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L’uranium – bénédiction ou malédiction ?

Tandis que la demande mondiale en énergie nucléaire grimpe, les vastes réserves d’uranium du Niger ne sont pas un atout pour la population du pays, à en croire les analystes ; au contraire, elles ne font qu’ajouter aux graves problèmes qui pèsent sur la région.

Pays pauvre situé à la lisière sud du désert du Sahara, le Niger dispose de réserves d’uranium – source principale de combustible nucléaire – parmi les plus importantes du monde, mais n’en tire presque aucun avantage.

Au contraire, selon les organisations locales et internationales, l’exploitation de l’uranium par des sociétés principalement étrangères a des conséquences néfastes sur l’environnement et la santé des populations dans l’extrême nord du pays.

Les opérations minières sont aussi à l’origine de tensions politiques nationales : notamment, une des exigences principales du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), une milice armée aux prises avec l’armée nigérienne depuis février, repose sur une répartition plus équitable des revenus générés par l’exploitation de l’uranium.

« Le fait qu’il y ait de [l’uranium au Niger] est plus un mal qu’un bien, pour l’instant », selon Jeremy Keenan, professeur à l’université de Bristol au Royaume-Uni, et autorité reconnue sur le Sahara. « C’est une malédiction pour la région et les populations qui y vivent […] Cela a tout le potentiel d’une situation tout à fait explosive ».

Peu d’avantages

Les associations de la société civile au Niger, ainsi que plusieurs universitaires aux Etats-Unis et au Royaume-Uni s’accordent sur le fait que les populations du Niger n’ont pas profité des 100 000 tonnes d’uranium extraites ces 36 dernières années.
Le Niger, qui produit plus de 3 000 tonnes d’uranium par an, se situe entre la troisième et la cinquième places mondiales en matière de production d’uranium.

Néanmoins, selon l’Indice de développement humain 2006 du Programme des Nations Unies pour le développement, le Niger est le pays le plus pauvre du monde : l’espérance de vie est de 45 ans, 71 pour cent des adultes ne savent pas lire, et 60 pour cent de la population survit avec moins d’un dollar par jour.

« Le peuple nigérien ne profite pas de ces revenus », selon Ali Idrissa, coordinateur de la branche nigérienne de Publish What You Pay, une coalition internationale d’organisations non-gouvernementales (ONG) qui appellent les compagnies extractives (pétrole, gaz, mines) à communiquer les montants qu’elles versent aux gouvernements pour l’extraction des ressources naturelles.

Le gouvernement nigérien, notamment, ne perçoit qu’une faible part des revenus de l’uranium : ce sont des sociétés étrangères qui détiennent une participation majoritaire dans SOMAÏR et COMINAK, les deux entreprises productrices d’uranium, gérées et principalement détenues par Areva, multinationale française et géant mondial de l’exploitation minière.


Photo: IRIN / OCHA
Expert enregistrant le taux de radioactivité sur la mine d'uranium de Shinkolobwe, en République démocratique du Congo. L'effondrement de la mine en juillet 2004 avait fait neuf morts
En juillet, les autorités ont renégocié le prix de l’uranium, augmentant ainsi le taux de redevance au kilo, pour le porter à 40 000 francs CFA (soit 86 dollars) pour l’année 2007. Malgré tout, aux termes d’un accord vieux de plusieurs décennies, les deux sociétés de production ne sont pas tenues de verser plus de 5,5 pour cent de leurs revenus à l’Etat. En 2006, cela équivalait seulement à 10 milliards de francs CFA (22 millions de dollars), selon le ministère de l’Exploitation minière et de l’Energie.

D’après Robert Charlick, professeur à l’université publique de Cleveland et auteur d’ouvrages sur le Niger, les revenus de l’uranium permettent néanmoins au gouvernement de moins dépendre des impôts, et donc d’avoir moins besoin du soutien de la population, et particulièrement de la grande majorité de la population rurale isolée du pays.

