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Affrontements, tensions, une routine dans le district instable de Molo

À Molo, ville kényane de la province de la vallée du Rift située à quelque 200 kilomètres de Nairobi, les déplacements provoqués par les conflits sont devenus une caractéristique récurrente de la vie et ne surviennent pas uniquement en période électorale.

Certaines familles indigentes, logées dans les camps de fortune montés dans les cours des églises et des édifices publics, ont confié à IRIN que c’était la cinquième fois qu’elles se faisaient chasser de leurs maisons au cours des deux dernières décennies.

« À Molo, c’est la routine. Les élections ne sont qu’un des éléments déclencheurs. Il y a d’autres éléments qui déclenchent des affrontements : le viol d’une femme par un membre d’une autre ethnie ; ou, lorsque dans un bar, un homme d’une communauté se fait tabassé à mort par les membres d’une ethnie rivale et que ce meurtre devient l’affaire de la communauté.

« De tels incidents se produisent à partir de petits événements déclencheurs qui dégénèrent. Ce n’est que cette fois-ci que le problème est plus sérieux parce qu’il a pris une dimension nationale et que ce n’est pas un problème uniquement spécifique à Molo », a indiqué Msallam Ahmed, coordinateur de la Société de la Croix-Rouge kényane à Molo.

La province de la vallée du Rift, la région la plus touchée

Près d’un mois avant les élections qui se sont déroulées au Kenya le 27 décembre, des flambées de violence avaient déjà éclaté dans la province de la vallée du Rift lorsque des groupes ethniques rivaux avaient commencé à chasser de leurs maisons des membres de minorités ethniques, Kikuyus et Kisiis, pour la plupart.

Selon Hassan Nour Hassan, commissaire de la province de la vallée du Rift, avec plus de 400 morts, 250 000 déplacés et 80 000 maisons incendiées, la région a été la plus touchée par les violences post-électorales.

Dans le seul district de Molo, on compte 60 sites d’hébergement pour personnes déplacées, dont 16 dans la ville de Molo.

L’un des camps a été installé dans la cour du Pyrethrum Board, un édifice public. Les 20 premiers déplacés sont arrivés ici le 20 décembre, une semaine avant les élections. Début février, ce site abritait 415 personnes.

Pendant que des sacs de maïs étaient déchargés des camions pour être distribués aux déplacés, un instituteur bénévole maniant un bâton essayait de divertir un groupe de 50 enfants mal vêtus, assis à même le sol. Une bagarre a éclaté entre deux garçons et la foule s’est mise à poursuivre l’un d’entre eux. M. Ahmed a dû intervenir pour prendre le jeune fugitif sous sa protection.

« Ces enfants ont vu des scènes de justice populaire. Ils ont peur », a-t-il expliqué, en étreignant le petit garçon en larmes.

Des parents « en colère pour un rien »

Pour M. Ahmed, le plus urgent dans les camps est que les enfants déplacés retournent à l’école, essentiellement parce qu’ils sont traumatisés par leurs expériences et que l’atmosphère y est tendu.

« Pour la moindre erreur, les enfants se font battre par leurs propres parents. Ces réactions peuvent s’expliquer par le traumatisme des parents, par l’état psychologique dans lequel ils se trouvent. Ils se mettent en colère pour un rien et battent sauvagement leurs enfants », a-t-il ajouté.

Des travailleurs humanitaires ont mis sur pied une cellule de soutien psychologique aux enfants et M. Ahmed souhaite voir s’installer dans les camps des services d’assistance juridique susceptibles de prendre en charge les cas de maltraitance.

Un rôle humanitaire pour les associations locales

M. Ahmed souhaiterait également voir des associations locales telles que les associations de jeunes ou de femmes s’impliquer davantage dans les opérations de secours d’urgence.

« Il y a de petites associations locales qui peuvent être très utiles. Le problème, c’est qu’elles hésitent à se manifester parce qu’elles voient arriver de grandes organisations et qu’elles estiment que ces dernières pourraient se passer d’elles, alors qu’au contraire, ces associations sont utiles », a affirmé M. Ahmed.

