelle le gouvernement à adopter immédiatement la réforme de la législation sur la justice pénale.

Selon ce rapport publié en mai et intitulé La réforme de la justice et les droits humains au Nigeria (Justice sector reform and human rights in Nigeria), dans la prison de Kuje à Abuja, la capitale, 85 pour cent des 622 détenus n’ont pas bénéficié d’un procès. Un rapport publié en 2008 par Amnesty International estime qu’au total, 65 pour cent des détenus sont emprisonnés sans procès.

Les chercheurs ont rencontré des détenus qui attendaient leur procès depuis neuf ans.

Pourquoi

Toutes les étapes de la procédure judiciaire pénale contribuent aux retards, a expliqué Yemi Akinseye George, enseignant en études juridiques à l’Université d’Ibadan, et co-auteur du rapport.

Il n’est pas rare que la police arrête des individus et les mette en « détention provisoire » le temps de rassembler des preuves, a indiqué M. George. « Ils ne sont pas censés faire ça. C’est illégal… C’est anticonstitutionnel ».

Les cautions sont souvent impossibles à payer, a affirmé Adekunle Ojo, avocat des droits de l’homme et vice-président de l’Association du barreau nigérian.

D’après M. George, les programmes d’assistance juridique financés par le gouvernement sont rares, et pour les nombreux prisonniers qui ne peuvent pas se payer un avocat, la situation est sans issue. « Les gens n’ont pas les moyens d’obtenir une aide juridique, mais le tribunal ne peut pas les relâcher si aucun avocat n’assure leur défense ».

Dans certains cas, l’incompétence a conduit à la perte de centaines de dossiers, affirme le rapport.

Quand une affaire arrive jusqu’au tribunal, les témoins – qui ne bénéficient d’aucun système officiel de protection – ont souvent trop peur pour produire des preuves, et le procès reste en suspens.

Sans procès, de nombreux prisonniers passent plus de temps en détention que s’ils avaient été jugés coupables, d’après M. Ojo. Au Nigeria, les infractions mineures (petits larcins, trafic…) sont passibles d’une peine de six mois d’emprisonnement.

Pour Michael Aondoakaa, ministre de la Justice, le problème vient de la structure du système judiciaire pénal : les prisons appartiennent au gouvernement fédéral, qui en assure la gestion, mais ce sont les tribunaux d’Etats qui rendent les jugements.

« Je ne peux pas prédire le nombre d’individus qui seront emprisonnés, parce qu’ils viennent des tribunaux d’Etats, des tribunaux de police, des cours d’appel, des tribunaux islamiques, des tribunaux des affaires sanitaires, etc. Toutes [ces institutions] envoient des gens en prison », a-t-il dit.

Maladie, torture, misère

Du fait de la surpopulation carcérale qui découle de cette situation, la plupart des prisonniers dorment par terre et reçoivent des rations alimentaires minimes, affirment les rapports.

D’après Amnesty International, la surpopulation et les conditions d’hygiène déplorables conduisent à une forte prévalence de maladies telles que la tuberculose, les infections cutanées et le paludisme, alors que la plupart des prisons ne disposent pas d’installations de santé. Les chercheurs indiquent en outre que dans la majorité des cas, les détenus n’ont pas accès à des toilettes en état de marche.

Au problème de surpopulation viennent s’ajouter la torture et les mauvais traitements, qui sont courants, d’après les chercheurs du CSLS : « les coups provoquent souvent la mort » des détenus, et « la flagellation, la plupart du temps au moyen d’un fouet en cuir de vache ou d’un bâton, [est] couramment utilisée pour punir les détenus rétifs ».

Près de 80 pour cent des détenus nigérians interrogés ont déclaré qu’ils avaient été battus, menacés avec des armes ou torturés dans une cellule, d’après le rapport de 2008 d’Amnesty International.

Réforme

Pour M. George, ces conditions épouvantables témoignent de l’urgence de la réforme ; d’après lui, les promesses faites par les gouvernements successifs au sujet de ces réformes ont abouti à des résultats limités.

Olusegun Obasanjo, l’ancien président du Nigeria, avait mis en place une commission chargée de faire des propositions pour améliorer les conditions de vie en prison. Cette commission a élaboré des recommandations pour réformer le système, comprenant des amendements détaillés au code pénal – rédigé il y a plus d’un siècle – et à la procédure pénale, qui date des années 1960. La commission a soumis un projet de loi il y a plus de deux ans, mais l’Assemblée nationale ne l’a pas encore ratifié.

« Le plus urgent est de faire pression pour que ce projet de loi soit adopté », a souligné M. George.

A ce jour, un Etat seulement – Lagos – a réformé son système judiciaire pénal, a-t-il indiqué, ajoutant que ces réformes contribuaient déjà à réduire le nombre de détenus.

D’après M. George, le procureur général devrait agir davantage pour favoriser l’adoption du projet de loi. « [Il] est censé donner l’impulsion sur ce sujet, et faire comprendre à l’Assemblée nationale que ce projet de loi est une affaire urgente, mais il ne le fait pas ».

Cependant, Peter Akper, conseiller auprès du procureur général, a dit à IRIN que son équipe s’était adressée aux commissions de la Justice et des Droits humains dans le but d’accélérer la ratification du projet de loi.

Le gouvernement progresse sur d’autres fronts, a indiqué M. Akper, faisant référence à un programme mené par le procureur général et le ministère de la Justice, visant à régler le problème de surpopulation. D’après lui, au cours de ces dernières années, ce projet a permis de débloquer 5 000 affaires laissées en suspens.

D’autres réformes en cours permettraient de revoir les orientations en matière de condamnations, a-t-il indiqué.

M. George a déclaré que ces changements représentaient certes des avancées, mais qu’il n’y avait pas d’autre choix que de légiférer pour faire évoluer le système dans son ensemble.

aj/gc/np/il/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join