« Cela a détruit la perspective de voir apparaître un système politique plus attentif aux intérêts des populations rurales », a expliqué M. Charlick à IRIN. Si l’industrie minière a permis un certain développement, a-t-il poursuivi, ce développement s’est opéré de façon à servir la production de l’uranium, et non à profiter au Nigérien moyen. Une route vers Arlit a été construite à travers la ville minière de Tahoua pour permettre le transport de l’uranium, et l’exploitation du charbon a été développée pour permettre le fonctionnement des centres de production d’uranium. « Ces régions ont l’électricité, mais rares sont les autres zones rurales du pays qui l’ont », a-t-il ajouté.

Préoccupations sanitaires et environnementales

Le mécontentement est également de plus en plus vif chez les milliers de mineurs et les populations qui vivent près des sites miniers de la région d’Agadez, dans le nord ; ceux-ci se plaignent de conditions de travail dangereuses et de l’exposition de la communauté aux substances radioactives.

En août, un mouvement d’associations de la société civile aurait exigé qu’Areva verse 300 milliards de francs CFA (647 millions) de dommages et intérêts pour ses années d’exploration dans des « conditions injustes et iniques ».

Selon une enquête réalisée en 2005 par Sherpa, un réseau international d’avocats qui plaident pour la responsabilité sociale des entreprises, les personnes qui travaillent dans les mines d’uranium nigériennes ne sont pas informées des risques sanitaires auxquels elles sont exposées ; ne bénéficient pas des mesures de sécurité les plus essentielles ; et ne sont pas toujours soignées en cas de cancer du poumon. Il a été démontré qu’à long terme, l’exposition au radon – un gaz obtenu par transformation de l’uranium – par inhalation avait un lien avec l’apparition du cancer du poumon.

« Les Etats-Unis et tous les autres pays industrialisés ou en voie de développement se tourneront vers l’Afrique comme source d’uranium »
Selon CRIIRAD, une autre ONG française, l’eau, la terre et les morceaux de ferraille qui se trouvent dans la zone d’exploitation des deux mines du Niger présentent des taux de radioactivité dangereusement élevés.

Pour Mamane Sani Adamou, d’Alternative Espaces Citoyens, une organisation de la société civile, l’extraction de l’uranium a gravement porté atteinte à l’environnement, réduisant notamment les forêts et les pâturages.

La multinationale a fait obstacle à la poursuite des recherches visant à démontrer scientifiquement la véracité des allégations de pollution et de préjudice sanitaire, selon M. Keenan, de l’université de Bristol.

Areva a systématiquement nié ces allégations, et attribué le nombre élevé de maladies à la rudesse du climat désertique. Dans une déclaration écrite, envoyée en réponse aux questions d’IRIN, Areva a dit faire l’objet d’audits externes réguliers ayant trait à la santé, à l’environnement et à la sécurité ; selon les conclusions d’un de ces audits, réalisé par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), un organisme français, la société opère conformément aux normes internationales. La société Areva a également indiqué qu’elle ouvrirait un centre de santé près de ses sites d’exploitation.

« Les accusations de négligence et de manque de transparence portées à l’encontre [d’Areva] sont en contradiction totale avec les faits réels », selon le document.
Une source de conflit potentiel

Tandis que la concurrence générale pour l’obtention des ressources africaines se fait de plus en plus vive – Daniel Volman, chercheur indépendant exerçant à Washington, parle d’une « concurrence mondiale entre les Etats-Unis et la Chine pour l’accès aux réserves énergétiques » – certains analystes craignent que l’uranium nigérien ne devienne également une source de tensions.

Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, la demande mondiale globale en énergie augmentera d’au moins 50 pour cent au cours des 25 prochaines années et devra être satisfaite principalement par des combustibles non-fossiles, et particulièrement par l’énergie nucléaire.

