Encore adolescent, il est déjà passé expert dans l’art de franchir les frontières clandestinement. Vêtu d’un t-shirt déchiré et d’un pantalon de travail bleu, Robert (un nom d’emprunt), 16 ans, a raconté à IRIN qu’il avait traversé la frontière zimbabwéenne quatre fois depuis qu’il avait décidé de se rendre en Afrique du Sud, au mois de janvier de cette année.
Robert, arrêté et expulsé pour la première fois à la fin du mois dernier, était néanmoins de retour dans la ville frontalière de Musina, dans la province de Limpopo, en Afrique du Sud, moins d’un jour plus tard ; il explique qu’il ne restera au Zimbabwe que « lorsque j’aurai trois choses : de l’argent, de la nourriture et une scolarité ».
Orphelin originaire de la province de Masvingo, dans le sud-est du Zimbabwe, Robert a arrêté l’école à l’âge de dix ans pour subvenir à lui seul aux besoins de sa grand-mère et de sa grande sœur. Il est d’ailleurs retourné chez lui au début de l’année pour leur apporter de la nourriture et de l’argent.
Environ un Zimbabwéen sur cinq âgé de 15 à 49 ans est infecté par le VIH/SIDA, selon l’ONUSIDA, ce qui s’est traduit par un nombre croissant de foyers dirigés par des enfants, à la suite du décès de leurs parents.
La nuit, Robert dort à la station de taxis de Musina, et pendant la journée, il cherche du travail temporaire (lavage de taxis ou déchargement de marchandise des camions aux boutiques locales) ; les bons jours, il empoche 25 rands (3,50 dollars). D’autres enfants migrants dormiraient également dans des maisons abandonnées, près de la mine de cuivre désormais désaffectée de Musina.
« Ils marchent ou prennent le bus jusqu’à la frontière après avoir gagné de l’argent en faisant des petits boulots occasionnels [au Zimbabwe], et s’ils viennent ici [en Afrique du Sud], c’est parce qu’ils ont faim » |
Affamé et fatigué, Robert est arrivé au Centre de ressources pour les enfants, un centre de jour situé dans le bidonville Extension deux de Musina ; cette structure s’occupe d’enfants vulnérables originaires d’Afrique du Sud et du Zimbabwe, qui cherchent de quoi faire un repas.
« Ils marchent ou prennent le bus jusqu’à la frontière après avoir gagné de l’argent en faisant des petits boulots occasionnels [au Zimbabwe], et s’ils viennent ici [en Afrique du Sud], c’est parce qu’ils ont faim », a expliqué à IRIN Ennie Nelushi, la coordinatrice du centre.
Un centre de jour pour les enfants migrants
Selon Mme Nelushi, plus de 500 enfants non-accompagnés originaires du Zimbabwe ont fait étape au centre depuis qu’il a ouvert ses portes, il y a trois ans. Ici, ils reçoivent de la nourriture et de l’eau, et une formation en compétences pour la vie – ils sont notamment sensibilisés au VIH/SIDA ; enfin, le centre offre également un suivi psychologique aux victimes de viol et de traumatisme et permet aux enfants de pratiquer des activités sportives.
D’après Mme Nelushi, le centre n’offre pas d’hébergement de nuit ni d’éducation formelle, et perd souvent la trace des enfants qu’il a accueillis car ceux-ci « se font arrêter et expulser, et la police ne nous en informe pas ».
Le personnel du centre part régulièrement à la recherche d’enfants migrants à Musina, dans le cadre de son programme de proximité ; parmi les enfants qu’il recueille, certains sont âgés d’à peine dix ans, d’autres sont originaires de régions aussi éloignées qu’Harare, la capitale du Zimbabwe, ou Mutare, une ville de l’est du pays ; tous ont bravé les gangs de trafiquants – connus sous le nom de « magumagumas » (les charognards) – à la frontière.
Photo: Guy Oliver/IRIN |
Ennie Nelushi du Centre de ressources pour enfants à Musina |
« Parfois, les enfants arrivent nus [au centre] après avoir été dépouillés par les gangs, qui, s’ils [les migrants] n’ont pas d’argent, leur prennent leurs habits et font subir aux filles des viols collectifs », a rapporté Mme Nelushi.
Au Zimbabwe, le taux d’inflation officiel s’élève à plus de 7 600 pour cent – le plus élevé du monde ; les pénuries de nourriture et de carburant y sont monnaie courante, et le taux de chômage y serait de plus de 80 pour cent.
