1. Accueil
  2. West Africa
  3. Niger

Quand le développement s'impose comme une urgence

Le bruit sourd et répétitif que font les femmes avec les pilons lorsqu’elles pilent le mil et le sorgho est l’unique son qui vient troubler la quiétude de Tamtala, un village reculé du sud-ouest du Niger.

La plupart des hommes, des femmes et des enfants du village sont aux champs, le visage marqué par la faim et la fatigue. Et pour semer le sorgho, le mil et les haricots du village, ils binent et ratissent la terre ocre des champs qui s’étendent à perte de vue.

Ces intenses activités agricoles pendant les cinq mois de la saison des pluies, qui s’étend généralement du mois de juin à octobre, constituent l’unique source de revenus des villageois.

Le reste de l’année, les paysans désoeuvrés tentent de vivre sur les réserves de la précédente récolte en attendant la saison des pluies suivante.

La faim et la pauvreté ravagent les villages du Niger, le pays le plus pauvre du monde. La vaste couverture médiatique de la famine qui a sévi l’année dernière a mené à d’importants changements dans la manière d’aborder les problèmes auxquels ce pays est confronté.

Ainsi, cette année, des centaines de milliers de Nigériens ont déjà bénéficié de nombreux projets humanitaires qui ont apporté un précieux soutien aux populations les plus vulnérables.

Toutefois, sans une politique suivie de développement, une seule mauvaise récolte suffirait à plonger de nouveau le pays dans la crise, explique certains experts des Nations unies.

Un nouveau plan d’action pour lutter contre la faim

Selon les Nations unes, près de 7,5 millions de Nigériens - 60 pour cent de la population - vivent avec moins d’un dollar américain par jour. Au moins 85 pour cent de la population est illettrée, plus de la moitié des Nigériens n’ont pas accès à l’eau potable et l’espérance de vie est inférieure à 45 ans.

Pays enclavé, le Niger est l'Etat le plus pauvre de la planète, selon l’indice de développement humain des Nations unies.

Les mauvaises récoltes enregistrées l’année dernière dans l’ensemble des pays sahéliens ont entraîné une flambée des prix dans tous les pays de la région. Ainsi, une grande partie de la population n’a pas pu acheter de vivres une fois les réserves épuisées.

En 2005, une campagne de collecte de fonds organisée par certaines agences humanitaires présentes au Niger avait mobilisé la presse et à la mi-octobre, de nombreuses chaînes de télévision diffusaient à travers le monde des images d’enfants nigériens souffrant de malnutrition sévère.

De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) s’étaient alors installées au Niger, les bailleurs de fonds avaient injecté d’importantes sommes d’argent dans des opérations d’urgence et des centres nutritionnels s’étaient ouverts dans les principales villes et petits villages.

Map of Niger
Carte du Niger

Au plus fort de la crise, des études avaient révélé que 15,3 pour cent des enfants de moins de cinq ans souffraient de malnutrition. D’après une autre étude réalisée au mois de mai dernier, ce chiffre aurait baissé et s’établirait à 11,8 pour cent, ce qui reste encore bien au-dessus du seuil d’urgence.
Au Niger, un enfant sur cinq meurt avant son cinquième anniversaire.

Lors des visites récemment effectuées dans les villes et villages du sud-ouest et sud-est de ce vaste pays, les équipes d’IRIN ont pu constater que la malnutrition était moins visible que l’année précédente.

Seidou Bakari, coordinateur de la Cellule de crise alimentaire du gouvernement nigérien, a déclaré que le gouvernement a mis en place une nouveau plan de lutte contre la faim et la pénurie alimentaire qui consiste à identifier les populations les plus vulnérables et à leur apporter une aide bien avant que la crise ne s’installe dans le pays.

En collaboration avec les Nations unies, le Système d’alerte précoce et l’Institut de la statistique ont effectué, en mai dernier, « l’une des évaluations les plus complètes » jamais réalisée au Niger – selon les termes du Programme alimentaire mondial (PAM).

Seidou Bakari a expliqué que le gouvernement s’était appuyé sur les résultats de cette enquête pour établir son plan d’action de 2006, qui consiste à distribuer des vivres aux plus vulnérables, à savoir les femmes célibataires, les veuves, les personnes handicapées et âgées.

Le gouvernement a également mis en place un programme visant à fournir gratuitement des compléments alimentaires pour 234 000 enfants de moins de cinq ans vivant à plus de dix kilomètres d’un centre sanitaire.