« Les Etats-Unis et tous les autres pays industrialisés ou en voie de développement se tourneront vers l’Afrique comme source d’uranium », a expliqué M. Volman, qui étudie la politique américaine en Afrique, en matière de réserves d’énergie. « Le processus a déjà commencé et va prendre de l’ampleur ».

Le Niger abrite les plus grandes réserves d’uranium d’Afrique, principalement accaparées par Areva depuis plusieurs années. Le gouvernement tente à présent de trouver d’autres partenaires et a délivré plus de 100 permis d’exploration à des sociétés canadiennes, américaines, chinoises, indiennes et autres, au cours de cette dernière année, seulement.

« De nombreux pays du monde sont en quelque sorte prêts à tout pour mettre la main sur de l’uranium », a résumé M. Keenan de l’université de Bristol, ajoutant : « Il risque d’y avoir progressivement de plus en plus de conflits de ressources dans le monde ».
 
La guerre de l’uranium ?

Jusqu’ici, l’instabilité de la région sahélienne était due à des facteurs autres que l’exploitation des ressources. Mais au Niger, l’uranium participe d’un mélange de facteurs potentiellement explosifs, notamment la guerre menée par les Etats-Unis contre le terrorisme, la rébellion dans le nord et la politique du gouvernement, qui interdit toute négociation avec les rebelles.


Photo: IRIN
Les décharges de déchets d'uranium à proximité de la ville de Mailuu-Suu, dans la région sud, ont un impact sur la santé des populations locales
D’après M. Volman, chercheur indépendant, la présence de ressources naturelles amène les gouvernements étrangers à apporter un soutien militaire et financier aux pays riches en ressources de façon à s’assurer un accès continu à ces ressources. Les Etats-Unis assurent déjà l’entraînement militaire des officiers nigériens, a-t-il expliqué, et le Niger a participé à d’autres programmes d’équipement offerts par les Etats-Unis par le passé.

Or, pour M. Volman, une militarisation accrue mène à une agressivité accrue des gouvernements envers leurs propres administrés et les pays voisins. « Cela favorise la répression interne. Et cela encourage aussi les pays à envahir leurs voisins », a-t-il affirmé. « Cela les incite à se résoudre à la force, à la fois pour solutionner leurs problèmes et pour saisir les occasions qui se présentent à eux – et notamment l’occasion d’envahir les pays voisins et de les piller ».
« On peut difficilement citer un exemple où [la présence de ressources en Afrique] n’a pas été une malédiction totale », a poursuivi M. Volman. « Je m’attends à ce que le [Niger] reproduise le même type de cycle constaté dans d’autres pays, car il est déjà en train de suivre la même trajectoire ».

Depuis le mois de février, les rebelles du MNJ ont pris d’assaut plusieurs avant-postes de l’armée nigérienne et mené des attaques contre certaines sociétés minières étrangères ; ils ont notamment tué au moins 45 soldats et enlevé un ressortissant chinois qui travaillait à l’exploitation de l’uranium, avant de le libérer, sain et sauf. En juillet, le MNJ a conseillé à tous les ressortissants étrangers travaillant dans le secteur de l’exploitation minière des ressources naturelles de quitter les zones de conflit « pour leur sécurité ».

Malgré tout, pour certains, les prévisions d’un violent conflit au sujet de l’uranium sont exagérées. « Je ne pense vraiment pas qu’il faille s’attendre à une guerre de l’uranium », a assuré M. Charlick de l’université publique de Cleveland. « Ce sera un problème économique de plus en plus pesant, [mais] je ne m’attends pas à ce qu’il débouche sur une bataille ».

M. Idrissa de Publish What You Pay n’est pas du même avis ; à la question « la présence d’uranium pourrait-elle aboutir à une guerre régionale ? », il répond quant à lui :

« Vu les intérêts de certaines puissances en matière d’uranium, il faut s’attendre à tout ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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