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Interview avec Pierre Akele Adau, président de la Haute Cour de justice militaire de la RDC

[DRC] Pierre Akele Adua Professor of Law, University of Kinshasa. [Date picture taken: 04/12/2006] David Hecht/IRIN
Pierre Akele Adua
A l’instar de bien d’autres institutions de l’Etat complètement ignorées pendant les années de guerre civile en République démocratique du Congo (RDC), le système judiciaire congolais doit être réformé en profondeur.

Depuis 2002, de nombreux rapports sur la réforme du système judiciaire ont été produits, mais celle-ci n’a jamais vu le jour, le gouvernement étant plutôt occupé à réussir la transition censée ramener la paix dans le pays. Et cette période de transition s’achèvera cette année avec la tenue des élections générales.

Selon Pierre Akele Adau, professeur de droit à l’Université de Kinshasa et auteur de nombreux rapports financés par l’ONU et portant sur la réforme du système judiciaire, la transition du pays vers un régime démocratique ne se fera que si le système judiciaire fonctionne de manière juste et transparente. M. Akele est aussi un magistrat qui a été nommé en 2002 Président de la Haute cour de justice militaire de la RDC.

A Nairobi où il participait à un séminaire, il a accordé à IRIN une interview dont voici quelques extraits :

QUESTION: Comment percevez-vous le système judiciaire Congolais ?

REPONSE: En un mot, inefficace. Et cette inefficacité s’explique par un sentiment général d’impunité. Elle s’explique aussi par le fait qu’il n’y a pas assez de tribunaux, de magistrats – c’est-à-dire de juges, de procureurs et d’auxiliaires de justice –, qu’ils ne disposent pas de la documentation et du soutien nécessaires et qu’ils sont mal payés. Il leur arrive parfois de se mettre en grève ; mais comme la plupart d’entre eux sont corrompus, leurs actions ne sont pas largement soutenues par le public.

Par exemple, pour qu’une plainte soit instruite, le plaignant doit verser des pots de vin au procureur, au juge, au greffier et à d’autres acteurs du système judiciaire. Un projet de loi est actuellement en cours de discussion à l’Assemblée nationale pour définir une nouvelle grille de salaire pour les magistrats, mais il ne sera adopté qu’après les élections générales et l’installation du nouveau gouvernement élu.

Q: Dans quelle mesure la situation actuelle affecte-t-elle le Congolais moyen ?

R: La plupart des Congolais ne sont jamais allés dans un tribunal. Il n’en existe pas dans les villages. Les gens règlent leurs problèmes comme ils le peuvent. Les autorités locales commettent également beaucoup d’abus et violent souvent les principes des droits de l’homme. Résultat : le système judiciaire ne sert pas le peuple congolais et les gens ont très peu de respect pour cette institution.

Q: En tant que Président de la Haute cour de justice militaire, pensez-vous que les tribunaux militaires fonctionnent mieux ?

R: Pas vraiment. Le système judiciaire militaire a été réformé en 2002. Les droits des personnes n’étaient pas respectés sous l’ancien système, du temps de Président Laurent Kabila. Il avait créé un tribunal militaire pour juger les anciens officiers de l’armée de feu le Président Mobutu Sésé Séko, mais cette Cour est allée bien au-delà de ses compétences en jugeant également des civils auteurs de délits mineurs. Elle a parfois jugé et condamné à mort des petits trafiquants de devises, sans respecter les règles et les procédures spécifiques à l’exécution de la peine capitale. Elle a même autorisé des exécutions extrajudiciaires que les Nations unies ont dénoncé à plusieurs reprises.

Le nouveau système mis en place depuis 2002 comprend quatre juridictions militaires chargées chacune de juger des délits commis par des éléments des différentes hiérarchies de l’armée. Mais les magistrats étant habitués à travailler sous un système dictatorial, ils ont du mal à s’adapter au nouveau système. En outre, ils sont confrontés aux mêmes problèmes que ceux de leurs collègues des tribunaux civils, notamment les bas salaires et l’absence de discipline.

