La Commission nationale électorale indépendante (INEC) a proclamé lundi les résultats des élections présidentielles du 21 avril remportées par le candidat du parti au pouvoir, en dépit des nombreuses protestations.
Selon certains analystes, si l’élection se confirmait, malgré la vague de protestations soulevée par les irrégularités du scrutin, le nouveau président pourrait être confronté à une crise de légitimité qui empêcherait son gouvernement de diriger et de développer le pays.
Selon les résultats de l’INEC, M. Umaru Musa Yar’Adua, candidat du People’s Democratic Party (PDP), le parti au pouvoir, a remporté les élections avec plus de 24,6 millions de suffrages, contre six millions de voix pour Muhammadu Buhari du All Nigerian People’s Party (ANPP), et 2,6 millions de voix pour Atiku Abubakar du Action Congress (AC). Les scores réalisés par les autres candidats sont plus modestes.
Ces résultats ont été contestés par MM. Buhari et Abubakar qui ont promis de porter l’affaire devant les tribunaux. Pour les observateurs nationaux et internationaux, l’élection présidentielle du 21 avril a été entachée de graves irrégularités.
Pour leur part, les observateurs électoraux de l’Union européenne ont affirmé que le scrutin n’était pas crédible et au moins 200 personnes ont trouvé la mort au cours des violences électorales qui ont précédé le scrutin, ont souligné des groupes de défense des droits de l’homme.
En marge de la présidentielle, il y avait également des élections législatives. Le 14 avril, les électeurs avaient voté pour élire les membres des parlements locaux et les gouverneurs des 36 Etats de la Fédération.
Dans une allocution télévisée lundi, le président Olusegun Obasanjo, qui vient de terminer son deuxième mandat de quatre ans, a concédé que le scrutin avait été entaché de quelques irrégularités.
« Nos élections sont loin d’être parfaites », a-t-il fait remarquer. « Les défaillances au niveau la logistique, en particulier, ont retardé l’acheminement du matériel électoral dans certaines régions du pays et ont malheureusement empêché certains électeurs d’exercer leur droit civique ».
De nombreux Nigérians ont accusé le PDP d’avoir truqué les élections et certains groupes civiques et politiciens entendent mener des actions de protestation pour se faire entendre.
Dans un communiqué, le ministre de l’Information, Frank Nweke, a affirmé que les candidats de l’opposition avaient payé des personnes pour fomenter des troubles dans les rues et créer un climat d’insécurité qui entraînerait une prise du pouvoir par l’armée.
« Dans la confusion et les agressions qui s’en suivraient, des personnes seraient mutilées et massacrées, dans le seul but de discréditer le scrutin [électoral] », a-t-il déploré.
Une menace pour le développement
Après l’annulation par le régime militaire du scrutin présidentiel de 1993, qui donnait la victoire à Moshood Abiola, un candidat de l’opposition, des dizaines de personnes avaient trouvé la mort au cours des semaines de manifestations organisées par les puissantes centrales syndicales du pays.
Un gouvernement civil intérimaire avait alors été mis en place, mais celui-ci avait été renversé peu de temps après par un coup d’Etat militaire.
En 1998, à la mort du général Sani Abacha, chef de la junte militaire, un gouvernement militaire de transition avait été nommé pour organiser des élections présidentielles remportées par M. Obasanjo. Ce scrutin devait symboliser le début d’une nouvelle ère démocratique pour le pays.
Huit années plus tard, les analystes estiment que l’avenir de cette démocratie est en danger. Le sentiment qui domine est que la victoire de M. Yar’Adua a été usurpée et qu’elle pourrait menacer le pouvoir de paralysie, du fait que les contingences politiques semblent prendre le dessus sur les problèmes de développement.
« Le manque de crédibilité de ce scrutin peut hypothéquer les capacités du gouvernement à mobiliser toutes les énergies du pays pour s’engager dans la reconstruction des infrastructures délabrées du pays », a souligné Tajudeen Abdul-Raheem, directeur de Justice Africa, une organisation non gouvernementale basée à Londres.