« Nous avons besoin du concours d’un grand nombre de ces petites associations [. . .] Elles ont l’expérience des communautés locales et cela rend la tâche plus facile. Nous faisons appel à des associations de jeunes déjà spécialisés dans le théâtre pour sensibiliser les populations en faisant des sketchs. C’est une aide appréciable. Elle ne doit pas nécessairement être financière », a-t-il expliqué.

Beth Wanjiku – habitante de Molo depuis 1963

L’histoire de Beth Wanjiku, veuve de 72 ans, est typique et montre à quand remonte le conflit interethnique dans le district de Molo.

Jeune mariée, Mme Wanjiku s’était installée avec son mari à Kumbi, à une dizaine de kilomètres de Molo, juste après l’indépendance du Kenya en 1963. Son mari et elle avaient acheté deux acres de terrain à Kumbi, dans le cadre du programme gouvernemental de réinstallation qui a permis aux Africains sans terre d’acquérir des terrains vendus par les colons anglais qui quittaient le Kenya.

En tant que Kikuyus, les membres de sa famille, perçus comme des étrangers dans la province de la vallée du Rift, étaient périodiquement pris pour cible. Huit de ses 12 enfants ont été tués au cours des émeutes de 1992 et 1997, liées aux deux premières élections multipartites du Kenya. Son mari, grièvement blessé au cours des affrontements interethniques de 1997, est décédé il y a deux ans. Depuis lors, elle vit seule dans sa ferme.

S’exprimant en kikuyu, elle a raconté à IRIN comment un groupe de 200 jeunes hommes armés d’arcs et de flèches, de machettes et de bâtons était arrivé chez elle un soir vers 20 heures, début décembre. Ils l’ont jetée à terre et l’ont rouée de coups de pieds. Ils l’ont ensuite chassée de sa maison et ont emporté ses six vaches et environ 120 dollars.

Il faisait froid cette nuit-là. À l’aide de son blouson, elle s’est couvert la tête et a essayé de dormir dans la brousse, a-t-elle raconté. Le matin suivant, elle a lentement marché jusqu’à Molo en s’aidant de sa canne.

Mme Wanjiku a expliqué qu’elle avait trop peur de retourner chez elle et qu’elle ne savait pas où elle irait lorsque le camp fermerait. Un de ses enfants, un fils de 35 ans, est encore vivant ; lui aussi a été déplacé au cours des récentes flambées de violence et vit actuellement dans un autre camp de PDIP (personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays) à Molo.


Photo: Allan Gichigi/IRIN
John Holmes, secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence à l'écoute des personnes déplacées par le conflit à Molo, 9 février 2008
Origine du conflit

Au cours de sa visite au camp de Mme Wanjiku, John Holmes, secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence, a affirmé qu’il fallait s’attaquer aux causes historiques du conflit.

« Il y a un sentiment de haine qui est entretenu depuis bien longtemps. Il n’y a rien de nouveau. Cette animosité est liée à un problème foncier et aux divisions du passé. Je pense qu’il faudra beaucoup d’efforts pour réunir les sages de ces groupes et leur expliquer que, dans ce type de conflit, tout le monde est perdant […] Ce n’est pas facile. C’est un processus qui prendra du temps. Mais je ne pense pas que cela doive être considéré comme impossible », a affirmé M. Holmes.

Parallèlement, les leaders politiques poursuivent les négociations à Nairobi, la capitale kényane, sous la médiation de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies, afin de trouver une solution politique à la crise.

Pour M. Holmes, ces négociations à elles seules ne suffiront pas à régler le problème.

« Personne ne peut garantir qu’un accord politique à Nairobi permettra de régler ces problèmes. Certainement pas. Il y a un travail de fond extrêmement laborieux à faire pour réconcilier ces communautés et éviter de retomber dans ce cycle de violence. Ce n’est pas une tâche facile », a-t-il affirmé.

km/bp/ads/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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