Q: Que dire des prisons ?

R: Elles sont délabrées, surpeuplées et ne respectent pas la réglementation. Par exemple, les personnes en détention provisoire sont placées dans les mêmes cellules que les condamnés ; prisonniers militaires et civils sont ensemble, comme le sont les hommes et les femmes, les enfants et les adultes. Ils vivent entassés les uns sur les autres dans des conditions d’hygiène déplorables. La nourriture, quand ils en ont, est fournie par des oeuvres de bienfaisance. Le gouvernement ne donne rien.

Q: Pensez-vous que tout le système judiciaire est mauvais ou que certains de ses services fonctionnent correctement ?

R: Il y a des services qui fonctionnement bien. Dans l’Est du pays, la MONUC [Mission des Nations unies en RDC] a assisté certains tribunaux civils et militaires locaux et cela a été bénéfique. Ainsi, même sans l’appui de la MONUC, ces tribunaux rendent parfois des jugements très équilibrés dans des affaires relevant du droit civil, du droit des affaires et des contrats, du droit foncier ou du droit de la famille. En revanche, dans les affaires relevant du droit commercial, le système ne fonctionne presque jamais. Lorsqu’une société est traduite en justice, elle est condamnée dans la plupart des cas et doit payer de lourdes amendes. Les juges savent que les sociétés ont de l’argent, qu’elles peuvent payer des amendes et des pots de vins ou qu’elles peuvent être poursuivies pour des affaires montées de toutes pièces.

Comme il n’existe pas de tribunal de commerce en RDC, les autres tribunaux s’arrachent les affaires relevant du droit commercial. Un tribunal de commerce a été créé, mais il n’est pas encore fonctionnel. Ses magistrats ont été sélectionnés et formés par les gouvernements français et italien.

Q: Vous avez produit des rapports sur la réforme du système judiciaire. Leurs recommandations ont-elles été appliquées ou n’étaient-elles pas appropriées ?

R: Des études ont été réalisées, mais leurs recommandations n’ont pas été appliquées. L’autre problème, c’est que nous sommes dans une phase de transition et que des réformes ont été faites, mais sous l’ancienne Constitution. Nous avons désormais une nouvelle Constitution et devons adapter les reformes en conséquence.

Q: Comment fonctionne le système judiciaire sous la nouvelle Constitution ?

R: Disons qu’il y a d’abord une Cour constitutionnelle, la seule institution compétente pour juger le Président de la République ou le Premier ministre. Toutefois, étant donné que les deux tiers du parlement doivent se prononcer pour la comparution de ces hauts personnages de l’Etat devant la Cour, elle est rarement sollicitée. Les autres juridictions importantes sont la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, qui juge les affaires administratives opposant les citoyens aux autorités locales. Ensuite les tribunaux existants devront être réorganisés de manière à s’adapter au nouveau système.

Il est aussi question de supprimer les tribunaux coutumiers pour les remplacer par des tribunaux locaux, mais dans de nombreuses régions, il n’y a ni salle d’audience ni personnel. Je ne pense pas que cela changera de sitôt.

Q: Que faut-il pour que le nouveau système judiciaire soit opérationnel ?

R: Nous avons d’abord besoin d’un plan de réforme. Il a été proposé au gouvernement qui ne l’a pas encore étudié. Nos dirigeants ont bien d’autres choses à faire pour le moment. Le gouvernement n’a consacré que trois pour cent du budget national à la justice alors qu’habituellement il était de six pour cent. Mais nous devons rester optimistes.

Aujourd’hui, grâce à la démocratie, il y a une volonté de créer une société nouvelle, plus juste. Pour ce faire, nous devons mettre au point des éléments matériels pour la justice, élaborer de bonnes lois et sensibiliser les autorités aux problèmes techniques et éthiques. Lorsque le gouvernement élu sera installé, un des critères sur lesquels on le jugera sera sa réelle volonté de réformer le système judiciaire.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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