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Les apatrides sont les « passagers de la vie »

Des milliers d’enfants, réfugiés au Zimbabwe au cours de la guerre civile qui a ravagé le Mozambique pendant 17 ans, se trouvent contraints à vivre en apatrides, sans pouvoir obtenir de pièces d’identité ni bénéficier de services sociaux dans leur pays d’adoption.

La plupart des ressortissants mozambicains se sont établis dans la province du Mashonaland Central, dans le nord-est du Zimbabwe, à la frontière du Mozambique, où ils ont construit leurs propres fermes ou ont été adoptés par des familles locales.

A l’occasion du lancement d’une récente campagne de défense des droits de l’enfant, le bureau de Martin Dinha, le maire de Bindura (la capitale provinciale), a été submergé par toutes les personnes qui n’ont pu obtenir un acte de naissance, a-t-il relaté.

« Il importe de noter que, comme Bindura [...] est plus proche de la frontière mozambicaine, de nombreux Mozambicains, qui avaient fui pendant la guerre, s’y sont établis. Un grand nombre d’entre eux n’ont pas eu l’occasion d’acquérir la citoyenneté zimbabwéenne et n’ont pas de pièces d’identité mozambicaine », a-t-il ajouté.

Le Mozambique a été déchiré par un conflit civil opposant le Frelimo (le parti au pouvoir) au Renamo entre 1975 et 1992. Antonio Namburete, aujourd’hui âgé de 36 ans, a fui au Zimbabwe dans le milieu des années 1980, alors qu’il était encore adolescent. Même après les premières élections tenues dans son pays d’origine en 1994, le jeune homme a préféré rester dans le district de Muzarabani, à quelque 70 kilomètres de la frontière mozambicaine, où il s’était marié et avait eu deux enfants.

« Lorsque la guerre a pris fin, je suis rentré au Mozambique mais ma famille n’y était plus ; même mon village avait été détruit. J’ai donc choisi de retourner ici, où j’avais été bien accueilli par les villageois locaux », a-t-il raconté.

« Le Mozambique fait ressurgir de mauvais souvenirs mais, malheureusement, j’ai parfois l’impression que je n’ai pas de patrie sur cette terre parce que je ne possède aucun papier qui permette de m’identifier depuis que j’ai perdu mon acte de naissance mozambicain, au cours d’un raid mené dans notre région », a confié à IRIN M. Namburete, aujourd’hui veuf.

Après s’être réfugié au Zimbabwe, il a été embauché comme gardien de troupeaux par une famille de propriétaires agricoles, qui lui a donné un lopin de terre pour y construire une maison. En revanche, parce que son employeur lui a fait cette « faveur », il ne perçoit aucun salaire.

Il y a deux ans, sa femme, elle aussi mozambicaine, a été tuée par l’explosion d’une mine antipersonnel alors qu’elle allait chercher du bois, mais M. Namburete n’a pas pu obtenir d’acte de décès. La police a refusé de délivrer le document car la défunte ne possédait pas de pièce d’identité. Les policiers ont suggéré à M. Namburete de s’adresser à l’ambassade du Mozambique, située à Harare, la capitale zimbabwéenne, pour faire rapatrier le corps de sa femme.

« Mais comment dois-je donc m’y prendre ? Même au Mozambique, les fonctionnaires me disaient que je n’étais pas mozambicain parce que je n’avais rien pour le prouver », a-t-il expliqué. Sa femme a été enterrée sans l’autorisation de la police, ce qui signifie que son décès n’a pas été déclaré, une situation qui concerne la plupart des réfugiés.

Une population sans avenir

A 12 ans, le fils de M. Namburete ne sait ni lire ni écrire et passe le plus clair de son temps à garder du bétail ou à travailler dans les champs en compagnie de son père, et il reçoit parfois un paquet de sucre ou une bouteille d’huile en travaillant à mi-temps dans le moulin broyeur d’un homme d’affaires de la région.