A la mi-août, les 855 centres nutritionnels que compte le pays ont accueilli plus d’un demi million d’enfants, a indiqué le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). L’agence onusienne reçoit régulièrement des ONG et du gouvernement des informations lui permettant d’analyser l’évolution de la situation nutritionnelle au Niger.

Grâce à une stratégie efficace et à long terme, les nombreux cas de malnutrition observés l’année dernière pendant la période soudure ont pu être évités.

Une collaboration efficace

La communauté internationale a également renforcé son action pour faire face au problème de la crise alimentaire au Niger.

En effet, des vivres ont été distribuées aux populations des régions les plus vulnérables bien avant que ne se manifestent les premiers signes de la crise. Les rares routes pavées du pays ont été prises d’assaut par des camions chargés de nourriture.

« On ne se remet pas en un jour d’une crise alimentaire comme celle de l’année 2005 », a déclaré vendredi dernier Sory Ouane, le directeur du PAM au Niger, alors que commençaient les premières distributions de vivres.

« Une bonne partie de la population ne se bat encore pour s’en sortir, malgré les bonnes récoltes enregistrées à la fin de l’année dernière. Ils ont besoin d'un filet de sécurité et c'est ce que nous leur fournissons, avec le gouvernement », a-t-il expliqué.

Cette année, le PAM a déjà distribué de la nourriture à 1,8 millions de Nigériens, et devrait nourrir jusqu’à 3,9 millions de personnes d’ici la fin de l’année, ont indiqué les bailleurs de fonds.

Selon des responsables d’ONG, les relations avec les autorités nigériennes se sont nettement améliorées.

L’année dernière, les douzaines d’ONG internationales qui ont débarqué dans le pays avaient dressé leurs tentes dans des centres indépendants. A en croire les responsables des ONG, le gouvernement nigérien ne « les avait pas très bien accueillis » et il leur avait parfois même « mis des bâtons dans les roues ».

Cependant, à la mi-août 2006, en se rendant dans quatre centres sanitaires situés aux alentours de Maradi et Tillaberi, deux des régions les plus touchées par la crise alimentaire, IRIN a constaté que le personnel des ONG était intégré aux équipes du gouvernement ou travaillait dans des établissements publics de santé. Selon les ONG, il s’agit là d’une preuve du nouvel esprit de coopération dans lequel elles travaillent.

« On n’aurait jamais pu imaginer voir de telles actions l’année dernière », a déclaré un responsable d’ONG.

Le ministère nigérien de la Santé a enfin reconnu que la malnutrition était un problème de santé publique, qui devait être réglé conformément aux dispositions de la politique nationale de santé.

Les bons résultats obtenus sur le terrain ont également permis aux ONG de recevoir d’avantage de fonds pour financer leurs projets d’aide humanitaire.

« Avant 2005, lorsqu’on parlait du Niger en Europe, les gens ne réagissaient pas. Il y avait une sorte de fatalité face à la faim au Niger, et le pays était davantage connu pour le tourisme que pour sa famine », a déclaré un responsable d’une ONG européenne. « On ne s’intéressait pratiquement qu’au Mali et ne réalisait que des projets de développement au Niger. »

La pauvreté : un frein au développement

Cependant, la mise en place de systèmes et d’organisations plus efficaces pour faire face à la crise alimentaire générale qui survient chaque année à pareille époque n’est qu’une solution partielle au problème.

Les habitants de Tamtala ont faim alors qu’à à peine 60 kilomètres de leur village a lieu le marché régional de Boubon.

Chaque mercredi, des centaines de marchands débarquent à Boubon avec tous les produits possibles et imaginables, notamment des sacs de céréales, des fruits et des légumes frais et de la viande.

[Niger] Traders at the Boubon market, southwest Niger. Plenty of food but few can afford. [Date picture taken: 08/23/2006]
Stock de nourriture au marché de Boubon

Et la situation serait la même, si Boubon était situé à plus de 1 000 kilomètres de Tamtala, puisque le sac de céréales et de riz se vendait, à la mi-août, 16 500 CFA (32 dollars américains). Un simple fagot de bois pour cuisiner se négociait à 150 CFA (soit O,30 cents).