En juin dernier, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont publié conjointement un rapport sur la sécurité alimentaire au Zimbabwe ; il y était prédit que « le nombre de personnes à risque [de graves pénuries alimentaires] culminerait à 4,1 millions au cours du premier trimestre de 2008 – soit plus d’un tiers de la population du Zimbabwe, qui compterait 11,8 millions d’habitants ».
Il est estimé que depuis 2000, environ un quart de la population, soit trois millions de personnes, ont quitté le pays pour se rendre dans les Etats voisins, et notamment en Afrique du Sud et au Botswana, ou plus loin, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
Les expulsions d’enfants non-accompagnés, un phénomène courant
Selon la constitution sud-africaine et le Child Care Act de 1983, les mineurs non-accompagnés doivent être hébergés en lieu sûr pendant qu’un travailleur social étudie leur cas personnel, et jusqu’à ce qu’une enquête du tribunal pour enfants ait été ouverte, menée et conclue. Les enfants ne peuvent pas non plus être rapatriés de l’autre côté d’une frontière internationale, à moins que des parents ou des tuteurs légaux n’aient été retrouvés, pour garantir que l’enfant leur sera confié à son arrivée.
Nick van der Vyver est directeur de programme au centre d’accueil de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Beitbridge, une ville frontalière du Zimbabwe ; selon lui, l’Afrique du Sud ne dispose pas d’assez de lieux sûrs pour les enfants, mais 40 lits ont été réservés aux enfants non-accompagnés au Centre de la petite enfance de l’OIM, dirigé par le département public des services sociaux du Zimbabwe, avec l’aide de Save the Children (Norvège).
« Nous avons convenu de les amener ici et de nous occuper d’eux jusqu’à ce que le processus de réunification soit achevé », a expliqué M. Van Der Vyver. D’après lui, il s’agit souvent d’un processus difficile « car les gens qui font passer les enfants de l’autre côté de la frontière leur disent de ne rien dire, et surtout pas qu’ils sont zimbabwéens, parce que dès que vous dites ça, vous risquez d’être expulsés, alors beaucoup d’entre eux restent juste assis sans rien dire ».
«Les adolescents âgés de 16 ou 17 ans peuvent avoir l’air d’en avoir 18 et c’est d’ailleurs ce qu’ils disent à la police [zimbabwéenne] lorsqu’elle leur demande leur âge [au centre d’accueil]. Comme ils n’ont pas de pièces [d’identité], il est difficile pour la police de vérifier leur âge » |
Le plus jeune enfant non-accompagné accueilli au centre de l’OIM, qui a ouvert ses portes le 31 mai 2006, était un bébé de quatre mois, séparé de sa mère lorsque la police avait rassemblé des migrants clandestins, en Afrique du Sud, et que la mère avait fui pour échapper à l’arrestation.
Une autre femme, qui avait été arrêtée, « avait vu que personne ne s’occupait de ce bébé et avait réalisé qu’on ne pouvait pas laisser un bébé comme ça ; elle avait alors commencé à s’occuper de lui. Bien qu’elle ait expliqué à la police [sud-africaine] que ce n’était pas son enfant, ils ne l’ont pas crue et l’ont expulsée avec le bébé », a raconté M. Van Der Vyver à IRIN.
Le centre de la petite enfance a retrouvé la trace de la mère et lui a rendu son bébé.
Bien que les difficultés économiques obligent de nombreux enfants à se rendre en Afrique du Sud, M. Van Der Vyver a expliqué qu’il y avait souvent davantage de mineurs non-accompagnés au centre d’accueil de Beitbridge pendant les périodes de vacances scolaires ; en effet, les parents qui travaillent en Afrique du Sud payent pour faire passer leurs enfants de l’autre côté de la frontière. Ceux qui sont interceptés se retrouvent au centre.
Mandla Motshweni est directeur de programmes, à Pretoria, aux bureaux de Save the Children (R.-U.), une organisation internationale qui œuvre pour le bien-être des enfants. M. Motshweni a expliqué que l’organisation enquêtait sur le sort des enfants zimbabwéens migrants, particulièrement dans la province de Limpopo, et qu’elle était sur le point de publier un rapport pour présenter ses conclusions.
Selon lui, Save the Children recommandera entre autres de créer un lieu sûr pour les enfants à Musina, et l’organisation et les autorités locales concernées ont déjà identifié un édifice public à cet effet.
Le ministère sud-africain de l’Intérieur, quant à lui, n’a pas souhaité répondre aux questions d’IRIN.
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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions