Pour accoucher, le Niger est un des endroits les plus dangereux du monde. Devant un centre de rétablissement mis en place par une organisation non-gouvernementale (ONG) à Niamey, une trentaine de femmes, affalées sur des tapis, regrettent peut-être d’avoir eu la chance de survivre à leur accouchement.
Certes, elles sont vivantes. Mais en plus d’avoir enduré deux ou trois jours de souffrances atroces en salle d’accouchement pour finalement accouché d’un enfant mort-né, elles souffrent désormais d’une fistule, déchirure des tissus qui survient lorsque la circulation du sang vers les tissus du vagin et de la vessie et/ou du rectum est bloquée au cours d’un travail avec obstruction prolongée.
Lorsque les tissus se nécrosent, un orifice se forme, qui laisse inévitablement échapper l’urine et les fèces. La fistule est le symbole par excellence des accouchements ratés, conséquences d’un accès insuffisant aux soins de santé et de la fréquence élevée des mariages entre hommes mûrs et fillettes mineures, au Niger.
Au ban de la société
Bon nombre de ces femmes ont été rejetées par leurs familles et leurs communautés, et se sont même vu interdire l’accès aux transports publics, en raison de leur odeur nauséabonde.
Ces femmes ne savaient pas que leur problème pouvait parfois être résolu par une intervention chirurgicale, ou qu’elles pouvaient au moins en atténuer les symptômes en portant tout simplement une culotte de coton doublée de plastique et d’une éponge absorbante cousue à l’intérieur. De honte, elles se sont résolues à se cacher pendant plusieurs mois voire plusieurs années.
D’après l’Organisation mondiale de la santé, deux millions de filles et de femmes dans le monde souffrent de fistules, dont presque toutes vivent dans des pays en voie de développement.
Selon les estimations de l’ONG Fistula Foundation, 100 000 nouveaux cas se produisent chaque année dans le monde, mais seules 6 500 femmes sont traitées tous les ans, en raison d’un manque de fonds et de médecins.
Au Niger, une opération coûte plus d’un million de francs CFA (2 100 dollars). Et seuls quatre chirurgiens dans le pays sont capables de pratiquer cette intervention complexe et extrêmement pointue.
Négligence
Ce problème fait l’objet d’un tel désintérêt de la part des autorités nigériennes qu’aucune donnée nationale n’existe sur le nombre de femmes touchées ; à en croire les activistes, le Niger afficherait pourtant l’un des taux de fistule les plus élevés du monde.
En 1998, Salamatou Traoré a créé Dimol – « dignité » en peulh, une des langues locales – une des rares organisations qui aide les femmes et les filles du Niger souffrant de fistules ; selon ses estimations, des centaines d’autres femmes souffrent de fistules et ne sont pas soignées dans les régions reculées du Niger.
« La fistule est un problème qui touche principalement les femmes des régions rurales, où les habitantes n’ont pas accès aux soins de santé, et où l’ignorance et la tradition prévalent sur le bon sens », a expliqué Mme Traoré.
Photo: Nicholas Reader/IRIN |
au Niger à l'âge de 13 ans. Enceinte à 14 ans elle a souffert d'une fistule obstétricale après trois jours d’efforts insoutenables, elle a accouché d'un enfant mort-né. |
« Même à 16 ans, elles sont assez développées pour donner naissance à un enfant, si elles le souhaitent ».
Éducation
Quatre-vingt-dix pour cent des 380 femmes traitées par Dimol pour des cas de fistules n’ont pas achevé leur cursus scolaire, et ne savent ni lire ni écrire.
Bon nombre des autres cas ont été causés par une dystocie en phase de travail, qui aurait pu être évitée si la parturiente avait reçu les soins médicaux nécessaires à temps.
Moins de 20 pour cent des femmes du Niger accouchent en présence d’un agent médical qualifié, selon le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFAP).
Le corps de certaines femmes s’effondre tout bonnement après qu’elles ont donné naissance à plus de 12 enfants au cours de leur vie. Au Niger, le nombre moyen de naissances par femme est de 7,1.
Sensibiliser les femmes sur leur droit de choisir et sur l’importance de se voir prodiguer des soins de santé adéquats au cours de la grossesse serait également une mesure utile pour résoudre ce problème, selon Mme Traoré.
Mais il est encore plus important de sensibiliser les hommes, estime-t-elle. « Ces filles ne sont pas responsables des problèmes qu’elles ont – ce n’est pas elles qui voulaient se marier, ce sont les hommes », a-t-elle souligné.
Changer d’optique
Dimol s’efforce également de donner aux femmes une vision plus émancipée de leur avenir : « Nous essayons également de susciter chez les femmes une prise de conscience du fait qu’elles peuvent avoir une autre vision d’elles-mêmes, et de chercher ce qu’elles peuvent faire pour atteindre leurs propres objectifs », a expliqué Mme Traoré.
Bon nombre des jeunes filles du centre Dimol, dont certaines portent encore les tatouages décoratifs et les bijoux de leur mariage, ne se remettront jamais de leur problème de fistule.
Les fistules ne peuvent pas toujours être soignées, et les femmes touchées risquent fort de garder à vie les séquelles psychologiques laissées par cette expérience.
« Après s’être débattu pour réparer les dommages physiques [causés par les fistules], il faut en faire plus pour aider ces femmes à se réinsérer au sein de la société », a expliqué Mme Traoré. « Elles ont souvent été battues, exclues et gravement traumatisées. Souvent, elles ne peuvent pas retourner dans leur famille ».
On ignore ce que peuvent être les effets psychologiques à long terme des fistules. Dimol ne dispose pas des fonds nécessaires pour offrir une psychothérapie, quelle qu’elle soit, à ses patientes, et selon Mme Traoré, cette facette manque cruellement au travail de l’organisation. « Nous n’avons en aucun cas les moyens de le faire », a-t-elle expliqué.
Cet article est le dernier d’une série en trois volets sur la mortalité maternelle et les mariages d’enfants au Niger.
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