Bien que les récoltes aient été meilleures cette année et que les prix pratiqués soient deux fois moins élevés que ceux de l’année dernière, la plupart des Nigériens n’ont pas les moyens d’acheter les produits vendus sur les marchés. En moyenne, une récolte rapporte entre 10 000 et 30 000 CFA (soit entre 20 et 60 dollars) aux paysans les plus pauvres et 200 000 CFA (400 dollars) aux villageois les plus riches.

Pour les habitants de Tamtala, la dette contractée auprès des négociants était bien supérieure à la somme qu’ils sont en mesure de rembourser. Cette année, les villageois vendront au total quatre tonnes de leur précieuse récolte à des négociants au prix négocié de 10 000 CFA le sac (soit 20 dollars américains), un prix bien inférieur à celui du marché.

Alors que les organisations humanitaires ont commencé à distribuer des vivres cette semaine, les systèmes d’alerte précoce donnent déjà les premières indications sur les actions qui devront être menées l’année prochaine.

Selon un rapport publié le 8 août dernier par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 2006, le Niger est le pays du Sahel le plus touché par une répartition inégale des pluies.

Le rapport révèle que les régions de Maradi, Zinder et Diffa, toutes situées dans le sud du pays, sont celles qui risquent de connaître les moins bonnes récoltes du pays. Toujours selon le même document, plus de 400 villages ont dû retarder leur plantation en raison d’un manque de pluie.

« Chaque année, le Niger connaît une crise liée à la forte mortalité infantile », a déclaré Jean Hervé Bradol, président de Médecins Sans Frontières-France, lors d’une visite à Maradi.

« Nous menons une vaste opération d’aide humanitaire ici et avons déjà reçu plusieurs dizaines de milliers d’enfants. Il s’agit d’une crise structurelle », a-t-il ajouté.

Anticiper la crise

Pour éviter aux Nigériens les caprices de la météo, l’imprévisibilité des bailleurs de fonds et les dettes contractées auprès de négociants, il faut s’attaquer aux graves problèmes économiques que connaît le Niger, a rappelé Michelle Falavigna, coordinateur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à Niamey.

« Il faut trouver une solution durable à ces problèmes, avant qu’ils ne deviennent une crise », a-t-il affirmé, en référence au problème de nutrition chronique qui touche le Niger.
M. Falavigna a souligné que le sous-sol du Niger regorgeait de gisements d’or, de pétrole et de charbon, et que ces ressources peu exploitées pouvaient dynamiser l’économie, renflouer les caisses de l’Etat et enfin contribuer à bâtir une économie solide qui libérerait les Nigériens de leur dépendance à l’agriculture.

[Niger] Planting sorghum and millet gets underway near Tamtala village, southwest niger in rainy season. [Date picture taken: 08/23/2006]
Produire plus : une priorité

Selon M. Falavigna, le Niger devrait commencer à transformer ses matières premières et les proposer aux investisseurs européens.

Améliorer le système d’irrigation du pays en pompant l’eau présente dans les grands réservoirs souterrains est une des principales priorités, a-t-il ajouté.

Quant à Pierre Laporte, représentant du Fonds mondial international (FMI) au Niger, il moins optimiste lorsqu’il s’agit des perspectives de développement à moyen terme du Niger.
« Ce pays devra dépendre encore pendant longtemps de l’aide des bailleurs de fonds », a-t-il dit.

Le FMI travaille avec les autorités nigériennes à l’élaboration d’un programme visant à augmenter les recettes fiscales pour financer des projets de réduction de la pauvreté.

Issoufou Seydou, le chef du village de Tamtala, est bien loin de toutes ces préoccupations. Son principal souci est de s’assurer que le village survivra cette année, et celle d’après.
Tout le millet du village, la céréale nécessitant le moins d’eau pour pousser, a été semé. Cependant, le sorgho, la deuxième céréale la plus importante de l’agriculture nigérienne, n’a pas encore été semé, car si la pluie se fait rare, les précieuses graines brûleraient au soleil.

Il craint que la saison des pluies prenne bientôt fin. Si la pluie s’arrête de tomber, tout le mil périra et le village n’aura presque rien pour vivre. S’il avait une requête à adresser à la communauté internationale, il demanderait la création d’une banque de céréales, qui lui permettrait de s’assurer que ses villageois aient de quoi se nourrir d’une semaine à l’autre.

« Nous prions Dieu pour que la pluie continue de tomber », a déclaré Issoufou Seydou. « Si la pluie cesse, nous courons à la catastrophe », a-t-il conclu.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join