Selon lui, « à un moment où l’Etat doit pouvoir compter sur l’engagement de tous ses citoyens, ces derniers risquent de lui manifester beaucoup d’indifférence, ce qui réduira le pouvoir du gouvernement au niveau local ».
L’élection de samedi devait marquer la première passation de pouvoir, au Nigeria, entre deux chefs d’Etat élus démocratiquement. Bien qu’étant le premier producteur africain de pétrole et le pays le plus peuplé du continent, le Nigeria continue de figurer parmi les pays présentant les plus bas indicateurs sociaux des Nations Unies.
Ainsi, moins de 50 pour cent des 140 millions d’habitants que compte le pays ont accès à l’eau potable. De l’avis des agents de santé, les cas de maladies hydriques sont en hausse et un enfant sur cinq meurt avant son cinquième anniversaire.
En outre, le gouvernement est confronté à une insécurité croissante dans la région pétrolière du delta du Niger, et à des tensions interethniques et interconfessionnelles qui dégénèrent parfois en de violents affrontements.
Selon l’ONG américaine Human Rights Watch, les conflits intercommunautaires au Nigeria ont fait plus de 10 000 morts au cours des huit dernières années.
Une politique consensuelle
Compte tenu de l’insécurité croissante, certains Nigérians souhaitent le retour à un régime militaire. A la différence du président Obasanjo, ancien général d’armée, M. Yar’Adua est un ancien professeur d’université. Il fait partie des quelques gouverneurs nigérians qui ne font pas l’objet d’une enquête.
Gouverneur de l’Etat de Katsina (Nord) pendant les huit dernières années, M. Yar’Adua a construit des écoles, des routes et renforcé les services sociaux dans son état.
Mais ses détracteurs s’interrogent sur sa capacité à appliquer cette politique au niveau national, surtout si le pays est divisé politiquement. Selon certains analystes, le nouveau président devra faire de gros efforts pour ramener la paix dans le pays et mettre en place un gouvernement de consensus.
« Si aucune politique de réconciliation n’est engagée aussitôt après les élections, on aura un pouvoir faible, sans légitimité, dans un contexte politique instable », a analysé Nnamdi Obasi, analyste nigérian chez International Crisis Group (ICG). « Il sera alors incapable de résoudre les problèmes de base auxquels le pays est confronté, ce qui provoquera des crises à répétition ».
Une justice pour tous
Selon certains analystes, les rapports avec la justice sont un autre élément déterminant susceptible d’asseoir la légitimité du nouveau Président. Plusieurs plaintes pourraient être déposées auprès des tribunaux pour contester la régularité des élections, mais ces plaintes pourraient ne pas être examinées avant les trois ou quatre prochaines années.
« Plus vite ces plaintes seront étudiées et résolues, plus les procédures seront transparentes et plus grandes seront les chances de rétablir le sens de la justice dans un système qui a besoin de légitimité », a dit M. Obasi.
Selon lui, les tribunaux ont déjà rendu des décisions importantes avant les élections, ce qui montre bien l’indépendance des juges vis-à-vis du pouvoir. Jamais dans l’histoire récente du Nigeria, a-t-il ajouté, il n’y a eu autant de confiance dans le système judiciaire du pays.
En cas d’échec de la politique de réconciliation nationale et de quête de légitimité, les répercussions se feront ressentir tant au niveau national qu’international, ont indiqué des analystes. Le Nigeria occupe une place de leader dans la sous-région et joue un rôle déterminant dans le maintien de la paix au Liberia, Sierra Leone et dans d’autres pays.
« Si le pouvoir en place n’a pas la légitimité du peuple et est faible, il ne sera pas en mesure d’agir efficacement en Afrique de l’Ouest et ailleurs sur le continent, parce qu’il ne sera pas perçu comme un modèle de démocratie. En outre, il ne sera pas pris au sérieux à l’étranger », a ajouté M. Obasi.
La communauté internationale « doit continuer à soutenir le Nigeria, après ces élections, afin que le pays s’engage résolument dans la bonne voie, et le plus rapidement possible, avant qu’il ne soit trop tard », a-t-il conclu.
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