Sa fille de neuf ans a été adoptée par le fils de son employeur, qui travaille à Mount Darwin, une ville située à 60 kilomètres. Elle participe aux corvées ménagères en attendant d’aller à l’école l’année prochaine, comme on le lui a promis.

« Ca me fait de la peine que mon fils, et très probablement sa sœur, grandiront comme leurs parents, sans identité et sans rien de significatif à faire dans la vie. C’est encore plus regrettable que cela arrive juste parce qu’on nous refuse un simple papier, un papier que les gens chanceux prennent pour acquis », a déploré M. Namburete.
Selon les employés du service d’Etat-Civil de Mount Darwin et de Bindura, les enfants de M. Namburete ne peuvent être déclarés parce que leurs parents n’ont pas de pièces d’identité.

Certes, certaines organisations aident les immigrants à obtenir des pièces d’identité. Toutefois, les réfugiés illettrés comme M. Namburete sont réticents à s’adresser à ces organisations, ou n’ont pas les moyens de se rendre auprès d’elles.

« La situation est préoccupante parce que l’incapacité des Mozambicains à obtenir des renseignements d’identité les empêche même de se marier légalement », a expliqué à IRIN Simon Masiiwa, le chef d’un village.

Les Zimbabwéens se sont montrés tolérants

Les communautés locales ont en grande partie accepté les immigrants en tant que partie intégrante de leur société. Malgré tout, les Mozambicains se voient refuser un certain nombre de services sociaux. « Même les hôpitaux refusent parfois de les accueillir [...] Bien qu’ils aient choisi de faire du Zimbabwe leur pays, ils ne peuvent pas exercer leur droit de vote ; ce sont les passagers de la vie », a commenté M. Masiiwa.

Le gouvernement zimbabwéen, dirigé par le ZANU-PF, le parti au pouvoir, a annoncé récemment que les personnes d’origine étrangère, principalement originaires du Malawi, du Mozambique ou de Zambie, et dont une majorité travaille dans des fermes commerciales, se verraient accorder le droit de vote. Néanmoins, des observateurs ont souligné qu’un nombre non-négligeable d’entre elles seraient tout de même exclues, ne disposant pas des documents requis pour prétendre à ce droit.

La vie est dure pour les personnes qui ne peuvent pas présenter de pièce d’identité lorsqu’elles se retrouvent face à des milices au Mashonaland Central, une province politiquement instable, dominée par le parti au pouvoir et où les étrangers sont traités avec suspicion.

Les enfants orphelins d’origine étrangère ont encore plus de difficulté à obtenir des actes de naissance, a expliqué M. Masiiwa, car ils n’ont personne pour les aider ni pour appuyer leur demande.

James Elder, porte-parole du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) au Zimbabwe, considère cette situation, notamment celle des enfants, comme un « vrai problème ». Selon lui, quelque 40 pour cent des enfants âgés de moins de cinq ans ne sont pas déclarés.

« Bien que des systèmes aient été mis en place pour faciliter l’acquisition d’actes de naissance, il y a trop de goulets d’étranglement, les personnes concernées devant se déplacer d’un département à l’autre », a-t-il ajouté. « Cela devient assez ardu, en particulier à un moment où la majorité des gens évoluent dans un contexte économiquement difficile ».

La majorité de la population du Zimbabwe lutte pour survivre : l’inflation s’élève à plus de 2 200 pour cent, le taux de chômage oscille autour des 80 pour cent, et les conséquences du programme de réforme agraire accélérée du président Robert Mugabe, conjuguées à des sécheresses successives, ont gravement porté atteinte à la sécurité alimentaire.

En février, 21 organisations non-gouvernementales ont signé un accord destiné à améliorer les conditions de vie de 350 000 orphelins et enfants vulnérables, en les aidant notamment à déclarer leur naissance aux autorités. Cette initiative est financée par le Département britannique pour le développement international, les agences néo-zélandaise et suédoise d’aide au développement international et le gouvernement allemand.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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